ÉLECTION «RÉFÉRENDAIRE» (3/3)

La Catalogne retient son souffle

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L'État se nomme dans l'agir






On n’a jamais vu ça ni au Québec ni en Écosse. Pour la première fois, les Catalans pourraient élire dimanche un gouvernement avec le mandat explicite de « faire » l’indépendance. À 24 heures du scrutin, la coalition indépendantiste Junts pel Sí (Ensemble pour le Oui) qui mène dans tous les sondages semble déjà avoir remporté un premier pari. Frustrés l’an dernier d’un véritable référendum annulé par Madrid, les deux grands partis indépendantistes de Catalogne, Convergència democràtica (centre droit) et Esquerra Republicana (gauche), qui se présentent sous une bannière unitaire avec des personnalités de la société civile, ont transformé cette élection anticipée en véritable plébiscite sur l’indépendance. Signe qu’il ne s’agit pas d’une élection normale comme on le prétend à Madrid, la participation pourrait dépasser les 80 %. Pour le reste, à 24 heures du scrutin, la Catalogne a le sentiment de tenir l’élection la plus importante de son histoire et elle retient son souffle.


 

Dans sa dernière réunion de campagne devant plusieurs milliers de partisans réunis sur la grande avenue de la Reine-Christine à Barcelone, le président Artur Mas a été explicite : dans 18 mois, la Catalogne pourrait être indépendante. Lançant un dernier appel à ne pas disperser le vote indépendantiste, le populaire écologiste Raül Romeva a promis un gouvernement « concentré » déterminé à lancer le processus d’accession à l’indépendance.


 

Pendant ce temps, à 15 minutes de là au Palais des congrès, le président espagnol, Mariano Rajoy, tenait lui aussi sa dernière assemblée de campagne en compagnie de l’ancien président français Nicolas Sarkozy qui a déclaré que « ceux qui se divisent sont des faibles ». Pendant toute la campagne, le leader du Partido Popular, largement minoritaire en Catalogne, a maintenu la ligne soutenue sans relâche depuis l’élection d’une coalition indépendantiste en 2012 : l’Espagne est une et indivisible ! Même s’il a reconnu que cette élection était tout de même « différente », le premier ministre se dit prêt à prendre tous les moyens pour protéger l’unité de l’Espagne.


 

« Les Catalans ont déjà remporté une première victoire, constate le politologue et historien Juan Culla. Ils ont trouvé le moyen de contourner le référendum annulé l’an dernier. » Ils avaient alors dû se rabattre sur un référendum informel qui avait mobilisé 2 millions de personnes et donné 80 % des voix aux indépendantistes.


 

« Dimanche, tout dépendra de la majorité qu’obtiendront les indépendantistes, dit Culla. S’ils obtiennent à la fois la majorité parlementaire et plus de 50 % des voix, le choix des Catalans sera clair et la confrontation avec Madrid sera frontale. Les événements pourraient alors se précipiter. S’ils n’obtiennent qu’une majorité parlementaire, tout sera beaucoup plus compliqué. »


 

Quelle majorité ?


 

Les sondages accordent tous une majorité de sièges aux indépendantistes. Mais leur répartition pourrait changer la donne. La coalition indépendantiste Junts pel Sí pourrait en effet avoir besoin pour gouverner des voix d’un autre parti qui présente sa propre liste, celui des indépendantistes radicaux de gauche de la CUP. Plus radical encore, ce parti propose ni plus ni moins que de déclarer unilatéralement l’indépendance de la Catalogne au lendemain de l’élection. Il semble cependant impossible que la CUP puisse imposer une rupture aussi radicale, du moins dans un premier temps.


 

Si les indépendantistes ont à la fois une majorité parlementaire et plus de 50 % des voix, Joan Culla est convaincu qu’Artur Mas sera déterminé à aller jusqu’au bout.


 

« Contrairement à ce que croit Madrid qui ne comprend rien à ce qui se passe en Catalogne, Artur Mas n’est pas fou, dit-il. Ce n’est pas non plus un simple opportuniste. Depuis 2012, Mas a décidé de prendre les devants et de ne pas se laisser distancer par le mouvement indépendantiste qu’il a vu littéralement exploser en quelques années à peine dans le peuple catalan. »


 

Si Mas a les mains libres lundi, il enverra alors une lettre d’intention au roi d’Espagne pour l’informer du lancement d’un processus de séparation. Sa feuille de route prévoit la création de nouveaux ministères, la rédaction d’une Constitution (soumise à référendum), le transfert des compétences aujourd’hui dévolues à Madrid et l’ouverture de négociations avec l’Espagne et l’Union européenne.


 

La réaction de Madrid


 

« Ça, c’est pour le scénario idéal. Mais, tout dépendra de la réaction de Madrid », dit Culla. Pour l’instant, Mariano Rajoy s’est surtout assuré d’avoir tous les moyens légaux pour mettre la Catalogne au pas. Le Tribunal constitutionnel l’a assuré qu’il pouvait destituer des fonctionnaires qui accepteraient de passer à des entités catalanes. Il peut même recourir à l’article 155 de la Constitution qui autorise Madrid à forcer un gouvernement régional à respecter la Constitution, quitte à mettre son président en prison.


 

« À quelques jours de cette élection historique, Rajoy n’a toujours pas de plan précis, constate le chroniqueur de La Vanguardia Marius Serra. Madrid croit que l’indépendance est un épiphénomène qui disparaîtra rapidement. Mais elle se trompe. » Pour la plupart des observateurs catalans, si les indépendantistes ont une double majorité dimanche et que Madrid refuse de discuter, le ton pourrait monter rapidement et les événements se précipiter, forçant peut-être l’Union européenne à intervenir.


 

« Mais si les indépendantistes n’ont pas une majorité de voix, il faudra peut-être attendre les élections espagnoles en décembre prochain », dit Serra. Trois mois à peine après les Catalans, les Espagnols se rendront eux aussi aux urnes. La question catalane pourrait être au coeur de ce scrutin.


 

« Même si la gauche socialiste n’est pas plus ouverte que la droite à l’autonomie catalane, elle pourrait peut-être s’asseoir à une table et discuter, dit Serra. Qui sait ? Mais le triomphe de la gauche à ces élections est loin d’être certain. Le parti qui monte en ce moment, c’est Cuitadans, une version plus moderne du Partido Popular. Ma seule certitude, c’est que l’idée de l’indépendance, elle, n’est pas un feu de paille. »







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