La conférence de Potsdam : origine de la confrontation Est-Ouest

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Répéter les erreurs du passé ne peut pas conduire à des résultats différents

Un expert militaire russe analyse ici les origines historiques de la confrontation Est-Ouest. Une volonté ininterrompue, à l’Ouest, de détruire l’URSS et ses successeurs quel que soit le régime économique installé, communiste ou capitaliste, mettant ainsi  à nu la véritable stratégie hégémonique du bloc occidental. Le pivot vers l’Asie de la Russie met sérieusement à mal cette stratégie séculaire.


Les dirigeants de la coalition anti-Hitler se sont réunis à Potsdam en conférence du 17 juillet au 2 août 1945 pour tirer un trait sur la Seconde Guerre Mondiale. Il s’agissait de la troisième conférence entre les dirigeants des trois grands pays et le dernier événement d’après-guerre dans ce format. Seulement six mois s’étaient écoulés depuis la précédente conférence de Yalta, mais de nombreuses questions urgentes émergeaient, à traiter sans délai.


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L’Union Soviétique était représentée par Joseph Staline, la Grande-Bretagne par Winston Churchill, et les États-Unis par le président Harry S. Truman. C’était la première réunion Big Three de Truman. Le président Franklin D. Roosevelt, décédé en avril 1945, a assisté aux deux premières conférences – à Téhéran en 1943 et à Yalta en février 1945. Le Premier ministre britannique Winston Churchill n’était pas présent pour la cérémonie de clôture, son parti ayant perdu les élections au Royaume-Uni, et il a été remplacé à mi-parcours de la conférence par le nouveau Premier ministre, Clement Attlee.


L’esprit même des négociations et les sentiments des participants avaient également changé. Les vainqueurs étaient des nations ayant des systèmes sociaux et économiques différents poursuivant différents objectifs géopolitiques. L’écart était devenu large au fur et à mesure que la victoire approchait dans la Seconde Guerre Mondiale et il l’est devenu encore plus après la fin de la guerre.


Le problème le plus urgent était le sort de l’Allemagne d’après-guerre. Malgré de nombreux différends, les dirigeants alliés ont réussi à conclure des accords à Potsdam. Par exemple, les négociateurs ont confirmé le statut d’une Allemagne démilitarisée et désarmée en quatre zones d’occupation alliées. Selon le Protocole de la Conférence, il devait y avoir «un désarmement et une démilitarisation complète de l’Allemagne» ; tous les secteurs de l’industrie allemande qui pourraient être utilisés à des fins militaires devaient être démantelés ; toutes les forces militaires et paramilitaires allemandes devaient être éliminées (y compris l’armée régulière, la Gestapo, les SS, les SA et le SD) ; et la production de tout matériel militaire en Allemagne a été interdit.


En outre, la société allemande était à reconstruire sur des bases démocratiques par l’abrogation de toutes les lois discriminatoires de l’époque nazie et par l’arrestation et le procès des Allemands réputés être des criminels de guerre. Les systèmes éducatifs et judiciaires allemands devaient être purgés de toutes les influences autoritaires, et les partis politiques démocratiques seraient encouragés à participer à l’administration de l’Allemagne au niveau local et national. Mais la reconstitution d’un gouvernement national allemand a été reportée sine die, et la Commission de contrôle des Alliés (qui était composée des quatre puissances occupantes, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union Soviétique) dirigerait le pays durant l’interrègne.


Contrairement à Yalta, la question de la partition ne figurait pas à l’ordre du jour. Les alliés ont déclaré ne pas avoir l’intention d’asservir le peuple allemand. Leur but était de veiller à ce que l’Allemagne «ne puisse plus jamais menacer ses voisins ni la paix mondiale». C’est l’Occident qui a pris l’initiative de la partition de l’Allemagne, pas l’Union Soviétique. C’est un fait incontestable.


Le paiement des réparations était un sujet de discorde. Les États-Unis et l’Union Soviétique ont travaillé sur un compromis. L’URSS a été autorisée à demander des réparations à la zone soviétique, et également 25% de l’équipement industriel des zones occidentales au titre des réparations (10% de la capacité industrielle des zones occidentales inutiles pour l’économie de paix allemande devraient être transféré à l’Union Soviétique dans les deux ans). L’Amérique et la Grande-Bretagne pourraient prendre les réparations dans leurs zones si elles le souhaitaient. Staline a proposé, et cela a été accepté, que la Pologne soit exclue de la compensation allemande pour se voir ensuite accorder 15% des réparations accordées à l’Union Soviétique.


À Yalta les alliés sont convenus que la Pologne devait obtenir de nouvelles terres dans le nord et à l’ouest avec une décision finale reportée à une conférence de paix. À Potsdam, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont tenté de dévier de l’accord conclu auparavant.


La définition des nouvelles frontières occidentales de l’Allemagne était un problème difficile à résoudre. La position des États occidentaux a été influencée par le fait que les États-Unis ont mené un essai nucléaire réussi. Les États-Unis ont testé avec succès la première arme atomique dans le monde près d’Alamogordo, au Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945. Truman a reçu les nouvelles lorsqu’il était à Potsdam. Pour renforcer sa position à la conférence, Truman a dit à Staline le 24 juillet que les États-Unis possédaient «une nouvelle arme d’une force destructrice inhabituelle». Staline n’a montré aucun intérêt particulier. Tout ce qu’il a dit était qu’il était heureux de l’entendre et espérait qu’il serait fait un «bon usage de celle-ci contre les Japonais».


Le président américain a dit qu’il ne serait pas d’accord sur la frontière occidentale de la Pologne car cette question devait être abordée lors d’une conférence de paix. Il n’était pas sincère, il savait assurément qu’il n’y aurait jamais de conférence de paix. Enfin, la conférence a décidé que la frontière orientale de l’Allemagne devait être déplacée vers l’ouest le long de la ligne Oder-Neisse, réduisant ainsi la taille de l’Allemagne d’environ 25% par rapport à ses frontières de 1937. Les territoires à l’est de la nouvelle frontière étaient constitués par la Prusse orientale (Konigsberg rebaptisée Kaliningrad en 1946, la décision correspondait à ce qui avait été convenu à la conférence de Téhéran en 1943), la Silésie, la Prusse occidentale, et les deux tiers de la Poméranie. Ces zones étaient essentiellement agricoles, à l’exception de la Haute-Silésie, qui était le deuxième plus grand centre de l’industrie lourde allemande.


Truman n’était pas intéressé par l’approfondissement des divisions existantes car il voulait que l’Union Soviétique se joigne à elle dans la guerre du Pacifique contre le Japon dès que possible. Certains disent qu’au moment de la conférence de Potsdam, les États-Unis avaient perdu tout intérêt à impliquer l’URSS dans la guerre du Pacifique. Ce n’est pas vrai. Après que Staline a réaffirmé son engagement à déclarer la guerre au Japon, Truman a écrit dans une lettre privée à sa femme, Bess Truman (18 août 45) «… J’ai obtenu ce pour quoi je suis venu – Staline est entré en guerre [contre le Japon] le 15 août sans aucune condition. Il voulait un arrangement avec la Chine [en échange de l’entrée en guerre dans le Pacifique, la Chine devait céder à la Russie certains territoires et d’autres concessions] – et c’est pratiquement fait – dans de meilleurs termes que ce que j’attendais, Soong [ministre chinois des Affaires étrangères] a fait mieux que ce que je lui ai demandé. Je peux dire aujourd’hui que nous finirons la guerre un an plus tôt , et pensons aux enfants qui ne seront pas tués! Voilà la chose importante.»


Les décisions prises lors de la conférence de Potsdam avaient des conséquences positives et négatives. La conférence est convenue d’un certain nombre de questions liées au système mondial d’après-guerre et a creusé des clivages entre l’Union Soviétique et les puissances occidentales. C’est ainsi que les divisions dans les rangs de la coalition anti-hitlérienne sont apparues au grand jour. La guerre froide était imminente.


L’URSS et les puissances occidentales avaient des intérêts géopolitiques différents et poursuivaient donc des objectifs différents. Staline voulait que les États d’Europe de l’Est rejoignent le camp socialiste et passent dans la sphère d’influence soviétique. Dans mon esprit, il ne poursuivait pas l’objectif, depuis longtemps dépassé, de mettre en scène une révolution mondiale. Je crois que le véritable motif derrière sa décision était tout à fait différent. Staline a voulu étendre une zone tampon pour des raisons de sécurité, de sorte qu’une agression inattendue contre l’Union Soviétique serait exclue. En 1942, Sir Anthony Eden, ministre britannique des Affaires étrangères, a écrit que l’Union Soviétique voulait assurer la sécurité maximale à ce que seraient ses frontières occidentales.


La conférence de Potsdam fait émerger le désir des participants d’élargir leurs zones d’influence respectives. La partition de l’Europe en deux blocs était-elle inévitable? Dans une certaine mesure, c’est ce qui s’est produit. Je crois qu’il était possible d’éviter une guerre froide totale. La bonne volonté aurait pu tenir le monde en équilibre en empêchant une guerre chaude totale. La confrontation géopolitique aurait pu être évitée si les problèmes avaient été abordés de manière civilisée.


Qu’en est-il la bonne volonté chez les alliés occidentaux? Pas plus tard qu’en avril 1945, Churchill a chargé l’état-major interarmées de planification des forces armées britanniques de préparer l’Opération Unthinkable [impensable], un nom de code pour deux plans connexes d’un conflit entre les alliés occidentaux et l’Union Soviétique. On a demandé aux généraux de concevoir les moyens d’«imposer à la Russie la volonté des États-Unis et de l’Empire britannique». Le plan envisageait de déclencher une guerre totale pour occuper les parties de l’Union Soviétique qui avaient une signification cruciale pour son effort de guerre et de livrer ainsi un coup décisif aux forces armées soviétiques, rendant l’URSS incapable de continuer le combat. Les planificateurs britanniques sont arrivés à des conclusions pessimistes. Ils ont dit que toute attaque serait «dangereuse» et que la campagne serait «longue et coûteuse».


Le rapport effectivement déclarait : «Si nous nous lançons dans la guerre avec la Russie, nous devons être prêts à être engagés dans une guerre totale, qui serait à la fois longue et coûteuse». La supériorité numérique des forces terrestres soviétiques laisse peu de chances de succès. L’évaluation, signée par le chef d’état-major de l’Armée, le 9 juin 1945, a conclu : «Il est au-delà de notre pouvoir de remporter un succès rapide mais limité et nous serons engagés dans une guerre prolongée grandement aléatoire. Ces aléas, d’ailleurs, deviendraient capricieux si les Américains se lassaient et devenaient indifférents, attirés par l’aimant de la guerre du Pacifique.»


Truman a pris une position ferme aussi. Le 12 mai, dès que les derniers coups de feu de la guerre ont été tirés, il a soudainement ordonné la suspension des expéditions d’armement prêt-bail à l’URSS. Selon lui, celle-ci n’était pas en guerre avec le Japon et il serait contraire à la loi de poursuivre les livraisons prêt-bail. Moscou s’y est opposé et les livraisons ont été renouvelées, mais il était clair que les partisans d’une diplomatie basée sur une position de force prévalaient. Au moment de la conférence de Potsdam, un document secret était en travaux. Il a été appelé «Graphique stratégique de certaines régions urbaines russes et mandchoues [Projet n ° 2532]» (30 août 1945). Donc, le 30 août, 1945 – avant que la Seconde Guerre Mondiale ne soit officiellement terminée –, le commandement des forces armées américaines avait déjà pris le temps de dresser une liste de cibles prioritaires pour les bombes atomiques en URSS… et avait même tracé, sur une carte de l’Union Soviétique, les rayons d’action des bombardiers à capacité nucléaire. Le document dit : «L’objectif principal pour l’utilisation de la bombe atomique est manifestement la destruction simultanée de ces quinze premières cibles prioritaires.»


Le commandement conjoint américano-britannique a tenté de maintenir une partie du potentiel allemand en état, si nécessaire, pour l’utiliser contre l’Union Soviétique. L’armée allemande devait devenir une troisième force pour contribuer à la défaite rapide de l’allié d’hier, l’Union Soviétique.


Ces faits donnent un indice pour comprendre pourquoi l’Occident prend une position aussi ferme contre la Russie aujourd’hui. Il veut isoler la Russie en introduisant des sanctions, l’évincer du G8, l’exclure de l’APCE et d’autres organismes internationaux, soutenir les ennemis de la Russie dans les États baltes, la Pologne et l’Ukraine.


Les dirigeants occidentaux feraient bien d’apprendre les leçons de l’histoire d’après-guerre au lieu de pousser à l’escalade de la confrontation. Ils semblent être emportés par des plans pour effrayer la Russie. Après la conférence de Potsdam, des tentatives ont été faites pour intimider l’URSS avec des armes nucléaires et l’encercler par des bases militaires. Cela a conduit à la puissance croissante de l’Union Soviétique, qui s’est considérablement réarmée, se transformant en un pôle mondial capable de tenir tête aux États-Unis.


Aujourd’hui, les activités visant à affaiblir la Russie avec l’aide de sanctions et d’isolement international lui font atteindre de nouveaux sommets dans le développement de son économie et de son potentiel militaire de défense. Le poids politique de la Russie est de plus en plus grand avec l’influence croissante des BRICS, de l’Organisation de coopération de Shanghai et de l’Union économique eurasienne. Aucun problème international d’une certaine ampleur ne peut être résolu sans la Russie, que ce soit le programme nucléaire iranien, la crise ukrainienne, la suppression des frontières douanières dans l’espace de Lisbonne à Vladivostok. Voilà, on y est.



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