L'étudiant et son cellulaire

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Les images d’Épinal consistaient en des représentations de thèmes sacrés ou politiques; elles ont par exemple beaucoup contribué à façonner la pensée populaire à propos de l’épopée napoléonienne en forgeant une image de demi-dieu à Napoléon. Ces images sont des clichés dont on pensait s’être débarrassés; c’était sans compter sur André Pratte qui sait leur donner une nouvelle vie.
Il écrit dans son dernier éditorial : « la hausse [des frais de scolarité] n'est pas aussi brusque qu'on le dit. Trois-cent-vingt-cinq dollars par an, c'est 6,25$ par semaine. Les jeunes, dont 81% possèdent un téléphone cellulaire (47% un téléphone intelligent) peuvent se le permettre, d'autant que l'amélioration du programme de prêts et bourses amortira sensiblement la hausse. »
L’image de l’étudiant et de son cellulaire est un lieu commun fort apprécié des gens de droite : c’est une image rassurante et réconfortante ; le seul problème, c’est qu’elle est fausse.
Le cellulaire ne constitue pas un grand investissement pour les étudiants ; il en coûte environ 50$ pour en obtenir un. Or, les étudiants traînent en moyenne 14 000$ de dettes après leurs études universitaires ; l’achat de leur cellulaire représente donc 0.3% de leurs dettes, ce qui, on en conviendra sûrement, à moins d’être de mauvaise foi (André Pratte en est capable), n’est pas énorme.
Il faut aussi mentionner que les nouvelles technologies sont présentes partout ; elles étaient omniprésentes notamment lors du printemps arabe chez des populations qui ne sont pas reconnues pour avoir un niveau de vie élevé.
Au Québec, comme ailleurs, le cellulaire s’est répandu à la vitesse de l’éclair et on le retrouve partout, en bas comme en haut de l’échelle sociale, mais André Pratte aimerait que les étudiants fassent exception à la règle.
Ceux-ci devraient effectivement adopter une attitude janséniste face à l’existence, alors que lui-même est grassement payé par Power Corporation pour rédiger des éditoriaux médiocres et poncifs.
Je m’en voudrais aussi de passer sous silence l’étrange façon dont André Pratte a de présenter le portrait financier des étudiants.
C’est à Disraeli, ancien premier ministre britannique, qu’on doit la célèbre citation suivante : « Il y a trois sortes de mensonges : les petits mensonges, les gros mensonges et les statistiques. » Jamais elle ne m’a paru si juste que lorsque j’ai lu son fameux « Trois-cent-vingt-cinq dollars par an, c'est 6,25$ par semaine. »
Il y a quelque chose de louche lorsqu’on est obligé de maquiller un chiffre par un autre ; on dirait qu’on est en présence d’un habile vendeur tentant de masquer les défauts de son produit.
La vérité est pourtant toute crue : les étudiants dont l’endettement est déjà élevéverront celui-ci augmenter dangereusement quand, dans cinq ans, ils auront à débourser 3793$ par année d’étude.
Dans sa conclusion, André Pratte laisse transparaître tout son mépris pour les grévistes : « Le mouvement étudiant connaîtra encore deux ou trois semaines d'effervescence. Puis, à mesure que le printemps pointera à l'horizon, les étudiants songeront à la fin de la session et aux emplois d'été. Alors, le mouvement va s'essouffler. »
À ses yeux, la grève est un divertissement temporaire et sans conséquence : les étudiants ne sont pas sérieux ; lorsqu’ils manifestent, c’est pour s’amuser et rien d’autre. Aucun motif idéologique sérieux ne saurait guider leur pensée.
Espérons que les prochaines semaines feront mentir André Pratte et que les étudiants descendront massivement dans la rue. En tout cas, son dernier éditorial pourrait paradoxalement contribuer à leur insuffler la rage de manifester !
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Nicolas Bourdon
L’auteur est professeur de littérature au Collège de Bois-de-Boulogne


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