La couette du tribun

Les représentations du tribun et chef des révolutionnaires de 1837-1838 ont traversé le temps

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire




Dominic Hardy - L'auteur est professeur au Département d'histoire de l'art de l'Université du Québec à Montréal.
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L'apparence n'a jamais fait l'homme. Mais pour reconnaître Louis-Joseph Papineau, nul besoin de se replonger dans ses floraisons rhétoriques. Son attribut le plus reconnaissable, celui qui investit le mieux l'iconographie, est sans doute sa couette. Son toupet, sa mèche, sa houppe. Elle domine sa chevelure, coiffant d'un pic alpin le regard perçant du chef des Patriotes. En fait foi l'œuvre célébrissime de 1858 que nous a léguée son gendre, Napoléon Bourassa (1827-1916). Ce portrait majestueux, conservé au Musée national des beaux-arts du Québec, figure d'ailleurs dans l'importante rétrospective que le Musée consacre actuellement au peintre (Napoléon Bourassa. La quête de l'idéal, jusqu'au 1er avril 2012).
À l'heure des transformations du XIXe siècle, l'élégante pyramide blanche qui coiffe le tribun, cet épi à la Tintin, est aussi bien présent dans un daguerréotype réalisé vers 1852 et attribué à Thomas Coffin Doane. La précieuse photographie est conservée par Bibliothèque et Archives Canada.
Mais qu'aurait fait un grand caricaturiste comme Honoré Daumier devant une telle tête? Quelques modestes caricatures canadiennes, issues surtout de la presse polémique anglophone de l'époque, n'ont pas manqué le rendez-vous et montrent Papineau tel qu'il est envisagé par une partie de ses opposants. On le voit par exemple apparaître dans l'imprimé montréalais Punch in Canada, dans les mois qui précèdent l'attaque et l'incendie du parlement, en avril 1849. Ces représentations du tribun ne semblent avoir connu aucune suite immédiate. Les dessins de Papineau demeurent rares. Mais une étude complète des représentations du tribun reste cependant à établir.
Un siècle plus tard, en 1937, les commémorations des événements révolutionnaires de 1837-1838 donnent lieu à une recrudescence de la représentation illustrée de Louis-Joseph Papineau. Des «têtes à Papineau» paraissent alors dans plusieurs journaux, au milieu d'une décennie troublée et troublante. Une gravure d'une tête de Papineau, publiée à Glasgow en Écosse en 1840 et dont une copie est conservée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), semble être la source principale de ces images, toutes datées de la fin des années 1930.
Papineau est alors tiré, iconographiquement parlant, dans tous les sens. Le 1er février 1937, Marcel Hamel et Paul Bouchard signent, à la une de leur journal fasciste La Nation, un billet revendiquant l'exemple de ce «lutteur [...] profondément canadien» qui «eut la folie de sa race». Comme illustration à ce texte, une gravure signée par «Mlle Marguerite Giguère» évoque les travaux de Rodolphe Duguay et la renaissance de la gravure sur bois alors en cours.
Le 22 mai, le journal communiste montréalais Clarté propose à ses lecteurs à peu près la même image! Cette fois, le dessin est dû au crayon de Harry Mayerovitch (1910-2004), qui signe sous le pseudonyme Henri. «Honneur aux héros de 1837!», lit-on en manchette. Et l'éditorial du numéro conclut sur l'à-propos des revendications des Patriotes: «Si nous voulons gagner pour Québec un plus haut niveau de vie... il faut faire revivre l'esprit fier et combatif des Démocrates Canadiens, de Papineau et Mackenzie et de leurs adhérents courageux, pour FAIRE RECULER LES ENNEMIS DU PEUPLE, LES TRUSTS ET LEUR AGENT DUPLESSIS-L'AFFAMEUR!.»
Quoi qu'il en soit, le dernier mot (et le dernier cri) appartient à La Province, organe de Paul Gouin, le fondateur de l'Action libérale nationale. Dans sa livraison du 27 février, La Province recommande dans sa page féminine le port d'une «toque de feutre sombre avec garniture de plumes», dont deux exemples sont présentés devant un miroir d'où Papineau nous guette toujours, dirigeant la destinée du peuple.
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Professeur au Département d'histoire de l'art de l'Université du Québec à Montréal.





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