L'époque du Patron

Chronique d'André Savard

Jean Chrétien se montre très fier de se voir décerné l'ordre du mérite british. La reine Elizabeth II lui a annoncé la bonne nouvelle. Les deux s'entendent très bien depuis longtemps. L'auguste souveraine a toujours aimé ce fonceur qui ne fait pas de chichis. Elle apprécie le personnage, un point qui l'a fait tomber dans le panneau à la veille du dernier référendum sur la souveraineté du Québec.
On se souviendra que l'humoriste Pierre Brassard, imitant la voix du premier ministre canadien avait téléphoné la reine pour lui demander une déclaration officielle à la nation canadienne. L'intervention de la reine dans la campagne référendaire, lui disait le faux Jean Chrétien, pourrait sauver la mise. Jusqu'à ce point précis de l'appel bidon, nous pouvions nous expliquer que la reine soit leurrée. Après tout, le Canada étant un rejeton de l'Angleterre et le Québec en faisant partie intégrante, cette demande n'avait rien de fantaisiste aux yeux de la souveraine.
Où cet appel bidon du faux Jean Chrétien à la vraie reine d'Angleterre était si révélatrice réside dans le fait que, jusqu'à la fin, la reine n'y a vu que du feu. "Allez-vous fêter l'Halloween? Vous n'aurez pas à vous déguiser. Vous n'avez qu'à porter votre chapeau" faisait dire Pierre Brassard à Jean Chrétien. Cette remarque et bien d'autres ne jeta pas le moindre doute dans l'esprit d'Elizabeth II sur l'identité de son interlocuteur. Pierre Brassard avait beau faire de Jean Chrétien un pitre, la souveraine qui connaissait bien Jean Chrétien poursuivait dans sa méprise pour une simple raison: le personnage imité était plus vrai que nature.
Jean Chrétien a remporté des majorités incroyables au Québec même s'il a contribué à plusieurs grands coups de force à l'encontre de la "province" comme il le dit si bien. Cet homme récipiendaire à présent de l'ordre du mérite british avait tellement l'air d'être l'incarnation typique du terroir québécois.
Avec lui, le Fédéral pouvait resserrer la bride sans que cela ressemble trop au fruit d'une contrainte, d'une violence extérieure. Il faut des Québécois au gouvernement d'Ottawa pour cela. On entend ce propos si souvent de la part des fédéralistes parce que s'il en va ainsi les politiques unitaristes ne paraissent pas comme étant importées de l'extérieur au Québec. Le calcul est simple: Plaquez des figures québécoises sur les politiques unitaristes candiennes et celles-ci se présenteront comme des produits organiques de la société québécoise.
À chaque rendez-vous électoral, les Québécois se font dire qu'en étant dans l'opposition à Ottawa, ils ne commencent pas par le bon bout. C'est un appel déguisé à envoyer d'autre Jean Chrétien à Ottawa, d'autre Trudeau. On leur dit que c'est la seule façon pour eux d'être représenté au pouvoir.
Ils auraient le choix: ou être représenté par des fédéralistes comme Trudeau et Chrétien, ou être confiné dans l'opposition à Ottawa, ou faire carrière à Québec, l'administration locale.
Pour pousser plus loin dans les salades, on a le culot de dire que c'est très bien que l'appareil gouvernemental canadien n'accepte que des réprésentants fédéralistes. Il n'y aurait rien à craindre là-dedans car leur façon de représenter le Québec n'aurait rien de politique, rien d'idéologique. Un coup de fil de leur part et débloquerait la subvention pour la construction d'un pont, un nouvel octroi budgétaire à quelque municipalité.
Élisez des fédéralistes à Ottawa et dans tel cas l'affaire sera dans le sac. Et ces élus fédéralistes doivent surtout assurer qu'ils ne changeront rien aux structures, rassurer les anglophones qu'ils ne changeront rien aux conditions fondamentales du pouvoir provincial. Sinon, ils savent qu'ils se feront bouffés tout crus comme révisionnistes.
Ce sont ces mêmes carriéristes qui à chaque campagne reférendaire entonne le refrain: De quoi as-tu peur au juste? Un Québécois peut être le grand patron du Canada. Et recevoir l'ordre du mérite british des mains de la souveraine...
André Savard


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