J’avoue bien humblement être dérouté par tout ce débat entourant la « charte des valeurs québécoises » les accommodements et la laïcité. Quelqu’un a-t- il eu le soin de définir ces valeurs qui nous distingueraient des autres peuples ? Ou qui ajouteraient quelque chose de significatif aux chartes des droits et libertés de la personne maintenant universelles, bien qu’elles ne soient pas uniformément appliquées ou comprises ?

Reconnaissons que la proposition du gouvernement, relativement claire, se résume à ce simple énoncé : « établir la neutralité religieuse de l’État québécois », en l’inscrivant dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, en imposant un droit de réserve et de neutralité au personnel de l’État, en encadrant le port des signes religieux ostentatoires pour le même personnel et en établissant la règle de recevoir et de donner à visage découvert les services de l’État.
L’État québécois peut-il être et est-il véritablement neutre en matière de religion ? En parcourant le Québec du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, y a-t-il un seul village, une seule ville qui n’ait pas son clocher, son cimetière parsemé de croix, quand ce ne sont pas un calvaire et une croix de chemin bien en vue le long des routes de campagne…? La « Loi relative à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique », sanctionnée le 21 mars 1922, permet au Conseil exécutif de classer, sur recommandation de la Commission des monuments historiques, des monuments et des objets d'art dont la conservation présente un intérêt national au point de vue de l'histoire ou de l'art. Ces monument et objets comprennent des églises et chapelles anciennes, des forts du régime français, des moulins à vent, des calvaires et croix de chemin, des inscriptions commémoratives, des monuments de dévotion et des vieilles maisons, éligibles après classement, aux subventions publiques.
La loi de 1922 a été reconduite lors de l’adoption à l'unanimité par l'Assemblée nationale de la « Loi sur le patrimoine culturel », sanctionnée le 19 octobre 2011, qui inclut dorénavant le patrimoine immatériel, événements, lieux et personnages historiques. Les subventions proviennent du Fonds du patrimoine culturel québécois, doté d’une enveloppe d’environ 12 M $. Le soutien public aux églises et monuments de dévotion notamment concerne en fait des lieux de culte actifs, bien vivants.

Qui plus est, l’État québécois subventionne 138 écoles privées confessionnelles parmi 252 établissements d'enseignement privés. En 2010-2011, 61,5 % des installations privées recevaient une subvention pour la totalité de leurs services éducatifs et davantage d’écoles confessionnelles reçoivent du financement. Ces écoles se rattachent toutes à une confession monothéiste, soit catholique, orthodoxe, grecque, apostolique arménienne, évangélique, adventiste, brethren, juive ou musulmane. Le phénomène n’est pas marginal puisque 71 % des élèves du réseau privé fréquentent des écoles se rattachant à une tradition religieuse ou à une communauté de foi. Alors que les effectifs étudiants diminuent dans le réseau public, ils augmentent dans le réseau privé et plus rapidement dans les écoles privées confessionnelles. L’augmentation des effectifs des écoles catholiques au cours des douze dernières années (15 366 élèves) est supérieure au nombre total d'élèves fréquentant toutes les autres écoles confessionnelles (12 655). Ces données proviennent d’une étude fort intéressante intitulée « Le fait religieux dans les écoles privées du Québec », produite en juin 2012 par le Comité des affaires religieuses du ministère de l'Éducation, du loisir et du Sport (MELS).
Une autre information significative tirée de cette étude concerne la place des filles dans les écoles privées confessionnelles. La proportion de filles dans les écoles privées confessionnelles est de 54,8 % dans les écoles catholiques, 56,2 % dans les écoles juives, 53,9 % dans les écoles musulmanes, 45,4 % dans les écoles protestantes. Les jeunes musulmanes ne sont donc pas discriminées et occupent une place tout à fait comparable aux jeunes filles catholiques.
L’État québécois sera neutre en matière religieuse s’il n’appuie tacitement aucune confession religieuse ou, à l’opposé, s’il les appuie toutes également sans discrimination.
Le voile islamique
Je ne suis pas très chaud à l’idée qu’un État définisse le comment-vivre-ensemble, ce que les gens doivent croire ou non, comment ils doivent s’habiller, ce qu’ils doivent porter comme témoignage de leur foi…La démarche s’apparente un peu trop à la pensée unique des États totalitaires qui ont ensanglanté le XXè siècle. D’ailleurs, pourquoi une jeune femme âgée de 18 ans, jugée suffisamment mature pour voter aux élections, tant fédérales, provinciales ou municipales, n’aurait pas la liberté, entre autres, de choisir ses croyances, ses vêtements ? Nos mères se rappelleront l’époque au Québec où une femme ne pouvait entrer dans une église la tête découverte ; elles devaient porter un chapeau, un fichu, une voilette…Les us et coutumes ont évolué. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les membres de d’autres confessions religieuses ?
La fixation actuelle contre le voile islamique, le lien que certains font entre cette pièce de vêtement et l’Islam ne trouve pas sa justification dans le Coran, le livre saint des musulmans. Le lecteur intéressé à réfléchir honnêtement à cette question trouvera dans l’encyclopédie virtuelle Wikipédia un texte particulièrement éclairant dont j’extrais quelques éléments qui me paraissent essentiels.
[ Le terme « voile » en français, celui que l’on porte sur la tête est abordé (indirectement) deux fois dans le Coran :
• Dans la sourate XXXIII, verset 59 :
« Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de resserrer sur elles leurs voiles : c'est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées. - Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux. »
Le mot traduit par « voile » ici et dans beaucoup de traductions est le mot arabe jalabibihenna, de jalâbib qui est le féminin pluriel de jilbab (la djellaba maghrébine ou la galabeyya égyptienne) qui signifie donc « robe », « habit », « châle » ou « mante ». Ce verset coranique constituerait donc davantage un appel à la bienséance et à la préservation sociale qu'une injonction vestimentaire spécifique.
• Dans la sourate XXIV, versets 30,31 :
« Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté. C'est plus pur pour eux. Allah est, certes, Parfaitement Connaisseur de ce qu'ils font. Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs (...).
Le mot traduit par « voile » ici est le mot arabe « khimar » qui signifie « mante » ou « mantille ». Quant au terme rendu ici par « poitrines », il s'agit du terme arabe « juyub », que d'autres traducteurs ont rendu par échancrure, gorges, seins, ou encore décolletés. Le terme juyub est utilisé par le Coran au singulier jayb (qui veut dire corsage, chemisier ou blouse). Extraits de Wikipédia ].

Ce texte suggère finalement que le voile islamique relève davantage des us et coutumes, des règles de bienséance et du bon sens, que de la foi comme telle.
Yvonnick Roy
Québec