L’indépendance serait de plus en plus nécessaire pour sauver notre langue

Tribune libre


Permettez-moi de revenir encore une fois, sans langue de bois, sur un problème pour moi essentiel.
En 1995, la volonté de plus de 60% des francophones qui ont voté OUI a été balayée par le NON à 95% des autres, allophones et
anglophones.Compte tenu du faible taux de natalité chez les francophones de souche et d'une politique d'immigration décidée à Ottawa, il faudra, si la tendance se maintient, que plus de deux francophones sur trois votent OUI lors d'un éventuel prochain référendum pour que leur option triomphe.
J'ai lu dans les pages de Vigile certains scénarios, très détaillés et bien rédigés, conduisant à une victoire du OUI. Même si je voudrais bien y croire, ces textes me semblent cependant totalement irréalistes.Si j'étais méchant, je dirais comme Alfred de Musset que "les chants désespérés sont les chants les plus beaux".
Je sais que pour beaucoup d'entre vous Jacques Parizeau est un dieu et Lucien Bouchard le mal absolu. Je marche donc un peu sur des oeufs en me permettant de vous rappeler que c'est surtout grâce aux envolées messianiques du diable Lucien dans les derniers jours de la campagne que le Québec a été si près de devenir un pays.Il faut dire aussi que la présence de Sa Servilité de Shawinigan à la tête du gouvernement fédéral a été une aide appréciable pour le camp du OUI.Les conditions gagnantes étaient réunies.Il s'en est fallu de presque rien....
L'utilisation par Jacques Parizeau des termes "groupes ethniques" peu après les massacres du Rwanda et des Balkans a été le projectile lancé dans un édifice si longuement construit et le boulet qu'ont eu à traîner les chefs péquistes qui lui ont succédé. La côte n'a jamais pu être complétement remontée d'autant plus que les jeunes semblent avoir d'autres préoccupations. C'est dommage, car, et c'est malheureux, il ne faudra compter presque que sur les francophones de souche pour atteindre le but désiré.
Il me semble en effet encore plus illusoire de pousser les immigrants à voter pour la souveraineté. Comment les convaincre, nous convaincre?J'aimerais avoir la réponse. Je peux tout au plus dire ce qu'il ne faut pas faire.
Je sais que je suis un immigrant atypique.Francophone, je suis un ardent défenseur de notre langue. Mais, ayant vécu 32 ans en Suisse avant de venir au Québec en 1968, j'ai pu constater dans mon pays d'origine les bienfaits du fédéralisme. Ce n'est donc qu'en 1990 que je suis devenu un indépendantiste inconditionnel.
J'ai publié à compte d'auteur en mai dernier un récit autobiographique uniquement pour le donner à ma famille et à mes amis. Sans être aucunement confidentiel, mon texte est beaucoup trop personnel pour que j'aie envisagé un seul instant de le mettre en vente.Une version numérique peut cependant être trouvée sur le site de la Fondation littéraire Fleur de Lys.J'y explique à la fin de tous les derniers chapitres ma transformation progressive de fédéraliste en souverainiste.
Je vais essayer de résumer en quelques paragraphes les 40 pages (sur 335) que je consacre dans mon livre à la politique constitutionnelle dans mon pays d'adoption.
La crise d'Octobre éclate deux mois après mon entrée dans la fonction publique à Québec, à deux pas du Parlement. Je n'en reviens pas quand je me rends compte que l'insurrection appréhendée, prétexte de l'application de la Loi sur les mesures de guerre a été inventée de toutes pièces par les gouvernements canadien et québécois.J'ai dès ce jour-là pris en totale aversion un certain Trudeau, le chef des Rhodésiens de Westmount, so much Elliott than Pierre.
Je me rends très vite compte à quel point les anglophones du Québec sont beaucoup mieux traités que les francophones hors Québec, mais l'indépendance du Québec me semble encore une option totalement irréaliste.J'aime le slogan de Daniel Johnson
" Égalité ou indépendance" que détestent pourtant aussi bien les indépendantistes que les fédérastes( les suiveux de PET). Les premiers n'ont rien à foutre de ce qui se passe à l'étranger (qui comprend le ROC), les seconds ont bien trop peur d'apporter de l'eau au moulin séparatiste.
En 1976, je me réjouis plus de la défaite des libéraux que de la victoire du Parti québécois.J'aime bien René Lévesque, mais je ne peux vraiment pas comprendre pourquoi la loi 101 ne s'applique pas au niveau collégial et même, sous certaines conditions, au niveau universitaire.
Pendant la campagne référendaire de 1980, plus j'écoute les envolées patriotiques des chantres de l'indépendance, plus j'ai envie de voter NON: je sens très bien que je ne fais pas vraiment partie des"nous autres". Mais plus je lis, plus j'écoute, plus je regarde les médias anglophones, plus je suis tenté de voter OUI. Trop marqué par le fédéralisme dans mon pays d'origine, je vote finalement NON même si ma compagne, Québécoise de souche, vote OUI.
Je ne commence à écrire aux journaux qu'après le triste rapatriement de la constitution par Elliott. Je tape souvent sur le même clou:l'acception par des députés francophones de l'enchâssement dans la nouvelle constitution de l' infériorité juridique de leur propre communauté linguistique, alors qu'ils disposent de la balance du pouvoir.Existe-t-il dans l'histoire de la démocratie parlementaire un précédent à un tel geste de soumission? J'en doute. Il fallait cependant, c'est machiavélique, donner aussi l'impression de mettre les deux langues sur un même pied avant de mettre plus tard les deux pieds sur la même langue.
Pourquoi serais-je plus royaliste que le roi? À partir du moment où René Lévesque lui-même considère comme un beau risque l'ouverture de négociations constitutionnelles avec Ottawa, il y a incontestablement une nouvelle donne.
L'Accord du Lac Meech me paraît acceptable surtout à cause de la clause de la société distincte. Je suis choqué par les réactions racistes au Canada anglais qui mènent à l'échec de cette entente somme toute insipide.Je ne suis pas vraiment surpris que Bourassa n'ait pas d'épine dorsale. Je deviens alors instantanément un indépendantiste inconditionnel.Jusqu'au référendum, je bombarde les journaux de lettres en faveur de la souveraineté.Je vote évidemment OUI en 1995.
J'ai écrit ces derniers paragraphes pour bien montrer combien il est difficile pour un immigrant de voter pour l'indépendance du Québec.Je sais bien que je n'aurais jamais pu en être convaincu si j'étais originaire de Suisse alémanique par exemple.Et ceci même si je suis convaincu qu'un Québec indépendant s'en serait très bien sorti économiquement (mais pas nécessairement mieux qu'au sein de la fédération canadienne). En effet, la Suisse a approximativement la même population que le Québec sans en avoir, loin de là , les ressources naturelles. Les sièges sociaux pour le nouveau pays se seraient installés à Montréal au lieu d'être délocalisés à Toronto ou à Calgary. La fierté du peuple québécois d'avoir créé un pays aurait, j'espère, permis de surmonter bien des obstacles.
C'est cependant uniquement parce que je suis viscéralement francophone que je suis devenu indépendantiste.En refusant que le Québec soit une société distincte, les Anglais ont montré leurs vraies couleurs, soit leur volonté d'angliciser le Canada en une à deux générations, avec la complicité de bien des francophones que la bienséance m'empêche de qualifier! En revanche toute l'histoire des Patriotes ne touche chez moi aucune corde sensible.Je sens alors que je ne fais pas vraiment partie du peuple québécois
Depuis le décès de mon épouse, je m'intéresse de moins en moins à la politique québécoise.Je redeviens imperceptiblement le citoyen du monde que j'étais avant de la rencontrer.Je me passionne à nouveau beaucoup plus pour la politique internationale.
Mais..... je réagis encore violemment contre toutes les attaques contre notre langue!
Je déteste tellement le PLC que je ne peux haïr Harper qui nous en a débarrassé.Je me fous un peu des ses politiques de droite.
Sa nomination de juges et hauts fonctionnaires unilingues anglais est la première décision du gouvernement conservateur qui m'ait profondément choqué. L'anglicisation progressive de la fonction publique fédérale est en marche.
L'indépendance serait de plus en plus nécessaire pour sauver notre langue.J'ose espérer, sans du tout y croire,qu'un nouveau projet plus rassembleur verra le jour porté par des représentants d'une autre génération (et non plus uniquement par des papis et des mamies qui s'entre-déchirent sur la place publique).
Dans l'intervalle (terme optimiste!) je souhaite que, pour défendre notre langue, soient prises au Québec TOUTES les mesures permises par la constitution canadienne, en particulier le renforcement de la loi 101.Et que soient dénoncées avec une extrême virulence les décisions d'Ottawa pour en limiter l'utilisation.
C'est dans cet esprit que je continuerai très occasionnellement d'écrire aux journaux. Comme disait Cyrano avant de mourir :"...c'est bien plus beau lorsque c'est inutile". Quoique....


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2 commentaires

  • Michel Gallay Répondre

    26 janvier 2012

    Je m'aperçois que je n'avais pas signé cet article. Rançon de l'âge assurément

  • Archives de Vigile Répondre

    20 janvier 2012

    Je pourrais te référer aux discours de Pierre Falardeau:
    version libre:
    "Si tu es de mon bord, tu es mon frère. Si tu es de l'autre bord je te hais et cela n'a pas de rapport à la couleur, à la race que tu t'appelles Mambara, Nengyen ou Tremblay ou que tu sois à gauche, à droite, en haut ou en bas. Je ne suis pas raciste je les hais tous!"
    Pierre Falardeau
    En résumé le projet d'indépendance est rassembleur dans la mesure où les immigrants y adhèrent et sont solidaires des Québécois. La frustration de Parizeau s'est expliqué par les grands efforts de sollicitation des groupes ethniques au Québec par le PQ depuis de nombreuses années et qui n'ont jamais donné de résultats. En fait il est difficle de demander à un immigrant qui a laissé son pays pour des raisons économiques ou des problèmes politiques de replonger dans ces problèmes. Également il faut penser que ces groupes ethniques entretiennent des relations avec d'autres groupes ethniques dans diveres régions de l'Amériques qui parlent l'anglais. Leur demander de se franciser est leur demander de se créer un problème de communication. Parizeau l'a bien compris et il a dit aux Québécois, nous sommes seuls et nous devons compter que sur nous-mêmes dans cet environnement. " La prochaine fois il faut voter à 62 à 63% au lieu de 60%.
    Ce que les gens reprochent à Bouchard c'est d'avoir renié son idéal et d'avoir fait reculer l'indépendance par son attentisme après le référendum au lieu d'examiner le référendum perdu et de remettre en question les résultats étant donné que des milliers de personnes ont voté illégalement en plus que le fédéral a dépensé davantage que ce que la loi permettait et même Jeann Pelletier s'en est venté: " Lorsque le pays est en jeu, on ne compte pas les munitions" ou quelque chose comme ça.
    Bouchard aurait pu demander de refaire un référendum. Il avait le momentum. A la place , il a gagné du temps comme Bourassa avec sa loi 150. VOus pouvez regarder le film "Coeur Vaillant" et notre histoire est exactement l'histoire de l'Écosse. Une élite à la solde du conquérant.
    Donc c'est le virage à 180 degrés de Bouchard que les républicains du Québec n'ont pas digéré.