Les sociétés primitives vivent dans l'enchantement. La plus grande partie de l'aventure humaine se déroule sous la domination de l'au-delà sur l'ici-bas. Après une évolution aussi longue que complexe surviennent, en Occident d'abord, les révolutions modernes, le «désenchantement du monde» (Max Weber). Les idéologies agissent désormais comme formes de représentation du monde. Elles aspirent à cacher le réel divisé, à fondre tous les discours en un.
Les idéologies doivent être largement diffusées. Leurs adeptes n'hésitent pas à recourir aux médias de masse et à la figure mythique du héros. Il est fascinant d'observer le processus par lequel une vedette est fabriquée. Que ce soit le self-made-man et le cow-boy sur la frontière américaine, le maoïste Lei Feng, le nazi Horst Wessel ou le personnage de Maria Chapdelaine, le héros vertueux parvient à s'extraire de ses origines modestes pour se hisser au panthéon de la nation. Il n'est pas rare que le héros meurt jeune. Il ne risque donc plus de contrevenir à l'idéal qu'on s'en fait.
Le multiculturalisme/interculturalisme est l'idéologie dominante à notre époque. Les divisions habituelles gauche-droite, fédéraliste-souverainiste se brouillent à son contact. C'est l'union d'une droite libertarienne et d'une certaine gauche préférant les droits des minorités à la défense des travailleurs. Son propagandiste régional, l'homme par qui il se «vend» à Rimouski, est nul autre que Boucar Diouf. Ce «héros» festif quitta son papa polygame afin d'étudier en océanographie, puis d'enseigner à l'UQAR. Le virage pluraliste de notre société fut cependant son véritable tremplin vers l'humour et l'animation. Un succès d'intégration que nous célébrons tambours et trompettes par esprit d'ouverture. L'ex-berger exerce sur son auditoire le magnétisme du pasteur. Dois-je préciser combien notre homme charismatique aime se trouver sous les projecteurs?
Le vernis de notre héros postmoderne craque quand, par les mêmes choix individuels qui le firent quitter l'Afrique, il lâche l'utopie que nous lui réservions. En déménageant comme tant d'autres à Montréal (87% des nouveaux arrivants), il symbolise mieux que quiconque l'échec de la régionalisation de l'immigration. Le discours des bien-pensants en prend alors pour son grade. L'envie est forte de s'écrier:«show de boucane, Diouf!»
Mon athéisme boucarien tient aussi à quelque chose de plus existentiel. Si l'homme use de lieux communs, multiplie les bons sentiments et sait reconnaître chez les Québécois une majorité francophone avec son histoire et sa mémoire propres, il s'est associé à un modèle d'intégration chartiste. L'interculturalisme de Bouchard-Taylor refuse d'accorder à la société d'accueil ce qu'elle a toujours été: une culture de convergence. Pourquoi aurions-nous besoin aujourd'hui d'une copie conforme du multiculturalisme canadien? Comme si le vieux Canada français à Rimouski n'avait pas un jour intégré les Collins, McKinnon, Ross, Wells et Yockell. Halte à la judiciarisation des rapports sociaux!
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 octobre 2013Peut-être que ces extraits vidéo vous feront connaître une autre facette de Boucar Diouf que vous connaissez moins:
- La montée du Salafisme en Afrique
- La parabole de la noix de coco
France Bonneau Répondre
27 février 2013Je ne partage aucunement votre avis sur Boucar D. C'est un exemple d'intégration. Vous faites oui, erreur sur la personne. J'ai travaillé toute ma vie avec des immigrants et je vous garantis qu'un comme celui-ci, il en faudrait plus. Nous en avons besoin.
Réécoutez-le simplement. Attardez-vous à ses textes, ses témoignages.
Jean-François-le-Québécois Répondre
4 novembre 2012@ Serge William:
« Et le grand talent qui est le sien nous renvoie à des figures québécoises mythiques comme Sol...».
Vous comparez Boucar Diouf et Marc Favreau? N'exagérons rien, d'accord.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
4 novembre 2012Est-il surprenant que les Africains aiment se "métisser"? Boucar, comme Corneille, comme Maka, comme Gregory, comme Kavannah, comme Brathwaithe... se pâment sur la couleur chocolat au lait de leur petit "métis"... et peuvent devenir militants du "métissage serré" pour les Québécois, en opposition au tissé serré, repli sur soi, qui nie "l'ouverture sur l'autre", l'universalisme, le mondialisme, dont ils se disent un exemple pour notre tribalisme... Kavannah se prononce maintenant contre le nationalisme québécois.
La majorité québécoise penche d'ailleurs vers la même tentation: oublier ses origines, se "métisser" à la culture anglaise dominante pour échapper au mépris, pour se fondre dans la masse des "winners": je veux des enfants qui parlent l'anglais "sans accent", des petits Trudeau, Mulroney, Charest. Fuir le "pure laine" méprisable. Voir ces jours-ci, les bilingues du Nouveau-Brunswick, ils se sont voulus conciliants, on ferme maintenant leurs écoles françaises. Les derniers francos vont-ils vouloir se battre ou aller au plus facile? Let's talk english. Devenons tous blancs, pour échapper au racisme.
Archives de Vigile Répondre
4 novembre 2012"On ne peut répondre de son courage quand on n'a jamais été dans le péril" La Rochefoucauld
Or il n'y a pas grand péril à se placer à contre-courant d'un succès populaire. Surtout quand cette posture nous est naturelle et qu'elle nous est même indispensable pour éviter d'être confondu avec la plèbe dont on prétend vouloir le bien. Foglia est un expert de la chose et il a tellement de courage qu'il ne laissa publier sa photo que de dos, pendant des années.
Boucar Diouf ne pouvait rester à Rimouski en travaillant à Montréal. Rien à voir avec l'intégration idéale dont vous rêvez et qui à plusieurs égards est parfaitement défendable. Vous avez simplement pris le mauvais exemple car, à Montréal comme à Rimouski, Boucar est l'exemple parfait de l'intégration.
Il est même, selon moi, devenu un fer de lance de l'imaginaire québécois. Et le grand talent qui est le sien nous renvoie à des figures québécoises mythiques comme Sol, ou en voie de le devenir, comme Fred Pellerin.
N'en déplaise à votre élitisme strident.
Caroline Sarah St-Laurent Répondre
3 novembre 2012Monsieur Diouf s'est associé très clairement à l'interculturalisme. Or, ce modèle d'intégration, mal défini, se confond au dire de plusieurs chercheurs avec le multiculturalisme. En outre, monsieur Diouf fait une obsession sur la «souche» de ses concitoyens. Il nous ethinicise plutôt que de nous voir comme une nation.
Toutefois, je conçois facilement que de critiquer un héros exige une dose de courage...
Jean Lespérance Répondre
3 novembre 2012Le vernis de votre langage cache un sentiment d'intolérance.
Vous ne vous contentez pas de l'intégration, vous voulez l'assimilation. Vous voulez des copies conformes de vos petites personnes. Vous cherchez des poux là où il n'y en a pas. Bien oui, il fait de la télévision à Montréal et vous voudriez qu'il habite encore à Rimouski.
Quelle incohérence!
Bouchard-Taylor n'était qu'une caricature servant à nous dire comment accueillir les immigrants sans leur dire comment se comporter ou nous comprendre, sans leur faire comprendre nos valeurs.
Rien à voir avec Boucar Diouf qui lui au contraire comprend très bien les québécois et les respecte. Suivez donc son exemple.
Archives de Vigile Répondre
3 novembre 2012Bravo. Très bon texte. Personnellement je zappe chaque fois que je le vois. Et je zappe souvent parce qu'il est partout.