Jean Charest nous a précipités dans une élection inutile, contre l'avis de la majorité des citoyen(ne)s: il dit pourtant avoir appris à écouter. Il n'a même pas eu la décence de nous laisser quelques jours pour respirer le nouvel air frais venu de nos voisins du Sud. Il dit pourtant avoir développé une nouvelle sensibilité politique. Comment le croire?
Nous sommes plongés en campagne électorale avec un slogan qui, bien qu'alléchant pour tous les inquiets que nous sommes devenus dans cette période de crise financière, ne nous ramène pas moins dans les mêmes vieux sentiers battus qui en sont la cause. Étrange d'ailleurs que M. Charest n'ait même pas fait référence à l'appel de son bon ami Sarkozy, qui invite les pays occidentaux à une réforme du capitalisme lui-même. Moins étrange cependant de le voir encensé par M. Montmarquette, un des économistes des Lucides, dont on se rappellera qu'ils appelaient à «adapter» le Québec aux exigences de la mondialisation économique néolibérale -- de la musique aux oreilles de M. Charest -- et dont les dirigeants soi-disant lucides et compétents nous ont menés à la crise actuelle. Et il faudrait faire confiance à ces pyromanes miraculeusement transformés en pompiers pour régler les problèmes bien réels sur le plan économique.
«L'économie d'abord» est un slogan qui trompe la population de deux façons: d'abord en continuant de présenter l'économie comme la nouvelle religion des temps modernes, censée régler tous nos problèmes, et ensuite en omettant très soigneusement de dire de quelle économie parlent les libéraux. L'orientation globale de la campagne électorale, à laquelle les principaux partis ont emboîté le pas, évacue ainsi complètement les questions de fond: l'économie pourquoi, pour qui, pour quelles orientations, pour quelle société? C'est ce qu'on appelle un économisme plat, qui laisse croire à la population que l'économie doit primer dans une société, qu'elle vit par elle-même, toute seule, isolée dans sa bulle spéculative, à l'abri de la vigilance citoyenne; une économie «royale» ayant ses propres lois dites «naturelles» (les mystérieuses lois du marché), ses propres dirigeants (prestidigitateurs intouchables), ses propres règles (anti-démocratiques), sa propre main (invisible); une économie jouissant d'une totale liberté, le marché libre, à laquelle un État ne doit jamais s'attaquer sous peine de mettre en péril la croissance et la prospérité. Avec ce slogan, M. Charest rapetisse nos existences et nous envoie le message que nos vies s'épuisent dans l'économie. C'est faux et c'est dangereux.
En omettant de dire quelle «économie d'abord» il promeut, le PLQ se pose en fait en continuateur du néo-libéralisme et de l'économie de marché telle que nous l'avons hélas presque toujours connue. Il nous propose des politiques à courte vue, pensées dans l'urgence du moment et qui ne dénotent aucune autre vision de l'avenir du Québec que de poursuivre sur l'erre d'aller, le chemin précisément qui nous a conduit aux impasses actuelles. Rien dans son programme ne laisse même entrevoir un début de réflexion sur les causes structurelles des dérives du capitalisme mondialisé et encore moins sur les alternatives à inventer.
Rappelons-nous le discours inaugural de M. Charest en avril 2003, un éloge dithyrambique du libre marché «pour insuffler un vent d'air frais au Québec» nous promettant que bientôt, ce sera la zone de libre-échange des Amériques qui réunira la Terre de Baffin et la Terre de feu dans un seul marché. Rappelons-nous ses vibrantes promesses de réduction de l'État, présumé trop lourd, trop coûteux et surtout trop interventionniste dans les libres forces du marché. Rappelons-nous son obsession pour la réingénierie, etc. Cela nous a valu entre autres d'être maintenant la province où la privatisation de la santé est la plus avancée, de vivre avec des lois dures passées sous le bâillon et dont nous devons encore souffrir au mépris des droits et de la démocratie, des partenariats public-privés dont on a sciemment tu les effets désastreux dans les pays où on les a déjà utilisés, etc.
Le discours économique devient la ligne quasi incontournable à suivre pour répondre à tous les enjeux auxquels nos sociétés doivent faire face. Toutes les dimensions de la vie sociale (éducation, santé, culture) sont abordées à travers le prisme du raisonnement économique. L'économie occupe ainsi une place démesurée dans nos sociétés. La question mérite pourtant d'être posée: l'économie est-elle au service de la société ou la société est-elle au service de l'économie? Poser les vraies questions, ce n'est donc pas s'enferrer dans le tout économique.
C'est plutôt réfléchir aux modalités du monde que nous voulons construire ensemble. En ce qui nous concerne, nous optons pour un renforcement de la démocratie, y compris la démocratisation de l'économie, qui passe par le respect des droits (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels), une réforme du mode de scrutin qui fasse place à la proportionnelle afin de mieux respecter le principe d'égalité des voix, la mise en place d'une culture de la délibération publique et le développement d'une information de qualité qui se distingue du spectacle et de la complaisance vis-à-vis des pouvoirs. Nous optons également pour un Québec inclusif qui ne marginalise ni les groupes ethnoculturels, ni les pauvres, ni les femmes mais leur accorde une voix égale au chapitre de la définition de notre avenir commun.
Et si, en vue d'assurer la justice, l'égalité et la cohésion sociale, nous posons comme objectifs fondamentaux pour le Québec l'élimination de la pauvreté, la réduction des inégalités, le développement durable et local, des salaires décents, le maintien et le développement de services publics accessibles et universels en santé et en éducation, entre autres, «l'économie» dont nous parlons n'aura rien à voir avec celle du slogan libéral: les ressources économiques utilisées, les politiques et les programmes mis de l'avant, les budgets dégagés le seront en fonction de ces objectifs et non l'inverse.
Minoritaire, M. Charest a été contraint de ne pas trop nuire au Québec. Mais ne nous y trompons pas: seuls les acquis de la société québécoise et les forces sociales vigilantes lui ont tenu la bride. Majoritaire, M. Charest ne tardera pas à redevenir ce qu'il est fondamentalement: un néo-libéral conservateur et autoritaire à la Harper et à la Bush, dont les mots-clés demeurent toujours compétitivité, libéralisation, déréglementation, privatisation, ces maux qui ont provoqué le marasme dans lequel Wall Street nous a précipités. Cette économie-là d'abord ? Non merci.
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Diane Lamoureux, D'abord solidaires
Lorraine Guay, D'abord solidaires
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