Malgré de belles réalisations, Denis Lazure a vécu une bonne partie de sa carrière politique dans l'ombre de l'autre psychiatre du gouvernement Lévesque, son vieil ami Camille Laurin.
Très rares sont ceux dont le bilan peut être comparé à la Charte de la langue française. Dans toute l'histoire du Québec, aucune loi n'a été aussi marquante. Il y a le Québec d'avant la loi 101 et celui d'après.
Même quand il a claqué la porte du cabinet pour protester contre le «beau risque» en novembre 1984, M. Lazure faisait encore partie des «autres ministres» qui avaient emboîté le pas au docteur Laurin et à Jacques Parizeau.
Les deux hommes qui avaient révolutionné la psychiatrie québécoise ont finalement été unis dans une commune déception dix ans plus tard, quand M. Parizeau les a exclus de son Conseil des ministres, alors que des nouveaux venus qui n'avaient pas leurs états de service y étaient admis. Il y avait une certaine grandeur dans la manière dont l'un et l'autre ont ravalé cette décision humiliante.
Ils incarnaient très bien l'esprit du remarquable groupe d'hommes et de femmes qui ont pris le pouvoir en 1976, après avoir déjà apporté une remarquable contribution à l'édification du Québec moderne durant les années de la Révolution tranquille. Passé la cinquantaine, M. Lazure n'était pas un politicien de carrière. Il voyait plutôt la politique -- et la souveraineté -- comme l'aboutissement de son action antérieure.
Bien avant l'ouverture des «cliniques Lazure», qui ont rendu l'avortement plus accessible aux Québécoises, ou encore le développement de maisons de transition pour les femmes victimes de violence, M. Lazure avait joué un rôle de premier plan dans la réorganisation des soins psychiatriques et la désinstitutionnalisation.
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Il n'avait pas froid aux yeux. À peine installé aux Affaires sociales, il avait confié son désir d'imposer aux jeunes médecins un service obligatoire de deux ans en région et de faire de tous les médecins des salariés de l'État. M. Lazure avait la réputation d'être un homme déterminé, pour ne pas dire têtu, mais la bouchée était un peu grosse.
Le docteur Augustin Roy, alors président du Collège des médecins, avait accueilli sa nomination en déclarant: «Le docteur Lazure est un gars dur qui va déranger, apporter des changements, mais c'est justement pour ça qu'on a changé de gouvernement.» Le docteur Roy souhaitait tellement ce changement que, pour y mettre un terme, lui-même s'est porté candidat sous la bannière libérale aux élections suivantes.
Marc-André Bédard a souligné qu'au Conseil des ministres, M. Lazure «a toujours pris le parti des plus démunis». Qu'il s'agisse de s'opposer à l'introduction d'un ticket modérateur sur les soins de santé ou de lutter en faveur d'une pleine indexation des prestations d'aide sociale, il se rangeait automatiquement dans le camp progressiste, quitte à indisposer le premier ministre.
Son engagement et sa ténacité n'avaient pas diminué après son retrait de la vie politique, comme en a témoigné sa croisade en faveur des orphelins de Duplessis, qui avait profondément irrité Lucien Bouchard.
Déjà, à l'époque où il était étudiant en médecine, il s'était intéressé de près aux aspects sociaux de la maladie et à l'organisation des soins de santé. Son héros était Norman Bethune, qu'il admirait plus encore pour sa pratique dans les milieux défavorisés de Pointe-Saint-Charles que pour sa longue marche aux côtés de Mao.
Durant toute sa vie, il a été un défenseur intraitable du système public de santé. Dans ses mémoires publiés en 2002 sous le titre Médecin et citoyen, il remettait brutalement en question les motivations de ses deux prédécesseurs libéraux, Claude Castonguay et Claude Forget, quand ils plaidaient pour une plus grande ouverture au secteur privé.
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«[Ils] ont poursuivi dans le secteur privé leur carrière personnelle. C'est leur droit le plus fondamental, mais j'estime que leur participation à ce débat crucial pour l'avenir de notre système de santé porte souvent à confusion. Il faut garder à l'esprit que leur préoccupation a changé de cible et que leurs priorités vont désormais davantage aux entreprises privées qu'au bien public qu'ils défendaient auparavant en tant que ministres», écrivait-il.
M. Lazure dénonçait le «discours insidieux» selon lequel l'État n'avait plus les moyens de maintenir l'intégrité du système public de santé. Le recours à l'assurance privée lui faisait craindre un retour à la situation antérieure à la création de la Régie de l'assurance maladie, à l'époque des «cartes roses» pour les indigents et de la «grande porte avant pour les malades fortunés».
C'est au NPD que M. Lazure a fait son apprentissage de la politique dans les années 1960. S'il a rejoint les rangs du PQ en 1970, c'est parce qu'il pouvait enfin se reconnaître dans un parti qui était à la fois nationaliste et progressiste. Dans son esprit, la souveraineté n'aurait eu aucun sens si elle n'avait pas eu pour objectif de rendre le Québec plus juste.
Dans ses mémoires, l'ancien ministre s'inquiétait de «la quasi-absence de relève à l'intérieur de l'aile gauche du parti». Il aurait sans doute très mal compris le silence du PQ depuis la publication du rapport Castonguay.
Selon lui, il fallait se méfier de «l'astuce des mots à la mode». Un de ceux-là était «modernisation». Après avoir réclamé sans ménagement le départ d'André Boisclair, M. Lazure n'a jamais dit ce qu'il pensait de la cure de «modernisation» que Pauline Marois entend faire subir à la social-démocratie péquiste. C'est peut-être mieux ainsi.
mdavid@ledevoir.com
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