(Québec) Le pont Champlain à Montréal doit être remplacé et vite, a conclu le gouvernement fédéral après un rapport dévastateur de la firme de génie-conseil Delcan. Le même bureau a réalisé en 2008 une inspection du pont de Québec. Photos à l'appui, les ingénieurs notaient la progression de la rouille et la «dégradation à un rythme accéléré» de la structure, autrement considérée en bon état relatif. Leurs constats sont tombés à plat.
Pas besoin d'être ingénieur pour remarquer l'ampleur de la rouille sur le vieil ouvrage d'acier terminé en 1917. Les utilisateurs se passent le commentaire quotidiennement, et les admirateurs du plus long pont cantilever au monde s'en désolent.
En 2008, la firme Delcan documentait le phénomène pour Transports Canada, en conflit avec le propriétaire, le CN, pour des travaux de peinture non complétés. Il s'agit du dernier rapport public concernant cet ouvrage.
Quatre ingénieurs ont passé une dizaine de jours à examiner le pont sous toutes ses coutures. Ils ont trouvé des poutres et des plaques d'acier délaminées et perforées, des boulons grugés par la rouille. À plusieurs endroits, des débris bloquaient les trous devant permettre à l'eau de s'écouler, augmentant l'humidité dans la structure... et la rouille. Les excréments d'oiseaux, substance très corrosive, minaient les surfaces non protégées.
Les approches nord et sud du pont étaient particulièrement dégradées au moment de l'inspection de Delcan. Tout du long, entre 20 pieds au-dessus et 20 pieds au-dessous de la voie carrossable, les dommages étaient également plus importants en raison de l'utilisation de produits de déglaçage l'hiver, lesquels sont projetés lors du passage des voitures et des déneigeuses.
Tout cela du fait que l'acier n'est plus protégé. De rapport en rapport sur l'état de la structure depuis les années 90, les ingénieurs notent que la progression de la rouille s'accélère sur le pont de Québec. La vieille peinture verte est aujourd'hui de l'ordre du souvenir. Même la section repeinte est déjà sur une pente descendante.
Dans leur rapport, les représentants de Delcan remettent en question le choix de peinture fait par le CN. Au lieu de décaper au jet de sable, puis d'ajouter trois couches de peinture au zinc, une technique habituelle, le propriétaire du pont a plutôt appliqué une «surcouche», qui sert habituellement à prolonger la durée d'une peinture existante. Ce choix a été fait sur la base des coûts, le manufacturier estimant les économies à 140 millions $ pour un ouvrage comme le pont de Québec.
En bonne condition, mais...
«Dans un sens très général, le pont est en bonne condition. Cependant, il ne va pas le demeurer si aucune action n'est prise pour arrêter la détérioration constatée pendant l'inspection», résume Delcan dans son rapport daté de janvier 2009. Les ingénieurs écrivent également que «la vitesse de corrosion s'accélère, ce qui pose un risque pour la structure au fil du temps».
Cinq ans plus tard, rien n'a été fait pour améliorer la condition de ce lieu historique national, aussi classé monument historique international du génie civil.
Transports Canada n'a pas voulu répondre aux questions du Soleil, car il poursuit le CN relativement aux travaux de peinture. Nous est parvenu un simple courriel disant que «le gouvernement du Canada reconnaît l'importance de conserver le pont de Québec en bon état», ce que le CN s'était engagé à faire, répète-t-on.
Le CN affirme que tous ses ponts sont inspectés annuellement, même si l'intervalle réglementaire est de 540 jours. La firme de génie-conseil Roche a été mandatée en 2011 pour une inspection détaillée du pont de Québec, laquelle a été mise à jour en 2012 et en 2013. «La firme Roche était en 2011 et continue d'être à ce jour d'avis que le pont de Québec est dans un état propre à assurer sa pérennité à long terme», a écrit au Soleil Louis-Antoine Paquin, directeur régional des affaires publiques et gouvernementales du CN. Ces rapports sont toutefois gardés confidentiels.
Celui-ci assure que l'entreprise effectue les travaux requis «pour assurer la sécurité du public, celle des utilisateurs du pont et l'intégrité à long terme du pont». Des «sommes importantes», jamais précisées, auraient ainsi été investies depuis la fin du programme de travaux majeurs qui tournait autour de la peinture.
«Tout est OK»
Au ministère des Transports du Québec, les ingénieurs ont pris connaissance des études de Delcan et de Roche, dit Yann Langlais-Plante, attaché de presse du ministre Sylvain Gaudreault. Comme l'entretien de la voie carrossable relève de Québec, des inspections du tablier du vieux pont sont également menées régulièrement. La plus récente, réalisée cet automne, indique que «tout est OK», selon le porte-parole.
Pour le reste de la structure, «on a un peu le même problème là-dessus que pour le pont Champlain. On a une société fédérale qui gère le pont. Nos informations se basent sur l'évaluation qui est faite par le CN. Nous, jusqu'à preuve du contraire, ce qu'on a entre les mains, c'est que le pont est sécuritaire et que les suivis nécessaires sont faits», explique M. Langlais-Plante, précisant que «pour l'instant, on n'est pas dans un scénario catastrophe».
La question de la sécurité du pont a été abordée par Québec dans les négociations avec le CN en vue de renouveler l'entente permettant le passage des automobiles, voire acheter le pont. Mais aucune étude n'a été commandée à cette fin.
Selon Sam Hamad, député de Louis-Hébert, ancien ministre des Transports et ex-membre de la Coalition pour la sauvegarde du pont de Québec, ces négociations doivent se faire avec en main les données les plus à jour. Advenant un transfert, «l'état du pont est un élément déterminant», ne serait-ce que pour confirmer l'ampleur des travaux à réaliser. «Il y a un sentiment d'urgence. En bon québécois, il faut que le PQ [Parti québécois] grouille parce que plus il retarde, plus ça devient urgent après.»
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Le pont mérite une «attention urgente»
Pour Michel L'Hébreux, conférencier et auteur de livres sur l'histoire du pont de Québec, le «bien patrimonial» mérite une attention urgente.
«Si on ne s'en occupe pas, les dommages vont être irréversibles», dit-il en se basant sur le rapport Delcan. «On sait que plus un objet est magané, plus il se détériore rapidement et c'est le cas présentement», ajoute ce passionné.
M. L'Hébreux s'inquiète particulièrement de l'attaque de pièces maîtresses du pont, comme les barres à oeil (eye-bars), qui permettent une certaine flexibilité au pont en cas de gros choc. Or, ces morceaux ne peuvent être remplacés, au risque de voir le pont s'écrouler.
L'historien affirme qu'il ne se passe pas une journée sans qu'il rencontre une personne inquiète de l'avenir du pont. «On a l'exemple du pont Champlain. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard.»
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