ESSAI

La lente agonie du Bloc

Martine Tremblay raconte la formidable ascension et la chute du Bloc québécois

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Curieux «hasard» que cette publication en pleine campagne électorale

Gilles Duceppe a du courage — certains diront de l’inconscience — pour plonger à nouveau dans l’arène électorale : bien avant d’être dévasté par la vague orange en 2011, le Bloc québécois était un parti usé, embourbé dans la routine, qui craignait de se faire rayer de la carte par les électeurs.

Dans un essai qui sera lancé la semaine prochaine, l’auteure Martine Tremblay raconte la formidable ascension du Bloc québécois au début des années 90, sa domination sans partage durant des années, puis son lent déclin à partir du milieu des années 2000.

L’auteure, qui a notamment été chef de cabinet de René Lévesque et sous-ministre adjointe, a mené des dizaines d’entrevues avec des bloquistes de premier plan pour produire ce bouquin de plus de 600 pages. La rébellion tranquille raconte sans complaisance l’histoire de ce parti qui devait durer une seule élection — pour aider le Parti québécois à gagner son référendum sur l’indépendance.

« Je suis fait ! » confie Gilles Duceppe à un de ses députés, le 2 mai 2011, avant même de connaître le résultat du scrutin qui allait dévaster son parti. Le chef du Bloc québécois savait que la néodémocrate Hélène Laverdière allait lui ravir sa forteresse de Laurier–Sainte-Marie, qu’il détenait depuis plus de deux décennies. Le coup de tonnerre a été encore plus fort : le Nouveau Parti démocratique (NPD) a remporté 59 des 75 sièges au Québec. Le Bloc n’en a gardé que quatre.

Des bloquistes frustrés avaient dit à Gilles Duceppe que sa campagne avait été « un désastre ». Il faut dire que la colère grondait depuis des années au sein du parti : les députés se sentaient inutiles, traités comme des enfants d’école, à cause de la discipline de fer imposée par le chef. Depuis l’époque de Lucien Bouchard, les élus bloquistes n’avaient pas le droit d’ouvrir la bouche sans demander la permission au chef.

« Dans les réunions, les dossiers arrivaient déjà mâchés. On n’avait rien à dire. De toute manière, on sentait qu’on tournait à vide, qu’on était en panne d’idées », dit l’ex-députée Vivian Barbot dans le livre de Martine Tremblay.

Confort tranquille

Après des débuts pénibles, Gilles Duceppe est devenu un des leaders politiques les plus respectés au Québec. Et même au Canada. Le Bloc a défendu haut et fort les intérêts du Québec sur la scène fédérale. Mais le chef a laissé le parti s’enliser dans un confort tranquille, estime l’auteure.

« Au fil des ans, le parti aura été gagné par l’usure. Solidement encadrés par un dispositif qui n’admettait aucune entorse à la discipline, aux lignes établies et au rituel immuable de l’institution parlementaire, les députés ont fini par se réfugier dans une sorte de routine », écrit-elle.

« En définitive, en 2011, le Bloc paraît être allé au bout de sa logique, qui consistait à défendre bec et ongles les intérêts du Québec en attendant un troisième référendum. […] S’il a résisté brillamment et le plus longtemps possible, le Bloc a fini par perdre sa légitimité, tout simplement parce que le PQ n’est jamais arrivé, depuis Lucien Bouchard, à réintroduire la question nationale dans la dynamique politique du Québec. »

L’arrivée au pouvoir de Stephen Harper, en 2006, a fait mal au Bloc, estime Martine Tremblay. Le « fédéralisme d’ouverture » et la reconnaissance du caractère distinct des Québécois dans un Canada uni ont coupé l’herbe sous le pied des souverainistes. Le débat s’est transformé en affrontement entre la gauche et la droite plutôt qu’entre fédéralistes et souverainistes, comme c’était le cas depuis 40 ans.

Le Bloc était tellement incrusté dans le paysage à Ottawa qu’il a tenté d’appuyer une coalition entre les libéraux de Stéphane Dion et le NPD de Jack Layton, en 2008. « Sans trop se l’avouer, [les bloquistes] avaient enfin l’occasion de sortir de cette routine du travail d’opposition dans laquelle ils étaient enlisés depuis tant d’années et de se donner les moyens d’influer plus clairement sur l’évolution des choses », analyse Martine Tremblay.

Un parti marginalisé

Le Bloc a été en quelque sorte piégé par sa longévité. Lucien Bouchard avait pourtant dit, en fondant le parti en 1990, qu’on mesurerait le succès du parti à la brièveté de son mandat. Lors de la campagne de 1993, les militants bloquistes portaient un t-shirt où il était écrit : « J’ai travaillé à la seule et dernière campagne électorale du Bloc québécois. »

En s’accrochant à Ottawa, le Bloc a craint régulièrement pour sa survie, malgré ses six éclatantes victoires électorales. Le sondeur Michel Lemieux avait servi cette mise en garde aux bloquistes dès 1996 : « Le Bloc ne doit rien tenir pour acquis sur la base de la précédente élection ou du référendum. Le ressort qui a conduit à ces résultats est maintenant très détendu et il n’y aura pas de vague pro-Bloc […]. Les gens s’interrogent vraiment sur la justification de l’existence même du Bloc, maintenant que Lucien Bouchard est au pouvoir à Québec. »

Sept ans plus tard, en 2003, « on a vraiment pensé qu’on allait disparaître » quand Paul Martin a succédé à Jean Chrétien à la tête du Parti libéral, dit l’ex-député Pierre Paquette, dans le livre. Le rapport dévastateur de la vérificatrice générale Sheila Fraser sur le scandale des commandites, en février 2004, a redonné vie au Bloc.

« Ça ne pourra pas toujours continuer », confie de son côté Gilles Duceppe à un député après l’élection de 2006, remportée par les conservateurs. Le Bloc avait perdu du terrain. Cinq ans plus tard, en 2011, le Bloc est devenu « une formation marginalisée dont les chances de survie à moyen terme paraissent bien minces », écrit Martine Tremblay.

L’auteure cite un éditorial du Devoir, qui soulignait dès juillet 1992 les défis de la présence souverainiste à Ottawa : « […] après deux ans, le Bloc québécois n’a pas réussi, au-delà du vague idéal souverainiste, à se donner une feuille de route cohérente et crédible. […] D’Henri Bourassa aux créditistes des années 60 et 80, en passant par le Bloc populaire d’après la conscription, la preuve est faite que les avant-postes québécois ont une carrière éphémère à Ottawa. »


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