(Ottawa ) Le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, compte les jours. D’ici la mi-février, le premier ministre de la seule province officiellement bilingue du pays, Blaine Higgs, annoncera s’il entend tirer sa révérence ou s’il briguera de nouveau les suffrages aux prochaines élections.
Depuis qu’il est premier ministre, Blaine Higgs ne cesse d’assener « des claques à répétition au visage des francophones », estime M. Doucet, et les Acadiens en ont assez de tendre l’autre joue.
« Oui, il est vrai que je compte les jours », laisse tomber au bout du fil M. Doucet, joint par La Presse cette semaine. « Je n’ai que 28 ans, mais c’est la première fois que je vois de mon vivant une communauté francophone et acadienne à ce point dégoûtée par les décisions et les déclarations d’un premier ministre. Non seulement il ne tient pas compte des préoccupations de notre communauté, mais il les repousse carrément du revers de la main », a soutenu M. Doucet.
M. Doucet va jusqu’à réclamer l’appui du gouvernement du Québec pour contrer l’érosion des droits des francophones dans sa province.
« Le Canada est un pays officiellement bilingue. Mais son petit projet pilote qu’est le Nouveau-Brunswick va mal. Et quand je parle à mes partenaires francophones des autres provinces, cela les inquiète grandement. Ils ne veulent pas imaginer ce qui pourrait se passer en Alberta, par exemple, lorsqu’ils voient que l’on passe nos droits à la trappe ici. »
Consternation
Au cours des derniers mois, le premier ministre Blaine Higgs a aboli le programme d’immersion française dans les écoles – provoquant la démission du ministre de l’Éducation, Dominic Cardy – et a laissé un rapport sur la réforme de la Loi sur les langues officielles accumuler la poussière pendant plus d’un an.
Il a jonglé avec l’idée d’abolir le poste de Commissaire aux langues officielles et a nommé Kris Austin, l’ancien chef de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, un parti hostile au bilinguisme officiel, au poste de ministre de la Sécurité publique au sein de son cabinet. Il a par la suite poussé l’injure en nommant M. Austin au sein d’un comité chargé de réviser la Loi sur les langues officielles.
Cette nomination a même suscité l’ire du premier ministre Justin Trudeau, qui a jugé ce geste comme un affront et a tenu à le faire savoir au principal intéressé lors d’un appel téléphonique.
Mais M. Higgs n’avait pas fini de provoquer la consternation. Dans une déclaration qui a choqué plusieurs leaders francophones à la fin de décembre, M. Higgs a dit prendre ces mesures pour éviter que d’autres gens comme lui ne soient victimes de discrimination en raison de leur unilinguisme…
« Higgs ne veut pas comprendre »
Dans les années 1980, M. Higgs a été l’un des dirigeants du Confederation of Regions (CoR), un parti qui prônait l’abolition du bilinguisme officiel et qui considérait la langue française comme une nuisance au Nouveau-Brunswick.
Pour la majorité des Acadiens et des francophones, M. Higgs montre ses vraies couleurs depuis qu’il a obtenu la majorité des sièges à l’Assemblée législative, aux élections de 2020, après avoir dirigé un gouvernement minoritaire pendant deux ans.
Au cours des derniers mois, on constate une forte ressemblance entre les décisions que [Blaine Higgs] a prises et les propositions qu’il a rédigées lorsqu’il était candidat du CoR.
Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick
La SANB et d’autres organismes représentant les Acadiens et les francophones ont multiplié les rencontres avec M. Higgs pour le sensibiliser au cours des deux dernières années. « On a fait tout ce que l’on peut pour le sensibiliser. Mais visiblement, il ne veut pas comprendre. »
À l’instar des autres régions au pays, le poids démographique des francophones ne cesse de diminuer au Nouveau-Brunswick. La proportion des francophones est passée de 31,9 % en 2011 à 31,6 % en 2016 à 30 % en 2021.
Aux dernières élections provinciales, M. Higgs a réussi à obtenir un mandat majoritaire sans récolter l’appui des électeurs francophones. La province a été essentiellement coupée en deux : les circonscriptions du nord et de l’est de la province, où vivent la majorité des francophones, ont voté libéral, tandis que les circonscriptions au sud, qui comprennent la capitale Fredericton et la ville portuaire de Saint John, ont jeté leur dévolu sur les conservateurs.
Démographie acadienne en chute libre
L’appui aux conservateurs dans les circonscriptions francophones n’a jamais été aussi bas en 100 ans, selon le politologue Gabriel Arsenault, qui a mené avec son collègue universitaire Roger Ouellette une vaste étude sur les résultats des élections dans la province depuis 1917.
Résultat : Blaine Higgs peut se passer de l’appui des électeurs francophones pour conserver le pouvoir.
Le recensement de 2021 a démontré que la démographie acadienne était en chute libre par rapport à la communauté anglophone. On aurait donc besoin d’un gouvernement qui serait disposé à adopter des mesures pour favoriser l’épanouissement de la communauté acadienne et francophone.
Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick
« Quand on est une minorité, on ne peut jamais tenir ses droits pour acquis. Cette phrase prend une dimension très importante aujourd’hui. Il va falloir se serrer les coudes pour défendre nos droits. L’assimilation, c’est une mort qui n’arrive pas du jour au lendemain. C’est quelque chose qui se produit à long terme. »
M. Doucet connaît bien les grands moments de l’histoire acadienne. La déportation de quelque 10 000 Acadiens par les soldats britanniques, entre 1755 et 1763, parce qu’ils refusaient de prêter serment d’allégeance à la Couronne, en est un. Depuis deux ans, la politique du gouvernement Higgs s’apparente à une « déportation tranquille » des francophones. On les dépouille de leurs droits sans les expulser de la province.