La mafia est à l'hôtel de ville depuis longtemps, dit Jean Fortier

Un ex-président du comité exécutif se confie au Devoir

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Kathleen Lévesque - Ce n'est pas d'hier que la mafia a réussi à se glisser dans les officines de l'hôtel de ville de Montréal. Jean Fortier, président du comité exécutif sous l'administration de Pierre Bourque, affirme avoir décliné une offre de 100 000 $ en argent comptant pour garantir la vente d'un terrain municipal sur lequel la mafia avait des visées.
En entrevue au Devoir, M. Fortier a soutenu hier avoir été aux prises avec plusieurs dossiers soulevant des doutes sérieux sur les intérêts en jeu et la promiscuité avec la mafia. L'un d'eux concernait la mise en vente de la pépinière de Montréal située à Terrebonne, une banlieue en pleine explosion.
Un promoteur s'est particulièrement montré intéressé par ce vaste terrain d'une superficie de 115 hectares situé en zone agricole. Il était question d'y faire du développement immobilier. L'homme d'affaires a alors demandé à rencontrer Jean Fortier. Le face-à-face a eu lieu dans un restaurant du boulevard Saint-Laurent. C'était en 2000. «On m'a offert 100 000 $ pour assurer la vente de la pépinière sans appel d'offres. J'en ai ri sur le coup. Mais après, j'ai su que cette personne était liée à la mafia», se souvient M. Fortier.
Ce dernier a alors cherché à obtenir une protection au sein de l'appareil municipal. Il a entrepris en vain des démarches auprès du maire Bourque, du directeur général d'alors, Guy Coulombe, et même auprès du gouvernement de Lucien Bouchard. Jean Fortier raconte avoir alors compris qu'il était seul devant le problème. «Les gens ne me croyaient pas. Les gens croyaient que je fabulais pour me rendre intéressant. Tout le monde est complaisant dans cette affaire-là. Je vous dis la vérité. Je n'ai pas trouvé beaucoup de personnes prêtes à m'appuyer dans une démarche comme ça. Il y avait seulement quelques fonctionnaires de la Ville, parce que c'est une aventure humaine que les gens ne sont pas prêts à vivre», explique-t-il.
Le politicien a donc pris ses propres précautions. Il a d'abord raconté l'histoire en détail à un avocat et à un ami juge. «Quand on subit des pressions, il faut que vous vous disiez: "J'aurai peut-être une balle dans la tête, mais il y a quelqu'un qui va le savoir"», lance Jean Fortier en assurant pourtant ne pas avoir eu peur pour sa sécurité physique. La crainte que sa réputation puisse être atteinte l'inquiétait davantage.
«J'ai été obligé de mettre des micros dans mon bureau pour être certain qu'on ne vienne pas m'offrir d'autres sommes d'argent», explique M. Fortier. Ce système d'écoute a été installé par les services internes de la Ville. Jean Fortier affirme l'avoir utilisé une seule fois.
L'ancien président du comité exécutif dit avoir bloqué la vente tant qu'il a été en poste. Sa meilleure protection, estime-t-il, fut sa persévérance.
La pépinière de Terrebonne a été vendue en 2005 par l'administration Tremblay-Zampino à une société en commandite appelée Côte de Terrebonne, appartenant au fonds immobilier du Fonds de solidarité de la FTQ.
Hier, au Fonds de solidarité, on a confirmé être propriétaire du terrain et vouloir y faire du développement immobilier. Des discussions sont d'ailleurs en cours avec un promoteur qu'on refuse d'identifier. On a toutefois été incapable de préciser si l'intérêt du Fonds avait été signifié à la fin des années 1990 à la Ville de Montréal.
De son côté, Jean Fortier ne fait aucun lien avec le Fonds de solidarité. Par ailleurs, le sommaire décisionnel de la Ville de Montréal recommandant la vente indique que la municipalité de Terrebonne avait demandé que le terrain lui soit cédé gratuitement, pour ensuite «revenir avec une offre de 500 000 $», puis avec une offre verbale d'un million de dollars.
Ce dossier n'est toutefois pas le seul à avoir eu des ramifications mafieuses, selon Jean Fortier. Ce dernier aurait prévenu en 2001 ses collègues du comité exécutif des relations entre une entreprise à qui Montréal s'apprêtait à donner un important contrat et le parrain de la mafia sicilienne au Canada, Vito Rizzuto. Encore là, M. Fortier n'aurait eu droit qu'à un haussement d'épaules.
Il n'hésite d'ailleurs pas à dire que la situation problématique exposée au grand jour depuis quelques mois, et dont le maire Gérald Tremblay a fait mention hier dans Le Devoir en parlant de collusion dans l'octroi de contrats et de circulation d'enveloppes brunes, avait déjà commencé quand il était en fonction. «Ces infiltrations m'ont coûté cher politiquement. Des gens disaient à Pierre Bourque: "Enlève-le de là-dedans, débarrasse-nous de ça"».
Le problème de moeurs était bien présent. «C'est clair que tôt ou tard, il y a quelqu'un qui récompense quelqu'un. Volontairement ou involontairement. De mon temps, je pense que c'était volontaire. Il y a des largesses qui étaient connues. Quand arrivait une campagne électorale, les contracteurs, en bons gentlemen, «potaient»; ils mettaient de l'argent parce qu'on est dans un système et qu'on engraisse le monstre», explique Jean Fortier.
Selon lui, une commission d'environ 5 % des contrats était aussi distribuée. Il ne peut toutefois affirmer si ce sont des élus ou des fonctionnaires qui ont profité du stratagème. Jean Fortier assure n'avoir jamais été sollicité. «J'étais l'innocent dans la gang parce que j'étais le gars que Pierre Bourque avait choisi parce que j'étais un "outsider". Quand il a compris que je comprenais, il a commencé à m'isoler. Le mieux qu'ils ont pu faire, c'est de ne pas me renseigner», analyse Jean Fortier après ces années.
Aujourd'hui, M. Fortier souhaite qu'une enquête publique soit instituée. «Ce que la police va découvrir, c'est des preuves de collusion criminelle. Mais ce qu'il faut découvrir, c'est le système par lequel cela fonctionne pour en arriver à une meilleure gestion de la Ville. C'est une commission d'enquête qui peut faire ça. Ce n'est pas en trouvant les coupables d'actes criminels qu'on va changer le processus», tranche-t-il.


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