Et ils voudraient qu’on applaudisse (1)

L’emploi québécois dans les sables mouvants albertains

Dans la marde jusqu'au menton, on ne pourrait que souhaiter ne pas faire de vagues?...

Ils ont un chiffre. Selon le rapport que vient de publier le Canada West Foundation (CWF), l’économie québécoise sera dopée, d’ici 25 ans, par l’exploitation des sables bitumineux.
De combien ? 30 000 emplois permanents sur 25 ans. Ces emplois seront créés grâce aux retombées des titanesques investissements albertains. Le message de la CWF est clair: toute volonté de nuire au développement des sables par des contraintes écologiques sérieuses serait l’équivalent de tuer la poule aux oeufs d’or. (En version originale: Simply put, a blow to the oil and gas industry equals a blow to the western Canadian economy which equals a blow to the national economy.)
Le problème avec ce calcul est qu’il masque une autre conséquence du développement pétrolier canadien: il a détruit, en cinq ans seulement, au Québec, 55 000 emplois manufacturiers. Et cette destruction des emplois québécois (et ontariens) ne fait que commencer. Voici pourquoi.
Accrochez n’importe quel économiste passant sur la rue et demandez-lui ce qu’est le «mal hollandais». Il vous expliquera que c’est la maladie qui affecte le reste de l’économie d’un pays lorsque son industrie pétrolière est en plein boom. Le pétrole fait augmenter la valeur de la devise — chez nous du dollar –, ce qui rend moins compétitives les autres industries et leur fait perdre des marchés, donc des emplois.
Selon une étude publiée l’an dernier par des économistes de l’Université d’Ottawa, du Luxembourg et d’Amsterdam, Does the Canadian economy suffer from Dutch Disease? «jusqu’à 54% des emplois manufacturiers perdus au Canada entre 2002 et 2007 l’ont été à cause du mal hollandais».
Les auteurs précisent que, par cercles concentriques, les industries les plus durement touchées sont l’industrie textile et électronique (concentrées au Québec) et la machinerie. En deuxième lieu, on trouve le meuble (concentrée au Québec) les plastiques, le caoutchouc et le métal usiné. Finalement, celles des pâtes et papiers et du matériel roulant (concentrées au Québec).
Entre 2002 et 2007, le Québec a perdu 103 000 de ses 432 000 emplois manufacturiers. En appliquant la règle des auteurs de l’étude, c’est dire que 55 000 emplois ont été perdus à cause de la montée du dollar provoquée par le pétrole.
D’autres économistes pensent que le mal hollandais n’a pas un impact aussi important. Mais tous estiment que la suite des choses est déjà écrite. Plus l’exploitation des sables bitumineux s’étendra — et il s’étendra énormément — et plus le prix du pétrole augmentera — et il augmentera — et plus le dollar canadien prendra de la valeur, et plus la base manufacturière du Québec souffrira. Si on a perdu en cinq ans 55 000 emplois, combien en perdrons-nous, d’ici 25 ans?
Nous savions qu’il y avait des raisons environnementales de s’opposer au développement de l’industrie des sables bitumineux en Alberta. Mais il appert que le strict intérêt économique québécois nous conduit à souhaiter le moins de développement pétrolier supplémentaire possible ailleurs au Canada.
Ce déplacement de l’économie canadienne en faveur de son pôle pétrolier est l’équivalent de sables mouvants qui engloutissent inexorablement les emplois québécois. Et ils voudraient nous faire applaudir.
Demain: Comment le Québec investit,
à son corps défendant, dans le pétrole sale.

Squared

Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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