Pourquoi il faut relire Marcuse

La démocratie corrompue, lecture de l'Homme Unidimensionnel

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Tribune libre

Publié en 1964, L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse, philosophe de l’Ecole de Francfort (qui a compté dans ses rangs Habermas ou le duo Adorno/Horkheimer), garde une fraîcheur, une actualité, une puissance critique rares. L'idée-force de Marcuse est la suivante : les démocraties modernes cachent des didactures. 


Une critique de la modernité


Selon Marcuse, les sociétés dites modernes sont des “sociétés closes” qui intègrent toutes les dimensions de l’existence humaine, privée et publique, en faisant le meilleur régime de domination (la réutilisation des concepts de Marx est assez évidente pour ne pas la souligner). La démocratie, sous l’apparence de la liberté d’expression, “étouffe les forces révolutionnaires par de nouvelles formes de contrôle total”. La subversion, la protestation et autre forme de pensée libre devient vaine, puisque tout est déjà à l'intérieur du système. Contrairement au 19eme siècle, époque marquée par l'exclusion du prolétariat des espaces publics, le 20ème siècle est caractérisé par une “politique d’intégration croissante” des masses autrefois ostensiblement exclues. Mais cette intégration s'est faite pour sauvegarder le système, pas pour le remettre en cause. Les masses ont été intégré au système pour le protéger, à l'instar du système décrit par Pareto sur la rotation des élites.


Les sociétés industrielles, ces nouveaux totalitarismes


Dans les sociétés industrielles avancées, Marcuse affirme que l’appareil de production est totalitaire, en ce sens qu’il détermine les activités, les attitudes et les aptitudes qu’implique la vie sociale. Elle définit et régule aussi les aspirations et les besoins individuels. Pensons à la consommation exacerbée (jeux en ligne, shopping compulsif, addictions diverses, ... Ainsi, la création de faux besoins et le contrôle de ces mêmes besoins ont pour corollaire la disparition de la séparation entre vie privée et vie publique : seul le consommateur demeure. C’est cette unique condition ontologique que Marcuse appelle “undimensionnelle“.


Le pluralisme des démocraties est un artefact visant à masquer que “le système spécifique de production et de distribution qu’a la forme du gouvernement“. C’est le pouvoir critique de l’individu qui définit le degré de démocratie d’une société. Or, la pensée individuelle est “noyée dans les communications de masse”. Tel est le double rôle des médias : informer/divertir, mais aussi conditionner/endoctriner. Les comportements et les pensées s’unidimensionnalisent par la publicité, l’industrie des loisirs et de l’information. La pensée unidimensionnelle est le le “système dominant qui coordonne toutes les idées et tous les objectifs avec ceux qu’il produit, dont il les enferme et rejette ceux qui sont inconciliables”.


Les protestations, intégrées au système, ne sont plus négatives, elles servent à justifier le statu quo. Cette négation de la critique est une négation de la transcendance, qui est une aspiration fondamentale de l’homme. Le système social est statique, dans une logique d’enfermement.


La société a en effet crée une sorte d’harmonie pré-établie, comme les monades chez Leibniz, entres les intérêts antagonistes de la société civile. Marcuse pointe le monisme politique où la diversité n’est qu’apparente. Voyons par exemple la scène politique américaine, dominée par deux partis, dont les approches et solutions programmatiques sont ténues.


Même les ennemis des institutions et de la démocratie sont devenus “une force normale à l’intérieur du système”. Le renversement est ainsi historique : si initialement c’est la critique de la société civile qui permet à l’Etat de réguler son pouvoir, c’est aujourd’hui l’Etat qui bride la critique et l’affaiblit. Les limities de la critique sont dés lors imposées.


Si aujourd'hui , la démocratie ne fait plus débat, la relecture de Marcuse nous rappelle cependant une exigence fondamentale : le besoin de critique de la démocratie, afin qu'on se rappelle de cette vérité : Penser, c’est nier, c'est s'opposer.


Pour aller plus loin, la lecture de La societé du Spectacle de Guy Debord est intéressante.



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1 commentaire

  • Alexis Cossette-Trudel Répondre

    12 décembre 2017

    Penser, ça peut aussi être comrpendre et accepter.