La bataille pour la conquête du Donbass, « l’objectif principal » des Russes en Ukraine, a débuté. Des milliers de soldats venus en renfort ont assailli lundi des villes de l’Ukraine orientale, tandis que le port stratégique de Marioupol semble être tombé aux mains des occupants.
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a lui-même annoncé l’ouverture de ce nouveau chapitre de la guerre, lundi soir, lors d’un discours officiel. « Nous pouvons maintenant affirmer que les troupes russes ont commencé la bataille pour le Donbass, à laquelle ils se préparent depuis longtemps. Une très grande partie de l’ensemble de l’armée russe est désormais consacrée à cette offensive. Peu importe combien de soldats russes sont amenés jusqu’ici, nous combattrons. Nous nous défendrons. »
Pas moins de 11 nouveaux bataillons russes comprenant chacun 1000 hommes ont rejoint les troupes déjà massées sur le front est, a indiqué le porte-parole du Pentagone, John Kirby, lundi. Ces renforts portent à 76 le nombre total de bataillons russes prêts à envahir le Donbass. Aucune information n’a filtré quant aux forces ukrainiennes en présence.
On peut s’attendre à « des combats de fer et de feu », dit au Devoir le président de l’Institut militaire de Québec, Richard Giguère, puisque la prise de contrôle de cette région demeure « l’objectif principal » du Kremlin. « Ce sont des masses de chars d’assaut, des masses de fantassins, appuyés par des hélicoptères, appuyés par des chasseurs. […] Les dernières fois qu’on a vu ça, c’était lors de la Deuxième Guerre mondiale. »
Car, face aux Russes, l’armée ukrainienne n’est pas en reste. Malgré des pertes humaines estimées à 3000 soldats par le président Zelensky, les milliers de soldats restants peuvent compter sur des canons, des drones et d’autres engins mécaniques fraîchement débarqués des États-Unis. Les premières cargaisons de la toute dernière tranche d’aide militaire américaine sont en effet déjà arrivées aux frontières du pays, a confirmé lundi un haut responsable du Pentagone. « Quatre vols sont arrivés des États-Unis hier dans la région, avec divers équipements », a annoncé ce responsable ayant demandé l’anonymat. Un cinquième vol devrait arriver dans les prochaines 24 heures, « ce qui fera cinq vols en autant de jours. »
Déjà, les combats faisaient rage lundi. « C’est l’enfer, a déclaré sur Facebook le gouverneur ukrainien de la région de Louhansk, Serguiï Gaïdaï. L’offensive a débuté, celle dont on parle depuis des semaines. Il y a des combats à Roubijne et à Popasna, des combats incessants dans d’autres villes pacifiques. »
Cette offensive russe majeure pourrait en réalité avoir débuté un peu plus tôt que lundi.
Les sirènes du système d’alerte de raid aérien ont déchiré l’air ukrainien partout au pays durant toute la fin de semaine. Entre dimanche et lundi, la Russie a effectué environ 200 sorties aériennes dans le pays, selon de hauts responsables américains de la défense.
« L’Ukraine est frappée par les attaques de missiles les plus intensives de la Fédération de Russie depuis des semaines », a confirmé lundi le corps diplomatique de l’Union européenne par communiqué.
De « puissantes » frappes russes ont notamment atteint Lviv, la grande ville de l’ouest de l’Ukraine et d’ordinaire relativement épargnée par les combats, ont précisé des autorités locales.
Ces pilonnages loin des tranchées ressemblent à une tactique de diversion de la part des Russes, selon Richard Giguère, qui y voit une stratégie pour diluer les forces ukrainiennes. « Quand on concentre nos forces dans l’Est et qu’on dépeuple les autres territoires, mais que ces autres territoires se font bombarder, ça nous fait hésiter un peu, observe-t-il. Avant de prendre un groupe tactique de Lviv et de l’envoyer dans l’Est, on va y penser. »
Le port de Marioupol, autre élément clé de la conquête russe, a « probablement été pris » samedi par les troupes de Vladimir Poutine « malgré les dénégations de l’état-major ukrainien », selon l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW).
Les derniers défenseurs tiennent toujours, contre toute attente, dans le complexe métallurgique de la ville. Selon l’ISW, des groupes d’Ukrainiens y restent probablement actifs, mais ne tiendront que quelques jours, sans doute au terme d’un déluge de feu.
Des poches de résistances
Cette mainmise pourrait s’avérer précieuse pour les Russes, car une victoire à Marioupol libérerait 12 bataillons tactiques capables de combattre dans d’autres parties du pays, selon un haut responsable américain de la défense.
Mais les soldats russes n’ont pas le choix d’éradiquer toutes les « poches de résistances » avant de pouvoir se joindre au reste des troupes, selon Richard Giguère, pour éviter d’exposer leurs arrières. « Ça va coûter extrêmement cher aux Russes, avance-t-il. Se battre dans des villes, c’est ce qu’il y a de plus coûteux en matière de pertes, de ravitaillement, d’utilisation d’armes. C’est ce qu’il y a de plus difficile pour les forces attaquantes. Ça risque de durer encore longtemps. [Les Ukrainiens] peuvent tenir très longtemps, mais à condition d’être ravitaillés en armement, en nourriture, en eau et en soins médicaux. »
La capture du Donbass ou de Marioupol ne signifiera donc pas la fin de la guerre, prédit Richard Giguère, car « les Ukrainiens ne seront jamais d’accord pour céder du terrain comme ça ». Des escarmouches et des contre-insurrections risquent d’agiter ces territoires encore longtemps, de sorte qu’il n’y aura pas « de victoires évidentes ». Il y a ainsi fort à parier qu’« au bout du compte, il n’y aura pas de vainqueur, d’un côté comme de l’autre », estime l’expert en résidence à l’Université Laval.
Poutine honore la brigade de Boutcha
Le président russe, Vladimir Poutine, a décerné lundi un titre honorifique, notamment pour « héroïsme », « ténacité » et « grand professionnalisme », à la 64e brigade de fusiliers motorisés. Or, l’Ukraine a affirmé que les forces russes, et précisément cette unité, avaient commis un massacre de civils à Boutcha, dans la périphérie de Kiev. La découverte dans des rues de cette localité de cadavres de civils, peu après le retrait des soldats russes, avait suscité début avril une vague d’indignation internationale. Des enquêteurs ukrainiens s’y activent toujours pour réunir des éléments constitutifs de « crimes de guerre ». La Russie avait de son côté affirmé que les autorités ukrainiennes et les médias occidentaux avaient mis en scène le massacre.
Une version précédente de ce texte indiquait que des villes de l'Ukraine occidentale avaient été assaillies lundi alors qu'il était question de villes de l'Ukraine orientale. Nous avons corrigé l’erreur.