La grève à l'UQAM - Servitude universitaire

Grève à l'UQÀM



Annonçant à grands cris que l'embauche de 300 nouveaux professeurs serait synonyme de qualité de l'enseignement, le Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Montréal (SPUQ) a ouvert la porte à la pressante nécessité de certaines mises au point. Ou au poing, c'est selon.
Pour le bénéfice de toute une population qui connaît mal la structure interne des corps enseignants qu'on trouve à l'UQAM, précisons d'emblée qu'environ 60 % des charges de cours qu'offre l'université y sont données, bon an, mal an, par les chargés de cours (CC), entité défendue par le syndicat du même nom, le SCCUQ.
Plusieurs, chez les étudiants comme dans le grand public, pensent que le fait d'être CC à l'université constitue une étape intermédiaire entre la fin des études et l'accès à la profession de professeur. Mais ce n'est pas vrai.
Cette impression vient de ce que la grande majorité des professeurs ont terminé leur doctorat alors que certains chargés de cours, ayant presque tous une maîtrise, parachèvent leurs études doctorales (ou de maîtrise, le cas échéant) en même temps qu'ils enseignent.
On se dit alors, comme si cela allait de soi, qu'il n'y a plus qu'à compléter le Ph.D. pour changer d'accréditation et devenir professeur. Erreur!
Gigantesque erreur!
Société rétrograde et conservatrice
Les 300 postes réclamés aujourd'hui par le SPUQ ne concernent en rien les CC en place. Les efforts d'intégration menés par ces derniers depuis une quinzaine d'années sont balayés ici du revers de la main sans aucune considération. Pis, avec l'équation «qualité de l'enseignement = 300 nouveaux postes», on affirme implicitement, insidieusement, lâchement et malhonnêtement (pour être bref), que l'enseignement actuel (donné six fois sur dix par un CC) y est défaillant.
Il faut comprendre d'abord que la société universitaire est l'une des plus rétrogrades et conservatrices qui soient quant à l'embauche de ses membres (professoraux) permanents. On agit encore avec des prémices et des principes qui datent probablement du Moyen Âge (les universités datent environ du XIIIe siècle), à une époque où il semble avoir été crucial, pour obtenir un poste, de venir du plus loin possible pour assurer l'«universalité» de la connaissance du temps, ce qui était tout à fait compréhensible au moment où Internet rimait avec pigeons voyageurs. On se limite encore aujourd'hui à un modèle ultra-statique (pourtant ouvert aux népotismes de tout acabit, en particulier le «tinamisme» qui y fait des ravages), alors que tout autour bouge à vitesse grand V.
C'est du moins ce que l'on prêche à l'UQAM, dans plusieurs départements, quand vient le temps d'embaucher un nouveau professeur. Le CC, ayant le plus souvent complété son doctorat à l'UQAM, n'aura que peu de chances d'y être engagé, même s'il y assure une partie importante de l'enseignement, parfois depuis près de 30 ans. La question se pose tout naturellement: est-ce vraiment le souci d'universalité qui freine l'embauche des CC?
La recherche
On invoquera aussi la recherche, que le CC ne fait pas, tout simplement, par définition. Il serait plus juste de dire que, même s'il poursuit des recherches (à titre personnel (!) et à ses frais le plus souvent), ces dernières ne sont pas reconnues par l'université, car alors il accomplirait la même tâche qu'un professeur! M'suivez? En passant, de nombreux professeurs ont arrêté toute production et toute recherche depuis belle lurette. Il y a 15 ans, quand tout allait bien, la moyenne de publication (sans s) à l'UQAM, par professeur, ne dépassait pas un article par année.
Je ne compte plus les fois où je me suis fait demander: «Coudonc, t'as pas fini ton doc, toi? Comment ça se fait que t'es pas prof?» Chaque fois, il me faut expliquer que les liens entre les deux entités ne sont pas de cet ordre. Au contraire, à ce que j'ai vu jusqu'à maintenant en 20 ans de pratique, devenir chargé de cours est un pas à ne pas franchir si l'on veut être un jour professeur!
Les vraies raisons?
Primo: les économies engendrées par l'adoption administrative d'un corps enseignant secondaire, «cheap labour», assurément moins coûteux et, somme toute, tout aussi fonctionnel.
Secundo: la naissance et le développement d'une structure «apartheid», une stratification étanche du corps enseignant en deux castes résolument distinctes, à l'indienne, qui permet la gestion et la régulation optimale du flux des besoins universitaires en matière d'enseignement en même temps qu'il prodigue à la caste «supérieure» un crachoir systémique dans lequel se déversent régulièrement mépris et mésestime, voire dédain et aversion. On le voit clairement en période de crise.
La «qualité» dont le SPUQ fait mention en embauchant 300 professeurs est synonyme, cela n'a été annoncé nulle part, de l'expulsion d'au moins autant de chargés de cours qui vivent depuis très longtemps de ce système apartheid, sans qu'on ait toutefois démontré leur inefficacité et leur «absence de qualité», justement. Pour donner une idée, il suffira de dire que le lauréat du concours du meilleur enseignant (CC et profs confondus) de la Faculté des sciences en 2008 est un CC... qui fait de la recherche!
Harcèlement moral
On se sert encore une fois du bouc émissaire commode que constitue le chargé de cours, ce robineux universitaire, pour régler des problèmes qui n'ont strictement rien à voir avec la qualité de son enseignement. En fait, la crise met en lumière la véritable fonction du CC: celle de nègre savant, instrument précaire par excellence du néolibéralisme sauvage des années 80 dont on peut disposer à sa guise.
En juin 2008, Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a donné une conférence à l'École des sciences de la gestion (affiliée à l'UQAM) sur le harcèlement moral, diffusée il y a quelques semaines sur Canal Savoir. Le choc: en écoutant la description du harcelé moral, concept que je ne connaissais pas du tout, je me suis tout à coup senti dévisagé, montré du doigt, décrit presque parfaitement! Bien que Mme Hirigoyen mette ses lecteurs en garde contre ce genre d'abus (la notion est de nature interpersonnelle), j'invite tout un chacun à la connaissance de ses ouvrages. On pourra peut-être comprendre que le lien qui s'est tissé depuis 30 ans entre CC et professeurs à l'UQAM a tout du harcèlement moral systémique, institutionnel.
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Ivan Constantineau, Chargé de cours en mathématiques et informatique à l'UQAM

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