La haine sans gêne

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« Notre époque croit de moins en moins en la discussion démocratique. »

Le philosophe Alain Finkielkraut a déjà qualifié internet de vide-ordures­­­ à ciel ouvert. Et c’était avant l’arrivée de Facebook et Twitter.


Si la haine s’expose quelque part sans gêne, de manière absolument décomplexée, c’est là.


On y désigne à la vindicte publique des politiciens, des intellectuels, des journalistes ou des écrivains, et on engage contre eux une forme de lapidation symbolique. « Ordure », « salopard », « chien » : de tels termes ne sont pas rares.


Violence


Une telle violence rhétorique, bien souvent, semble traduire un désir de meurtre plus ou moins avoué. On présente un individu comme un monstre, et on invite la meute à se jeter dessus. On peine à s’habituer à de tels propos.


Il y a même des spécialistes en la matière, des diffamateurs professionnels, qui font presque cela à temps plein. Et il ne s’agit pas que d’analphabètes. Avoir de bons diplômes n’immunise pas contre la haine idéologique. Parmi les professionnels de la haine en ligne, on trouve un bon lot de professeurs de cégep et d’université et même quelques artistes.


Ce qui est fascinant, c’est que plusieurs personnes qui se piquent d’être particulièrement tolérantes et éclairées s’adonnent à la polémique haineuse. Et c’est au nom de l’amour du genre humain qu’elles se donnent le droit d’être ordurières. Elles croient avoir le monopole du cœur et de la vertu et traitent comme des ennemis de l’humanité ceux qui voient le monde autrement.


Ces gens s’imaginent en lutte contre la haine, et ils se permettent conséquemment de haïr ceux qu’ils appellent les haineux. Contre ces derniers, tout est permis. Et le système médiatique a tendance à leur donner raison ou du moins, à banaliser leurs propos.


Une controverse américaine nous en donne un exemple récent.


Sarah Jeong vient tout juste de se faire embaucher dans l’équipe éditoriale du New York Times. Mais très peu de temps après son embauche, des tweets datant de 2014 ont remonté à la surface. Elle s’y montrait d’un racisme militant contre les Blancs, auxquels elle souhaitait de crever et de disparaître de la surface de la planète.


Ces propos auraient pu lui coûter cher si elle s’était montrée aussi haineuse à l’endroit des Noirs, des Asiatiques ou des Arabes. Personne ne lui aurait pardonné. Mais elle a ciblé la « race » qu’on peut détester. Il lui a suffi de s’excuser pour que son journal lui pardonne, d’autant qu’elle a prétendu avoir voulu seulement imiter les racistes qui l’avaient d’abord attaquée.


Ce qui est amusant, c’est qu’il faut faire semblant de la croire.


Ennemis


Les médias sociaux s’alimentent aux passions propres à la guerre civile. On n’y débat pas : on veut humilier son adversaire, on veut le détruire, on souhaite sa mort sociale. On le traite en ennemi. Les médias sociaux rassemblent les hommes et les femmes en tribus et les jettent au cœur d’une mêlée pour s’étriper virtuellement. Et ils en jouissent. Peut-on vraiment espérer les civiliser ?


Notre époque croit de moins en moins en la discussion démocratique. C’est triste, mais c’est ainsi.