La mort lente de la culture de l'automobile

Tribune libre

Les batailles de mémoires sur le pétrole québécois ne feront rien pour modifier le destin : le Québec devra compter sur le pétrole quelques décennies encore pour sa vie économique et sociale, ses déplacements de personnes, ses exportations et ses importations. Renoncer brutalement au pétrole pour des raisons de religion écologique paraît relever davantage de l'angélisme que de la sagesse environnementale. Le plus loin que l'on puisse aller à ce moment-ci consiste à jouer sur l'offre d'énergie: activer, voire accélérer l'électrification des transports publics, comme le fait le gouvernement du Québec.
La disparition du pétrole comme énergie pour le déplacement des gens et des biens au Québec dépend beaucoup du comportement des masses dans l'ensemble de l'Amérique du Nord et des nouvelles venant des États-Unis sont intéressantes à cet égard : l'espèce de culture de l'automobile qui a animé les États-Uniens tout le long du XXe siècle pourrait avoir atteint un pic et commencerait à s'estomper depuis quelques années. Cette vision se retrouve dans un article exceptionnel d'Elisabeth Rosenthall, paru dans le numéro du 29 juin 2013 du New York Times entre la Fête nationale et la Fête du Canada, période festive s'il en est où ces questions-là ne préoccupent guère les journalistes d'ici, en quête de vacances plutôt que d'information, comme le peuple.
Le septuagénaire que je suis se souvient très bien de la fascination qu'exerçait l'automobile durant son enfance : à l'automne, on surveillait les nouveaux modèles apparaissant dans les rues en date de l'année suivante; on comparait les caractéristiques, les performances. À l'adolescence, j'ai vu des marques de voiture disparaître une à une sous mes yeux chez le consessionnaire situé en face de notre maison à Montréal-Est : Packard, Henry J, Nash, Studebaker, etc. GM venait d'acheter la concession pour afficher ses Pontiac, etc. Des Pontiac... qui devaient elles aussi disparaître quelques décennies plus tard.
Comme adolescents, nous savions que des jeunes Américains consacraient la majeure partie de leurs loisirs à bricoler des vieilles voitures destinées à la course ou à la performance en général ou à un nouveau look. Ils avaient la voiture dans le sang, vivaient pour la voiture comme en faisaient foi de nombreux films de l'époque.
Cette culture de l'automobile a conduit à la multiplication de l'usage de l'auto chez nos voisins, multiplication qui s'est vite répandue chez nous, favorisant, ici comme ailleurs, l'essor de la banlieue. Cela signifiait deux voitures par ménage et dans plusieurs cas, une voiture par personne en haut de 16 ans. C'est cette culture de l'automobile qui paraît menacée aux États-Unis, constate Mme Rosenthall.
Des études récentes indiquent que les Américains achètent moins de voitures, conduisent moins et se prévalent moins de permis de conduire d'année en année ces derniers temps.
Les chercheurs en sont venus à se poser une question fondamentale : les États-Uniens ont-ils atteint un pic de la conduite automobile?
Une sorte de refroidissement paraît se dessiner dans la relation affective entre l'Américain et l'automobile.
Ccompte tenu de l'augmentation de la population, le nombre de milles parcourus en auto par le citoyen a atteint un sommet (peak) en 2005 et diminue régulièrement depuis, selon une analyse de Doug Short, de Advisor Perspectives, une maison de recherches. En avril 2013, le nombre de milles parcoururs par une personne se situait à près de 9 p.cent sous le pic de 2005 et égalait le niveau de conduite manifesté en janvier 1995.
Certainement que la récession a joué un rôle ici, mais le phénoméne a débuté avant la récession et se prolonge malgré l'amorce d'une reprise.
"Ce qui m'intrigue le plus, dit Michael Sivak, professeur recherchiste au Transportation Research Institute, de l'Université du Michigan, c'est que le taux de propriété de voitures par ménage ou par individu s'est mis à chuter trois ans avant le début de la récession. Je pense qu'il se produit ici quelque chose de fondamental."
Si cette tendance se maintient et plusieurs sociologues le croient, dit la journaliste Elisabeth Rosenthall, cela aura des conséquences, annonçant par exemple une baisse de production de gaz à effet de serre en sol américain, les transports s'inscrivant en deuxième place à ce chapitre devancés seulement par les centrales aux énergies fossiles (au charbon principalement). Mais ce serait néfaste pour les fabricants d'autos; déjà Mercedes et Ford ont choisi de se redéfinir publiquement sous le thème de la "mobilité" plutôt que comme producteurs de voitures privées.
Une sociologue citée par Mme Rosenthall, Mimi Sheller, directrice du Centre de recherche sur la mobilité de l'Université Drexel, croit que nous sommes en présence d'une mutation culturelle profonde. Elle évoque divers facteurs : l'Internet rend la télécommunication possible et permet aux gens de se rencontrer sans avoir à se déplacer en automobile; le renouveau des centre-villes rend la banlieue moins attrayante; le co-voiturage, soutenu par la communication par téléphone cellulaire, se multiplie entre la banlieue et la ville, parfois par fourgonnette. Dans ce contexte, nombre de personnes qui ont abandonné le transport personnel ville-banlieue en raison de la récession n'y reviendront pas.
Plus important, poursuit Mme Rosenthall : les villes, les États et le gouvernement fédéral, qui ont encouragé pendant un demi-siècle la prolifération de la banlieue et l'usage de l'automobile privée - en facilitant l'emprunt hypothécaire et la construction de routes - ont finalement atténué leurs ambitions de cette nature. Mme Sheller affirme : "Ils ont créé ce que j'appelle une culture de l'automobilité, qui se meurt depuis cinq à 10 ans."
Le système Bixi, implanté à New York sous le nom de bike-sharing, plus l'accroissement des péages pour accéder aux tunnels et aux ponts (tiens! tiens! - NDLR) reflètent les nouvelles priorités, tout comme d'ailleurs ls multiplication des programmes de "car-sharing" à travers les États-Unis.
Mme Rosenthalll juge significatives les grandes diminutions observées de la demande de permis de conduire dans la catégorie des 16 à 39 ans, même si les aînés ont tendance à conserver ce permis de conduire, selon les recherches faites par m. Sivak. (NDLR - Dans la ville de Melbourne, en Floride il y a quelques années, j'ai remarqué qu'il y avait de nombreux retraités mais aucun transport public, ce qui forçait les aînés à prolonger le recours à leur permis de conduire.
M. Sivak est fasciné par le comportement de son fils à l'égard de la voiture : son fils habite San Francisco, possède une viture, mais s'en remet souvent aux transports en commun pour se déplacer, même dans des cas où ça lui prend plus de temps.
Une étude publiée à l'été 2012 indique que la conduite automobile par des jeunes a diminué de 23 p. cent entre 2001 et 2009. Le facteur Internet intervient, selon M. Sivak : pourquoi conduire pendant une heure alors qu'un déplacement en train ou en autobus permet de vivre en ligne?
Autre facteur intéressant : entre 2007 et 2011, le groupe d'âge le plus susceptible d'acheter une voiture n'était plus celui des 35-44 ans, mais celui des 55-64 ans.
Tout ça n'annonce pas nécessairement la mort de la "culture de l'automobile" mais le phénomène a déjà commencé à modifier le langage de certains industriels de l'auto. Mme Rosenthal cite le président exécutif de la Ford Motor company, Bill Ford, dont les propos ont étonné la galerie financière au Mobile World Congress tenu à Barcelone, en Espagne : Bill Ford s'est dit prêt à oeuvrer avec l"industrie des télécommunications pour faire en sorte que "les piétons, les cyclistes, les automobilistes, les transporteurs privés et publics puissent fonctionner dans un système intégré d'une manière où on puisse économiser du temps, ménager des ressources, diminuer les émissions de gaz et améliorer la sécurité".
Avouons qu'un grand patron de l'automobile a usé ici d'un ton conciliant peu courant dans le langage entendu à ce niveau. Que la culture de l'automobile devienne moribonde aux États-Unis aurait des conséquences sur l'ensemble du continent, le Québec compris. Ici, même la radio d'État dite publique et la grande presse n'hésitent pas à picosser Bixi au passage. Au nom de la mobilité automobile urbaine, René Homier-Roy l'a fait fréquemment au petit matin. La Presse entretemps s'est assez complue dans les avatars de Bixi, une Presse comptant beaucoup sur la publicité des compagnies d'automobiles pour survivre, la publicité en général se tournant vers les médias électroniques.
Les gouvernements, Charest comme Marois, ont paru peu enclins à sauver le volet international de l'entreprise et on semble prêt à vendre ça à l'étranger. Quant au nouveau maire de Montréal, M. Coderre ne paraît pas très chaud à l'idée de promouvoir Bixi à Montréal même et a proscrit le car-sharing de Communauto dans son propre arrondissement. Le maire aurait-il des intérêts automobiles à protéger du côté de l'Ontario?
Mais de toute manière, il faudra plus qu'une "mort de la culture de l'automobile" pour diminuer les gaz à effet de serre ici : on apprend en ces jours de janvier 2014 qu'une première mesure des GES provenanr de Chine est catastrophique (voir le NYTIMES du mardi 20 janvier un article intitulé "China Exports Pollution to US, Study Finds").
Une Chine qui fabrique allègrement sa propre "culture de l'automobile", la croissance de la voiture personnelle atteignant les 10 p.cent par année.


Laissez un commentaire



5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    L'avenir évident qui s'établit déjà dans toutes les capitales du monde est le TRANSPORT CONVERGENT ( pistes piétonnes, pistes cyclables( BIXI) , métros, autobus, monorails, trains , auto-partage régional, Communauto ) Mais contrairement aux retardés fédés canadians '' coderréistes '' il faut absolument que tous ces moyens de transport relèvent d'un seule et unique société de transport pour permettent la parfaite convergence entre tous les moyens de transport.
    Déjà, moi , je possède ma carte OPUS -COMMUNAUTO
    MICHEL GUAY

  • Archives de Vigile Répondre

    22 janvier 2014

    Merci à Réal Pelletier pour cette nouvelle.
    Effectivement, une régression de la culture du char est envisageable et souhaitable.
    Une auto se justifie pour ceux qui vivent loin en périphérie ou dont le métier requiert des déplacements fréquents et éparpillés. Pour les jeunes hommes, la voiture passe pour un prérequis dans les conquêtes féminines. Ce n'est plus si vrai quand un grand nombre de filles possèdent leur propre voiture.
    La masculinité pousse les jeunes hommes à s'occuper de leur voiture comme si elle fut une épouse. On la lave, on la soigne par les différents entretiens qu'on essaie de faire soi-même. Mais c'est plus difficile maintenant de jouer dans la mécanique avec l'électronique embarqué.
    C'est la prolongation de la relation cheval-cowboy.
    Et maintenant, c'est si coûteux de posséder et d'entretenir une voiture. Donc, il faut bosser plus longtemps au travail.
    Sauf que le travail offert diminue en Occident. Les jobs deviennent précaires ou à temps partiel.
    Un vélo est plus facile d'entretien et se paie rapidement par les économies.
    C'est pourquoi j'étais contre les bixi. Car le bixi, c'est surtout un investissement dans les structures de stationnement et de communication avec un logiciel pour gérer les transactions et les localisations.
    Bon, c'est moins sexy lorsqu'on veut ramener une fille de la salle de danse.
    Je me suis fait voler 2 vélos en 2010. Mais c'était à peine plus onéreux que ma prime d'assurance de la voiture de cette année.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 janvier 2014

    La mort de la voiture n'est pas pour demain, loin de la, il suffit d'entendre les cris à l'idée de l'imposition d'un péage sur le pont Champlain, pourquoi les usagers ne pairaient-ils pas, les usagers de l'autobus eux payent !!!
    Les maires ont joint le choeur des pleureuses, les développeurs de tout acabit aussi, on veut étendre la banlieue, récolter des taxes supplémentaires, etc.
    Pour Bixi, une aventure couteuse, Coderre a raison ici, je fais du vélo 8 mois par année, la philosophie devrait être simple;
    Vous faites du vélo ?
    Achetez-en un, fabriqué au Québec si vous voulez comme
    http://www.sosvelo.ca/
    Amsterdam, que j'ai visité à vélo, n'a pas de système type Bixi tout comme Copenhagen, Danemark, des villes ou le vélo est roi.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    22 janvier 2014

    Rafraîchissant. Merci de diffuser cette diversification de l'info. Indispensable, surtout, de signaler les prises de position intéressées du secteur public. Démoniser le métro et la STM, les transports alternatifs, les parcs verts, incluant Espace pour la Vie. Suspecter Schnob, pourtant choisi par Coderre... S'acharner (Lagacé, Bazzo) sur le Robin des Banques qui a ralenti les appétits des hauts financiers. Ridiculiser la Place des Festivals (Dufort). Éteindre les projets de plage en ville. Tolérer le manque d'accès communautaire à l'aéroport. Ou bien valoriser les rush dans'l'Sud en hiver...

  • Archives de Vigile Répondre

    21 janvier 2014

    Le gouvernement de M. Obama, a fait payer la dette de GM par les citoyens américains et a consenti a déplacer la production des voitures de Général Motors en Chine.
    http://www.youtube.com/watch?v=Lvl5Gan69Wo
    Et Détroit se meurt.
    http://www.nationalreview.com/article/354137/suicide-government-rich-lowry