L'homme de Davos ne sait plus

Crise mondiale — crise financière



Éric Desrosiers - Sans complexe, «l'homme de Davos» s'était donné cette année pour mission de trouver des façons d'«améliorer l'état du monde» en ce lendemain de crise. Exceptionnellement, il est arrivé cette fois à plus de questions que de réponses.
Comme chaque année depuis 40 ans, le Forum économique mondial a donné rendez-vous, la semaine dernière, au gotha du monde des affaires, de la politique et des bons sentiments dans la chic station de ski de Davos, dans le canton suisse des Grisons. L'an dernier, l'événement s'était tenu quelques mois à peine après la faillite de Lehman Brothers et ressemblait à la plage de Dieppe après le débarquement. Cette année, celui que l'on surnomme «l'homme de Davos» — à cause de cette foi inébranlable en la mondialisation et le libre marché qu'il en est venu à symboliser — avait retrouvé un peu de ses couleurs. Fidèle à ses habitudes, il s'était donné un thème pour le moins ambitieux: «Améliorer l'état du monde: repenser, redéfinir et reconstruire».
Le retour de la croissance dans la plupart des pays, et même la révision à la hausse des prévisions économiques du Fonds monétaire international de la semaine dernière, n'arrivaient pas encore à le convaincre totalement que la crise est bel et bien une chose du passé. Longtemps dans le camp des jovialistes, le ministre canadien des Finances, Jim Flaherty, disait même partager la crainte d'une rechute de l'économie (double-dip) exprimée par l'économiste américain Nouriel Roubini, aussi appelé «Docteur Catastrophe» depuis qu'il a été l'un des rares à prédire la crise.
L'une des inquiétudes est de voir les gouvernements s'affoler devant les proportions que prennent leurs déficits et débrancher trop tôt les mesures de stimulation qui, pour le moment, gardent leurs économies en vie. Une autre crainte est de voir, au contraire, toutes ces liquidités gonfler de nouvelles bulles spéculatives. On a beaucoup entendu parler, ces derniers temps, des marchés boursiers qui se seraient remis à grossir beaucoup trop vite depuis un an. Une autre peur est que tout cet argent facile aille dans les économies émergentes chinoise, indienne ou brésilienne, qui sont les seules à tourner à plein régime, mais qui commencent déjà à donner des signes de surchauffe.
L'homme de Davos n'était pas rassuré non plus par le degré d'avancement des réformes promises durant la crise. Malgré toutes les belles promesses du G20, le resserrement des règles du secteur financier avance, au mieux, en ordre dispersé. Trop honteux pour montrer le bout de leur nez l'an dernier, les grands banquiers étaient de retour à Davos, cette année, avec un message: «choisissez entre la réglementation ou la reprise».
Ils ont sûrement été ravis d'entendre le premier ministre Harper déclarer jeudi que «la réglementation du secteur financier doit viser les bons objectifs et ne pas être excessive». Ils ont probablement beaucoup moins apprécié la tirade de la veille du président français, Nicolas Sarkozy, contre ce «capitalisme dans lequel il était devenu normal de jouer avec l'argent, de préférence des autres, de gagner facilement, extrêmement rapidement, sans effort et souvent sans aucune création de richesses ou d'emplois».
Un nouveau monde
Mais il n'y a pas que les réformes du secteur financier qui n'avancent pas. Le déséquilibre mondial entre l'Occident endetté et les économies émergentes qui leur font crédit menace toujours de s'aggraver, la Chine ne veut même pas entendre parler de ses taux de change, le sommet de Copenhague a été un pitoyable échec, et les négociations à l'OMC sont toujours au congélateur.
Grand prêtre de l'abolition des frontières et de la coopération internationale, l'homme de Davos voit avec horreur les membres du G20 faire chacun ses petites affaires de son côté. Autrefois un moteur de l'intégration mondiale, le géant américain est aujourd'hui paralysé par ses chicanes internes. D'autres pays, pendant ce temps, semblent préférer se consacrer à leur rapprochement sur une base régionale.
Ce n'est pas la première fois que l'on parle de l'avènement d'un monde de plus en plus multipolaire et fragmenté à Davos, mais c'est la première fois qu'on le voit de si près. La crise mondiale a beaucoup fait pour enlever de la superbe aux puissances américaine et européennes qui prônaient jusque-là un ordre économique commun et pour raffermir le poids et l'influence de pays aux modèles économiques et aux intérêts différents. La recherche de consensus entre tous ces gouvernements ne sera pas de la tarte, se plaignait-on la semaine dernière au pied des Alpes suisses.
Ce sera encore pire que vous croyez, ont prévenu des experts du Brookings Institution et de l'Université de New York dans un rapport d'une cinquantaine de pages. Les principales menaces qui pèseront sur le monde à l'avenir seront beaucoup trop complexes et imprévisibles pour penser qu'elles ne nécessiteront que la négociation d'ententes entre gouvernements. Comme la dernière crise économique, la pollution, les pénuries alimentaires ou les pandémies, elles seront le produit, souvent involontaire, de toutes sortes d'acteurs et de toutes sortes de phénomènes tels que la mondialisation et la technologie. Pour s'y préparer, il faudra nécessairement mettre aussi dans le coup les entreprises privées, les organisations spécialisées, les experts, des groupes de citoyens...
Misère! a soupiré l'homme de Davos.


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