Vendredi le 16 décembre 2022, à 17:00
Avec leur trame narrative faite de vertu ostentatoire, d’espadrilles fluo et d’odes à la décroissance, les souverainistes québécois mènent depuis quinze ans une politique de médias sociaux déconnectée de la réalité.
La lente agonie du Parti québécois, ainsi que la stagnation de Québec solidaire à l’élection générale d’octobre 2022, indiquent que l’appui à un Québec souverain ne récolte que 30% de la faveur populaire.
C’est trop peu pour redonner à cette option quelque influence que ce soit sur la scène canadienne et mondiale. Entretemps, la locomotive autonomiste fait du surplace. Malgré une forte majorité électorale, la Coalition Avenir Québec ne parvient pas à faire des gains concrets en matière de langue, d’immigration ou de santé, faute de maintenir un rapport de force face à Ottawa.
Or, l’histoire est parfois imprévisible. Des circonstances telles que la sécession de l’Alberta, la fin de la monarchie au Royaume-Uni, voire l’éclatement des États-Unis, pourraient précipiter le Québec vers une indépendance à laquelle il est mal préparé.
De tels scénarios apparaissent fantaisistes, mais l’instabilité géopolitique actuelle n’a pas fini de nous étonner. À ce titre, l’effondrement de l’URSS et de ses satellites entre 1987 et 1992 – de la perestroïka à la chute du Mur de Berlin à la dislocation finale – n’avait pas été anticipé par les soviétologues les plus chevronnés.
De nombreux pays ont alors émergé dans des circonstances plus ou moins chaotiques. Il est donc important de revisiter certains concepts et faits historiques afin de mieux envisager l’avenir.
Les Québécoises et Québécois en âge de voter lors du référendum sur la souveraineté de 1995 se souviendront d’un projet de société pragmatique, garantissant la continuité juridique, l’autodétermination des peuples autochtones, le respect des droits de la minorité anglophone, et prévoyant l’utilisation du dollar canadien.
En cas de refus de la part du Canada, Jacques Parizeau, diplômé de la London School of Economics, utiliserait les actifs de la Caisse de dépôt et placement pour doter le Québec d’une politique monétaire autonome.
L’avant-projet de loi distribué dans tous les foyers prévoyait que le Québec reste membre de l’OTAN, du Commonwealth, de la Francophonie, et des accords internationaux en matière de commerce et de libre-échange.
Cette hypothèse reposait sur la reconnaissance de la souveraineté du Québec par notre voisin immédiat et d’autres membres influents de la communauté internationale.
Le Québec pouvait compter sur l’appui assuré de la France, dont la politique étrangère pouvait encore être qualifiée de gaulliste.
L’après-gaullisme et l’érosion des souverainetés
Le député français Philippe Séguin était l’un des plus fervents amis du Québec, inspirés par le tonitruant Vive le Québec libre du général de Gaulle. De ce souverainiste au sens propre, l’on retiendra un discours prononcé à l’Assemblée nationale française en mai 1992, où il met ses collègues en garde contre la ratification des accords de Maastricht et le «transfert irrévocable de souveraineté» qui en découlerait.
Les souverainistes québécois n’ont pas pris acte de cet avertissement et des changements survenus par la suite. Inféodée à l’Union européenne, elle-même succursale politique de l’OTAN, la France du 21e siècle ne dispose plus d’une politique étrangère qui lui est propre.
En France comme au Québec, plusieurs autres fonctions régaliennes, y compris la sécurité et l’élaboration de politiques publiques, sont désormais sous-traitées à des entités privées comme la société de conseil McKinsey.
Les échanges diplomatiques bilatéraux ou multilatéraux sont graduellement remplacés par les mondanités du Forum économique mondial de Davos, où se mélangent sans vergogne des élus, des lobbyistes et des influenceurs issus du show-business.
Or, si la France est hors-jeu, qui sont les amis du Québec aujourd’hui? En cas de référendum gagnant et de réponse claire à une question claire, avalisée ou non par Ottawa en vertu de la Loi sur la clarté référendaire, qui reconnaîtra le Québec?
L’indispensable reconnaissance internationale
La souveraineté d’une nation repose sur le contrôle de ses frontières et de son territoire, sa viabilité économique, et la reconnaissance de celle-ci par d’autres nations souveraines.
Comme en font foi les nombreux pays issus de l’ex-URSS et de l’ex-Yougoslavie, l’accession d’un nouvel État repose, de manière générale, sur les frontières héritées de la fédération précédente et une volonté populaire clairement exprimée. En apparence contradictoires, les notions d’intégrité territoriale et d’autodétermination des peuples sont donc étroitement balisées et ont un poids égal en droit international.
Le cas du Kosovo
Une fois retombée la ferveur référendaire, le Parti québécois et le Bloc québécois ont révélé leur manque de vision stratégique en appuyant l’indépendance du Kosovo. Aux côtés du Parti libéral du Canada et de Maxime Bernier, alors ministre conservateur des Affaires étrangères, des politiciens de la trempe de Gilles Duceppe et Daniel Turp ont unanimement célébré l’arrivée du nouveau venu sur la scène internationale.
Or, aucun des prérequis à la souveraineté ne s’appliquait au Kosovo en 2008: cette région administrative n’avait jamais été un État fédéré de l’ex-Yougoslavie ou de la Serbie. Aucun référendum formel n’y avait été tenu, à l’exception d’une consultation menée par un État parallèle autoproclamé en 1991.
De plus, le Kosovo n’avait pas le plein contrôle de son territoire et n’était pas viable économiquement.
C’est donc à une souveraineté cheapo que des souverainistes québécois ont donné leur appui pour faire bonne figure. Ce faisant, ils ont cautionné une forme de partitionnisme qui ne déplairait pas aux Angryphones de l’Ouest de l’île de Montréal. En 2020, le Kosovo n’était reconnu que par 52% des États membres de l’ONU.
Les losers sympathiques
Les ténors souverainistes se sont ensuite amourachés d’autres underdogs européens en quête de reconnaissance. Les années 2010 ont été marquées par de nombreuses missions d’observation auprès des indépendantistes écossais et catalans.
Le référendum tenu en Écosse en 2014 s’est soldé par une défaite des indépendantistes, qui n’ont récolté que 44,7% des voix. En Catalogne, le référendum de 2017, déclaré inconstitutionnel et entaché de violences policières, s’est tout de même soldé par une éclatante victoire des indépendantistes.
Mais que s’est-il passé par la suite? Rien, si ce n’est l’emprisonnement ou l’exil des chefs de file du mouvement.
Force est d’admettre que ni l’Espagne ni l’Union européenne ne reconnaîtront l’indépendance de la Catalogne. L’Écosse prévoit tenir un nouveau référendum en octobre 2023. Mais en cas de succès, son adhésion quasi assurée à l’Union européenne la neutralisera politiquement.
Il ne faut pas y voir un allié capable de faire pencher la balance en faveur du Québec en cas de bras de fer avec Ottawa.
Il est certes agréable de faire la tournée des pubs universitaires et des bars à tapas, mais en rétrospective, cette stratégie apparaît comme une formidable perte de temps et d’énergie.
L’ultranationalisme socialement acceptable
Plus inquiétant est le parti-pris de nombreux souverainistes en faveur de l’Ukraine. Un pays qui, dans leur vision fantasmagorique de la politique étrangère, serait opprimé par son voisin russe comme le Québec est opprimé par le Canada.
Ce prêt-à-penser idéologique témoigne d’une méconnaissance tragique de l’histoire ancienne et récente de l’Europe, ainsi que de la dimension multiethnique de l’Ukraine actuelle.
Le Canada a été le premier pays à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine en 1991. Avec une grande capacité industrielle et un référendum gagnant, y compris dans le Donbass russophone, ce pays a ensuite volé de ses propres ailes avec la bénédiction de Moscou et du reste de la communauté internationale.
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La paix a duré jusqu’en 2014, année où la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland, figure de proue de la faction néoconservatrice, a rencontré les manifestants s’apprêtant à renverser le gouvernement légitimement élu de Viktor Ianoukovytch, favorable à une intégration économique plus étroite avec la Russie.
Comme prélude à ce scénario de déstabilisation, le Canada a lui-même joué un rôle dans la montée de l’ultranationalisme ukrainien, en accueillant jusqu’à 2000 collabos nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le plus connu est sans aucun doute Mykhailo Chomiak, grand-père de l’actuelle vice-première ministre Chrystia Freeland, elle-même envoyée en mission de liaison auprès des milieux ultranationalistes en 1988.
Mais en quoi le lobby ukrainien de l’Ouest canadien sert-il les intérêts du Québec?
En réaction à l’opération militaire russe initiée en février 2022, le Bloc québécois a choisi d’encourager la venue de réfugiés, ce qui est justifiable du point de vue humanitaire.
Or, le Bloc québécois a également exigé des sanctions plus sévères pour étouffer l’économie russe. En prenant ouvertement parti pour le président Zelensky, le Bloc a cautionné l’attaque de cibles civiles, l’interdiction des partis d’opposition et la glorification du nazisme ayant cours sous son règne despotique. Que la Russie du «dictateur Poutine» ait commis ou non des actes répréhensibles depuis février ne saurait justifier les huit ans d’atrocités commises par l’autre camp.
En jetant de l’huile sur le feu pour quelques dizaines de likes, le chef Yves-François Blanchet et 11 autres députés bloquistes ont été interdits de séjour en Russie. Et comble d’ironie, l’économie russe se porte plutôt bien!
Qui ira maintenant représenter les intérêts du Québec dans ce pays habituellement ouvert à la francophonie et la culture québécoise? Qui fera entendre la voix du Québec au sein des blocs économiques émergents que sont les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai?
Nous sommes loin de la «diplomatie du hockey», chapitre de la Guerre froide où notre relative neutralité assurait à l’ensemble du Canada un rôle d’intermédiaire entre les États-Unis et l’URSS! En plus d’être isolé culturellement et diplomatiquement, le Québec fait maintenant figure de caniche au service d’un Empire en déliquescence.
Et les relations interprovinciales?
Les affaires intergouvernementales canadiennes seront peut-être les relations internationales de demain. À cet égard, une étonnante synchronicité unit l’adoption de la Loi sur la souveraineté de l’Alberta dans un Canada uni le 8 décembre 2022, et l’abolition du serment au Roi à l’Assemblée nationale le 9 décembre.
Seul le Parti québécois a manifesté son intérêt pour la démarche albertaine, mais les autres partis siégeant à l’Assemblée nationale ont brillé par leur mutisme. En omettant de soutenir l’Alberta en fin de session parlementaire, le Québec a manqué une belle occasion de reprendre l’initiative face à l’ingérence d’Ottawa.
Le droit d’exercer des pouvoirs souverains dans les domaines de compétence reconnus par la constitution canadienne est loin d’être anodin. En plus de figurer au cœur de la Loi sur la souveraineté de l’Alberta, il est à l’origine de la doctrine Gérin-Lajoie, pilier de la politique internationale du Québec depuis 1965.
En ce sens, l’autonomisme n’est pas incompatible avec une pleine souveraineté reconnue en droit international, puisqu’il en pose les premiers jalons.
Au-delà de la politique-spectacle
Les souverainistes québécois mènent depuis quinze ans une politique de médias sociaux déconnectée de la réalité. En cela, ils ne diffèrent aucunement de leurs collègues fédéralistes. Leur trame narrative est faite de vertu ostentatoire, d’espadrilles fluo, d’odes à la décroissance, d’environnementalistes affublés de masques jetables – un spectacle navrant qui mène l’Occident tout droit vers l’abîme économique et démographique.
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Quand les pays émergents abritant les sept huitièmes de la population mondiale auront pris la place qui leur revient, qu’adviendra-t-il de notre territoire n’en accueillant qu’un millième, et dont l’influence décline au sein même du Canada?
Il est temps de revenir à une stratégie plus pragmatique et rassembleuse, axée sur la diplomatie, le dialogue et les intérêts à long terme du Québec dans un monde multipolaire. Tout ceci en évitant l’exceptionnalisme, l’attitude condescendante et les sermons moralisateurs hérités de la sphère anglophone.
L’élargissement du réseau de délégations du Québec aux pays du BRICS serait une mesure judicieuse, à condition que nous ayons encore une vision d’avenir et une culture originale à offrir au reste de la planète.