Joyeux Noio hel: le paradoxe des souhaits de Noël

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011



L'ironie, c'est que ceux qui s'offusquent de l'expression laïque font probablement la promotion d'un terme «païen» bien antérieur au christianisme. L'origine la plus vraisemblance du mot Noël ne serait pas le latin natalis dies (jour de naissance) mais le gaulois noio hel ou le francique neu helle, deux expressions signifiant «nouveau soleil» ou «nouvelle clarté».
Chaque année à pareille date, des bien-pensants partent en croisade contre le fait que certains commerces et institutions publiques utilisent l'expression «Joyeuses Fêtes» plutôt que «Joyeux Noël», y voyant une atteinte à la tradition.
La racine de noio et de neu se retrouve dans de nombreux dialectes régionaux disparus, comme nau en Charente, neues en breton, naoué en Lorraine, nouvé en Franche-Comté, nouel en Normandie, nouè en Provence (sans compter new en anglais), et cette racine vient du grec neos signifiant nouveau. Les mots hel et helle ont eux aussi une origine grecque, soit helios signifiant «soleil».
Vous ne trouverez pas cette étymologie dans Le Larousse ni dans Le Robert; les dictionnaires n'accréditent que l'interprétation classique rattachant «noël» au latin natalis. Pour établir le lien, il faut faire disparaître le t du mot latin et comprimer les deux a en un o. Des linguistes modernes remettent en question cette interprétation et soutiennent plutôt l'hypothèse de l'origine gauloise du mot.
Il est étonnant de constater à quel point cette hypothèse est largement répandue dans les médias français alors qu'elle n'a jamais été évoquée au Québec. Elle est également mentionnée dans des ouvrages sérieux, comme le texte de l'historien Michel Coindoz, «Les origines de Noël et de son imagerie» (Archeologia, décembre 1992), et l'ouvrage de la sociologue Martyne Perrot, Ethnologie de Noël - Une fête paradoxale (Grasset, 2000).
Noël et Nativité
Cette hypothèse est par ailleurs appuyée par le fait que les mots latins natalis et nativitas ont donné «natalité» et «nativité» en français; de ces mêmes sources latines, le portugais, l'espagnol et l'italien ont respectivement tiré les mots Natal, Natividad (contracté en Navidad) et Natale pour désigner la fête religieuse du 25 décembre et qui est celle de la Nativité.
Le fait que l'Église catholique spécifie que la célébration religieuse qui a lieu le jour de Noël est la Nativité montre bien qu'il y a là deux réalités qui se recoupent. Si «Noël» signifiait «nativité», pourquoi un deuxième mot pour désigner la même chose, alors que noi hel possède à la fois une parenté étymologique avec le mot «Noël» et une parenté sémantique avec le sens des célébrations du solstice qui sont à l'origine de cette fête?
Origines préchrétiennes
Contrairement à ce qui s'est passé dans autres langues latines, le mot «Nativité» n'aurait tout simplement pas réussi, en français,
à déloger le terme noio hel, pas plus que la symbolique chrétienne du dieu-enfant n'a réussi à éclipser les fêtes populaires et carnavalesques qui se sont toujours tenues et continuent de se tenir pour souligner le solstice.
L'interprétation latine traditionnelle ne serait donc pas exempte de rectitude politique visant à occulter les origines préchrétien-
nes de la fête qui trouve sa source dans le culte romain de Mithra (dieu du «soleil invaincu») et dans les autres fêtes de solstice des pays nordiques. Avant la réforme du calendrier par Jules César, le solstice d'hiver correspondait au 25 décembre du calendrier romain, et les festivités ont continué de se tenir à cette date même après que le solstice eut correspondu au 21 décembre du calendrier julien.
D'un point de vue étymologique, les laïcs, libres penseurs et athées auraient donc toutes les raisons de se souhaiter «Joyeux Noël» alors que les chrétiens devraient se souhaiter «Joyeuse Nativité» comme dans les autres langues latines.
Daniel Baril, Anthropologue et auteur de La grande illusion - Comment la sélection naturelle a créé l'idée de Dieu (MultiMondes, 2006)

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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