On ne cesse de promouvoir l’importance, l’urgence, l’obligation d’être plus productif, de créer plus de richesse. Mais de quelle productivité parlons-nous? Notre équation de gain de productivité est-elle complète? Si l’augmentation de la productivité provient d’une augmentation-intensité travail et d’une détérioration de notre environnement, y-a-t-il gain réel de productivité ou une illusion?
M. Jean Gadrey dans son article «La gauche et la productivité» Alternatives économiques 22 juin 2013 http://alternatives-économiques.fr/blogs/gadrey/2013/06/22/la-gauche-et-la-productivite/ présente bien l’équation-conciliation (ou l'inéquation) entre gain de productivité, intensité au travail et ressources naturelles.
Bonne lecture.
Michel Aubin
Cultivateur
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La gauche (politique, syndicale, celle des économistes hétérodoxes, « atterrés », etc.) est globalement, et depuis des décennies, attachée à l’idée que les gains de productivité du travail constituent un facteur majeur d’émancipation humaine. Ces gains sont par ailleurs les principaux moteurs d’une croissance considérée le plus souvent comme une nécessité absolue, crise ou pas crise.
Même des intellectuels qui restent à juste titre des références de la pensée écologiste, en particulier André Gorz, ont célébré les vertus libératrices des gains de productivité, vus comme la grande condition d’une réduction forte et continue du travail « hétéronome », au bénéfice du temps libre choisi et des activités autonomes, exercées « sans dieu ni maître ».
Bien entendu, cette gauche amoureuse des gains de productivité sait réserver de vives critiques aux « mauvais gains de productivité », en particulier ceux qui résultent de l’intensification du travail. Elle peut même, bien que ce soit plus récent, développer des arguments visant à distinguer le productivisme et la poursuite des « bons » gains de productivité, ce qui a évidemment du sens dans certaines activités, mais qui pose un problème persistant à l’échelle globale, on va le voir. Or, c’est bien à cette échelle qu’elle compte sur des gains de productivité, certes faibles, mais continus, dans ses scénarios sur les retraites, la protection sociale, la dette publique, etc.
On peut sans nul doute adhérer à ce principe énoncé par Jean-Marie Harribey qui, dans une contribution récente à la revue Ecorev’ (n° 40, mars 2013), propose d’inscrire dans la Constitution divers articles, dont celui-ci : « Le recherche de gains de productivité n’est autorisée qu’à la double condition de ne pas intensifier le travail et de ne pas détériorer les équilibres écologiques ».
Prenons ce principe au sérieux et demandons-nous quels gains de productivité auraient été « autorisés » au cours des « Trente Glorieuses », période considérée à gauche comme celle d’un assez bon « partage des gains de productivité ».
En fait, les fabuleux gains de productivité de ces trois décennies et même ceux, de moins en moins élevés, des décennies suivantes, ont été largement fondés, via des technologies toujours plus lourdes, sur une exploitation déraisonnable des ressources naturelles, à commencer par les ressources énergétiques fossiles et le climat, mais aussi les terres arables, l’eau, la biodiversité… Ils ont contribué à dilapider ces ressources et ils ont avancé de plusieurs décennies les « pics » (moments où la production commence à décliner) du pétrole et de la plupart des ressources minières, au détriment des besoins futurs.
Produire plus avec autant de travail, ce qui est la définition des gains de productivité, c’est fort bien… tant que l’on oublie qu’il faut en général plus de matériaux, d’eau et d’énergie, de pollutions et d’émissions, de sorte qu’on pompe alors de façon accélérée dans des biens communs disponibles en quantité limitée et dont certains sont proprement vitaux. Et c’est un facteur favorable à « l’effet rebond », la croissance des quantités consommées quand les prix baissent du fait… des gains de productivité.
Je me garderai bien d’affirmer, vu que c’est plus ou moins impossible à évaluer, que, lorsque l’économie française connaissait des gains de productivité de 5 % à 6 % par an, parfois plus, seulement la moitié ou le tiers de ces chiffres étaient « soutenables » et répondaient au principe de Jean-Marie Harribey. Mais rétrospectivement, il est clair qu’une grande partie de ces gains étaient des pertes à long terme, et qu’avec nettement moins de ces « gains », l’humanité n’aurait pas franchi, dès la fin des Trente Glorieuses, deux seuils à hauts risques : le dépassement du niveau d’émissions de gaz à effet de serre que la nature peut « recycler » selon ses propres rythmes, et le dépassement de l’empreinte écologique admissible par personne. Cette période en a donc ouvert une autre, qui risque d’être longue, où il va falloir faire machine arrière en termes de pression écologique. Les gains de productivité du passé en sont la cause ultime. Il serait bon d’en envisager et même d’en accélérer la fin, qui de toute façon va se produire, d’autant que d’autres raisons nous y poussent.
L’OUBLI DES SERVICES, DONT LES SERVICES PUBLICS
La gauche est imprégnée d’un industrialisme qui influe sur ses priorités économiques (voir ce billet). Mais elle défend aussi (en tout cas la vraie gauche) les services publics, et parfois elle revendique la mise en place de nouveaux services publics, par exemple en direction des personnes âgées, de la petite enfance ou des personnes handicapées, mais aussi de l’eau, des transports, de l’énergie…
Le paradoxe est alors qu’elle maintienne son attachement global aux gains de productivité sans réaliser que dans nombre de ces activités, devenues les plus gros bataillons de l’emploi (éducation, santé, justice, services aux personnes attachés à des droits universels, services sociaux, mais aussi recherche, etc.), les gains de productivité sont en général synonymes de dégradation de la qualité et de réduction des droits humains et sociaux. Dans de telles activités, il faudrait que ces gains deviennent négatifs !
Allez donc parler de gains de productivité aux animateurs de « L’appel des appels », lancé à l’initiative de « professionnels du soin, du travail social, de la justice, de l’éducation, de la recherche, de l’information, de la culture et de tous les secteurs dédiés au bien public » ! Allez en parler aux infirmières et aides-soignantes, aux aides à domicile, aux assistantes sociales, qui sont comme par hasard des professions ultra féminisées !
Chaque fois que l’on veut réaliser des gains de productivité dans ces énormes secteurs associés à des droits universels à défendre, on casse la qualité et les conditions de travail et l’on passe à côté de ce qui compte le plus. Et les syndicats, encore attachés à l’idée industrialiste du partage des gains de productivité (alors qu’il suffirait de parler de partage des richesses et du travail), devraient réaliser que ce qui donne du sens au travail dans ces secteurs est d’une part le professionnalisme et d’autre part la reconnaissance sociale des résultats sur et par les bénéficiaires et la société. Ce sont des gains de qualité et d’utilité sociale qui passent souvent par l’exigence de « prendre le temps de bien faire », de bien s’occuper des gens ou des choses, ce qui est un crime de lèse-productivité !
Et ce qui est vrai de ces services et de leur qualité oubliée dans les discours sur les gains de productivité émancipateurs, ne l’est pas moins de la qualité écologique des produits et des processus, c’est-à-dire d’un enjeu majeur de la période à venir. Les gains de productivité gigantesques dans l’agriculture depuis des décennies, bien supérieurs à ceux de l’industrie, sont bel et bien la raison majeure des dégâts humains, sanitaires et écologiques associés à l’agriculture industrielle et chimique qui a détruit massivement des emplois…
Il serait temps de remplacer le logiciel du partage des gains de productivité par celui du partage des gains de qualité, de soutenabilité, de partage du travail et des biens communs. Il faut pour cela en finir avec l’idéologie favorable à des gains qui nous conduisent à notre perte.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
28 juin 2013Bonjour monsieur Aubin,
Vous proposez une réflexion très pertinente sur les conséquences de la course aux gains de productivité.
Il y a longtemps maintenant que des économistes demandent d'inclure dans les coûts de production les « externalités » de toute activité productiviste, afin de contrer les effets délétères de la fameuse maxime : privatisons les bénéfices et socialisons les risques et les coûts environnementaux.
L'exemple classique que tous connaissent bien au Québec est la fermeture d'une mine et le rétablissement aux frais des contribuables du site minier désaffecté, les coûts de relocalisation des travailleurs qui dépendaient ou directement ou indirectement du travail à la mine et la gestion des impacts économiques et financièrs de la fermeture de la mine sur les finances de la municipalité concernée, ou sur les commerces, notamment...
Vous savez bien, j'imagine, que la règle d'or économique qui nous régit, « maiximiser les profits et minimiser les coûts », est toujours d'actualité. Pour paraphraser votre texte, tout gain de productuvité idéologique à venir devra forcément trouver le moyen de neutraliser cette idéologie par une nouvelle approche capable de soulever l'intérêt et l'adhésion des foules. Tout un programme que votre texte n'aborde pas encore...
Yvonnick Roy