L'occupation américaine en Irak, un fiasco total

Irak - le Grand mensonge


Ghassan Hélou - À l'aube du 19 août, la quatrième brigade de combat Stryker a achevé son retrait du territoire irakien et a franchi la frontière du Koweït. Il s'agit, évidemment, d'un retrait partiel. Les États-Unis gardent sur le terrain plus de 50 000 GI et plusieurs milliers d'employés de services de sécurités privés («Contactors»).
Après plus de sept ans d'occupation dévastatrice, après avoir dépensé plus de 1000 milliards de dollars et causé la mort de 4415 de leurs soldats, comment peut-on qualifier ce départ des Américains? Échec militaire? Abandon? Les Américains, qui ont envahi ce pays en 2003, ont-ils accompli leur mission? Laquelle? Celle de l'Irak nouveau et démocratique? Un fiasco total!
Par contre, si leur mission consistait dès le départ à détruire l'Irak et à l'empêcher de se relever même dans un avenir lointain, tout le monde reconnaît que les Américains ont remporté un franc succès. Torture, corruption, guerre civile, c'est le constat que fait Robert Fisk dans l'hebdomadaire britannique The Independent après sept ans et demi d'une occupation américaine d'un Irak abandonné aujourd'hui à son triste sort.
Depuis 2003, la population, martyrisée, assiste à la destruction systématique de ses institutions, à l'éclatement de la société, à la liquidation de l'armée et à la dissolution de l'administration. La corruption est désormais généralisée et est érigée en système de fonctionnement de l'État. Le renversement de la dictature de Saddam Hussein a favorisé l'instauration des dictatures des chefs religieux, tribaux et ethniques. D'État laïc, l'Irak est devenu le vivier de tous les sectarismes religieux, clanique, régional ou partisan qui ont fini par morceler la société en micro-féodalité et par réveiller les tendances centrifuges de l'intégrisme et du tribalisme que le parti Baas avait tenté de juguler au profit de la citoyenneté.
Ni la démocratie, ni le développement ne sont au rendez-vous. Seule la mort est présente. Partout. Dans les champs, au tournant d'une rue, au marché, à la mosquée. Règlements de comptes, enlèvements et rançons sont devenus pain quotidien dans un pays où seules règnent la loi de l'argent et de la force brutale.
Les chiffres sont accablants. De nature à éclipser le génocide rwandais. La prestigieuse université John Hopkins a estimé le nombre de tués durant les quatre premières années de l'occupation à 655 000, soit 3% des Irakiens. Aujourd'hui, selon une étude menée par la très sérieuse revue britannique The Lancet, le nombre de morts atteint plus de 1,3 million. La population souffre aussi d'un grand nombre de blessés et d'handicapés. Ils doivent s'élever à plus de deux millions selon les recherches faites par John Hopkins.
Le rapport de la Mission d'assistance des Nations unies en Irak, publié en 2006, révèle à quel point le pays a sombré dans la barbarie depuis l'invasion américaine en 2003. Le Classement mondial de la paix de juin 2009 considère l'Irak, et pour la troisième année consécutive, comme le pays le plus dangereux et le plus opprimant pour les enfants et les femmes.
L'embargo, imposé à l'Irak après la première guerre du golfe, a déjà provoqué la mort de plus de 500 000 enfants de moins de 5 ans. Interrogée à ce sujet en 1996, Madeleine Albright a jugé ce chiffre acceptable (!) Durant l'occupation américaine, les droits des enfants ont connu des violations systématiques et permanentes: massacre, malnutrition, manque de logement, absence de scolarisation. Selon l'université John Hopkins, le nombre d'orphelins s'élève à 5 millions, chiffre confirmé par l'UNESCO, qui révèle de son côté que 10% de ce nombre errent dans les rues sans le moindre soin. Oxfam, dans un rapport publié en 2007, révèle que 800 000 enfants emprisonnés dans les centres de détention américains et irakiens sont victimes de torture.
Par ailleurs, et selon l'OMS, 24% des enfants nés en octobre 2009 souffrent de malformation congénitale monstrueuse et de maladies cancérigènes attribuées à l'usage par les Américains d'armes prohibées : bombes au napalm, phosphore blanc, uranium appauvri...notamment lors du massacre de Fallujah en novembre 2004. L'utilisation de ces armes est considérée comme crime de guerre selon le protocole III additionnel à la Convention sur certaines armes classiques de l'ONU (1983).
D'après le centre Global Research, les assassinats perpétrés contre les médecins ont contribué à l'augmentation de la mortalité infantile, qui s'élève actuellement à 80 pour mille (contre 3 pour mille dans le Koweït voisin). Plus révélateur encore de la détérioration des droits des enfants en Irak est le chiffre qu'avance le ministère de l'Éducation irakien : seuls 30% des enfants fréquentent l'école. Ce taux s'élevait à 100% avant l'occupation, selon l'UNESCO.
Dans ce chaos irakien, le sort des femmes n'est pas meilleur que celui des enfants. Rapts, viols, menaces, replongent la femme irakienne dans la soumission, l'angoisse et la peur. Durant l'occupation américaine, le basculement de la société vers l'intégrisme religieux a rétabli le statut d'infériorité de la femme par rapport à l'homme. D'ailleurs, la nouvelle constitution de 2005 stipule dans son article 14 que toutes les questions concernant le droit familial (mariage, divorce, héritage) seront réglées sur la base de la loi religieuse, la charia sunnite ou chiite. Certes, la constitution garantit à la femme 25% de représentativité politique et administrative. Un ministère de la condition féminine est également créé. Mais dans un pays où règnent les hommes armés, militaires américains et irakiens, milices d'obédience confessionnelle, les droits fondamentaux des femmes sont bafoués. «Avant, il y avait un dictateur qui persécutait son peuple. Maintenant, il y a tout un peuple qui persécute les femmes», remarque Houzan Hammoud, membre de l'organisation pour la liberté de la femme en Irak (OWFI).
De son côté, l'Institut de médecine légale de Bagdad soutient que les crimes d'honneur ont remarquablement augmenté depuis le renversement du régime de Saddam. Les crimes d'honneur, en fait, ne sont plus considérés comme des délits aux yeux du gouvernement.
Dans cette atmosphère de violence généralisée, les parents n'osent plus envoyer leurs filles à l'école: sans sécurité, le droit à l'éducation n'est qu'un vain mot.
L'ONG OWFI estime que près de 3500 irakiennes sont manquantes depuis le début de l'invasion américaine et qu'il y a un grand risque que beaucoup aient été vendues pour le «travail sexuel» et «sont abusées hors d'Irak».
Dès le lendemain de la chute de Bagdad, l'occupation a commencé à dévoiler ses véritables intentions : vider l'Irak de ses matières grises. Les forces américaines ont commencé à mettre des dizaines de scientifiques irakiens en résidence surveillée. En fait, les opérations d'élimination et de destruction ne visent pas que les savants, mais toute l'infrastructure scientifique du pays ( savoir scientifique et capacité de recherche). Ainsi et selon des rapports convergents, les destructions entreprises après la guerre ont touché des dizaines d'usines, de centres de recherche et de laboratoires dans les universités irakiennes et plus particulièrement à l'université de Mossoul. Tout le matériel et les produits de laboratoire, ainsi que les travaux et les résultats de recherche, ont été détruits. Un colloque tenu récemment au Caire a donné des chiffres effroyables des scientifiques et universitaires irakiens assassinés ou contraints à l'exil. Ils seraient près de 310 à avoir été liquidés. Il n'est pas étonnant dans ce cas, que les universités, qui sont le centre de la vie et de l'activité culturelle et politique, soient les premières visées.
L'analyse des statistiques réalisées par la «ligue des universitaires de Bagdad», révèle que 80% des assassinats ont visé des universitaires et que plus de la moitié de ces derniers avaient le titre de professeur ou de professeur adjoint. D'autre part, plus de la moitié des assassinats ont visé des membres de l'université de Bagdad, suivie de celle de Mossoul et Al Moustansiria. L'analyse révèle aussi que 62% des victimes avaient un titre de docteur, que 33% étaient des scientifiques et des médecins et que 17% des médecins visés étaient en exercice. Enfin, 75% des personnes ayant été victimes d'une tentative de meurtre sont décédées.
Les médecins aussi sont ciblés par ces crimes. Ils ont payé un lourd tribut puisque plus de 150 d'entre eux ont perdu la vie et arrivent juste après les universitaires. Il est clair que le ciblage de spécialistes de disciplines scientifiques telles que l'ingénierie, la physique, la chimie, la géologie et la biologie, liées à l'industrie et aux secteurs vitaux de l'économie du pays, est très significatif. Ces assassinats posent le problème de la responsabilité des forces d'occupation qui, en tant que telles, assument leur entière responsabilité de ces crimes.
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Ghassan Hélou
L'auteur est professeur d'histoire au Collège Stanislas à Outremont.


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