Japon: les robots à la rescousse d’une société vieillissante [VIDÉO]

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Un pays qui refuse l'immigration de remplacement en misant sur la robotisation

Vous voulez savoir à quoi pourrait ressembler un Québec vieillissant, dans 15 ou 20 ans? Alors suivez LE SOLEIL pour une série de trois reportages au Japon, le pays le plus âgé du monde. Au pays du Soleil levant, près de 30% de la population a dépassé le cap des 65 ans, contre 19% au Québec. Et ça ne fait que commencer. Du code de la route au magasinage, en passant par le travail, les mangas et le cinéma porno, les Japonais sont obligés de réinventer la vieillesse. Dans la seconde partie, nous demandons qui va remplacer tous les Japonais qui partent à la retraite? Des robots ou des immigrants?


D’ici 2025, le Japon doit trouver 350 000 employés rien que pour ses centres de soins pour les personnes âgées. Impossible de remplacer tous ceux qui prennent leur retraite. Ni de faire face aux besoins grandissants. Le temps presse. Reste à connaître l’identité des futurs employés. Des robots ou des immigrants?


Au troisième étage de la maison de soins Shintomi, au centre de Tokyo, c’est l’heure du karaoke. Un moment sacré. Devant l’écran géant, une douzaine de personnes tentent de suivre le rythme. Quelques unes réussissent même à taper des mains. La moyenne d’âge dépasse largement 90 ans.


Une scène banale, sauf que l’animateur qui les encourage à faire la vague n’est pas un humain. Il s’agit d’un petit robot humanoïde blanc répondant au nom de Pepper. Un technicien veille sur lui, juste au cas où. Parfois, Pepper fixe son mentor humain un regard vaguement larmoyant. Comme s’il attendait quelque chose. Des félicitations, peut-être?


À l’étage du dessous, d’autres pensionnaires s’amusent avec d’étranges animaux de compagnie. Une vieille dame à l’air absent caresse Paro, un phoque de peluche rose qui a l’air si vivant que même Brigitte Bardot se laisserait émouvoir. Dans un grand panier, trois petits chiens électroniques se tortillent dans tous les sens.



«Les petits animaux électroniques ne se fatiguent jamais. Même si on répète le même geste, encore et encore, explique une infirmière. Pour certains pensionnaires atteints de démence, le simple fait de sourire constitue une petite victoire. Cela exerce les muscles du visage.»


Curieusement, il semble que moins un robot a une apparence humaine, moins il fait peur aux pensionnaires les plus confus. Mais en entendant le mot «démence», une statistique revient à l’esprit. Aujourd’hui, environ 4,4 millions de Japonais souffrent de démence. Plus que la population du grand Montréal. Et ça ira en augmentant...


Laboratoire du futur



La maison Shintomi constitue une sorte de laboratoire. Une vitrine. Un aperçu du CHSLD du futur. Ses 76 pensionnaires cohabitent avec une vingtaine de machines différentes, dont un petit nombre sont déjà disponibles au Québec.



La maison Shin-tomi constitue une sorte de laboratoire. Une vitrine. Un aperçu du CHSLD du futur. Ses 76 pensionnaires cohabitent avec une vingtaine de machines différentes, dont un petit nombre sont déjà disponibles au Québec.


La maison Shin-tomi constitue une sorte de laboratoire. Une vitrine. Un aperçu du CHSLD du futur. Ses 76 pensionnaires cohabitent avec une vingtaine de machines différentes, dont un petit nombre sont déjà disponibles au Québec.


JEAN-SIMON GAGNÉ


Il y a des exosquelettes qui permettent de soulever des charges importantes. D’autres qui enserrent les hanches et le bas du dos, pour faciliter la marche. Sans oublier le lit Panasonic, qui peut se transformer en chaise roulante sans avoir besoin de soulever son occupants.


Le directeur du centre, Kimaya Ishikawa, précise qu’il n’avait pas le choix d’appeler les robots à la rescousse. «Sept employés sur 10 développent des problèmes de dos. Nous avions beaucoup de difficultés à recruter. Pour l’instant, les robots servent surtout à améliorer le moral de tout le monde. Les pensionnaires trouvent la présence des robots plutôt rassurante. Et le personnel sait que nous essayons d’améliorer les conditions de travail.»


«Le but des robots n’est pas de remplacer les humains, insiste M. Ishikawa. Nous ne serons jamais comme une chaine de montage de voitures, où tout est automatisé. Ce qui est important, c’est de comparer la situation avant et après l’installation d’un robot. Pour voir si la machine a été utile.» Dans l’immédiat, leur prix pose encore un problème. Un seul exemplaire du phoque Paro coute 3 700 $.


«Avec les robots, nous n’en sommes qu’au début», convient le directeur Ishikawa. Mais déjà, les machines changent des vies. Dans un immeuble de cinq étages dépourvu d’un ascenseur, un homme en chaise roulante n’était pas sorti dehors depuis des années. Grâce à un appareil conçu pour faire descendre les escaliers à une chaise roulante, il peut maintenant faire des promenades.


«L’objectif ultime, c’est que les robots s’occupent des tâches pénibles ou répétitives, conclut le directeur. Grâce à eux, les humains doivent avoir plus de temps pour s’occuper des humains. Nous en sommes encore loin.»


Le robot divin



Avant, le Japon craignait que les robots volent les emplois des humains. Aujourd’hui, il s’inquiète qu’ils ne soient pas assez nombreux pour s’occuper d’une population vieillissante. Un chiffre résume la situation. En 1963, le pays comptait 153 centenaires. En septembre 2019, il en recensait 71 238, incluant Kane Tanaka, la doyenne de l’humanité, née le 2 janvier 1903. (1)


Pour compenser la pénurie de main d’œuvre, le ministère japonais de l’Économie et du Commerce mise à fond sur l’industrie robotique. On prévoit que le marché sera multiplié par 10, d’ici 2035. Les robots représenteront alors une affaire de plus de 115 milliards $CAD, dont la moitié pour les services. Il faut dire que l’immigration reste microscopique. En 2018, seulement 18 étrangers détenaient un permis de travail reliés au soins pour les personnes âgés. (2)


Le robot Pepper anime un karaoké. Curieusement, il semble que moins un robot a une apparence humaine, moins il fait peur aux pensionnaires les plus confus.


Le robot Pepper anime un karaoké. Curieusement, il semble que moins un robot a une apparence humaine, moins il fait peur aux pensionnaires les plus confus.


JEAN-SIMON GAGNÉ


À travers le Japon, l’univers du robot est en pleine expansion. Dans un temple bouddhiste, un robot joue Kannon, la déesse de la compassion. (3) On ne s’étonne plus des exploits de Haiko Ichira, le robot humanoïde qui sert de réceptionniste dans un grand magasin de Tokyo. (4) Et l’an prochain, lors des jeux olympiques d’été, des robots serviront les repas et les rafraichissements aux spectateurs à mobilité réduite. (5)


Cette année, on annonce la commercialisation d’une nouvelle version de l’humanoïde Pepper, qui répondra aux commandes vocales. La compagnie de télécommunications NTT travaille à créer un robot qui pourra prévoir la chute de quelqu’un, à partir de sa démarche et de ses signes vitaux. Et comment oublier la promesse de officielle de «lancer» des taxis volants à Tokyo, en 2023?


Le tyrannosaure maladroit



Entre nous, les robots ne gagnent pas toujours. Ainsi à Sasebo, dans l’ouest du Japon, le projet d’hôtel entièrement géré par des robots a connu un échec retentissant. Il a fallu réembaucher des humains en catastrophe. (6) À la réception, le robot en forme tyrannosaure était plutôt sympathique, mais il n’arrivait pas à faire les photocopies de passeports. Quant à ses collègues chargés de transporter les valises, ils se butaient contre les seuils de portes. Dans un autre cas célèbre, le robot assistant de chambre a réveillé un client à de nombreuses reprises, au cours d’une nuit. Apparemment, il confondait les ronflements du dormeur avec le bruit d’une conversation.


Bref, l’assistant insistait un peu trop. Il ne cessait de réveiller le client en demandant:


— Pardon, je ne suis pas sûr de vous avoir compris?


Le Soleil s’est rendu au Japon dans le cadre d’un programme de bourse offert par le Foreign Press Center Japan (FPCJ).



 

Le directeur du centre, Kimaya Ishikawa, précise qu’il n’avait pas le choix d’appeler les robots à la rescousse. «Sept employés sur 10 développent des problèmes de dos. Nous avions beaucoup de difficultés à recruter.


Le directeur du centre, Kimaya Ishikawa, précise qu’il n’avait pas le choix d’appeler les robots à la rescousse. «Sept employés sur 10 développent des problèmes de dos. Nous avions beaucoup de difficultés à recruter.


JEAN-SIMON GAGNÉ


À LIRE AUSSI



Notes:



(1) le Japon compte 70 000 centenaires, un record, rtbf.be, 13 septembre 2019.


(2) Robots Making Inroads in Japan’s Elder Care Facilities, But Costs Still High, The Japan Times, 30 mars 2018.


(3) Un androïde enseigne la sagesse dans un temple japonais, Agence France-Presse, 14 août 2019.


(4) https://www.dailymotion.com/video/x2nb8df


(5) Robots and Reconstruction: Can Tokyo 2020 Top 1964’s Olympic Legacy, The Guardian, 10 juin 2019.


(6) Après une expérience catastrophique, un hôtel japonais renvoie ses employés-robots, Le Figaro, 16 janvier 2019.


+


«LES ROBOTS NE SUFFIRONT PAS»


En 2060, si la tendance se maintient, la population du Japon aura fondu d’un quart. Le pays pourrait alors compter plus de «retraités» que de travailleurs. Déjà, la pénurie de main d’œuvre affecte des secteurs comme la construction, dopée par les chantiers des Jeux olympique de 2020. On y trouve six offres d’emplois pour chaque chômeur. (1)


Un peu en désespoir de cause, le gouvernement vient d’assouplir ses lois d’immigration. Au cours des cinq prochaines années, 500 000 travailleurs étrangers seront autorisés à venir travailler, dans les domaines où les besoins sont les plus criants. (2)


Pour les étrangers les moins qualifiés, qui obtiendront 70% des visas disponibles, les conditions sont sévères. À leur arrivée, ils doivent parler suffisamment le Japonais pour se débrouiller dans la vie quotidienne. De plus, leur famille ne peut pas les accompagner. Le premier ministre Shinzo Abe a aussi promis qu’au bout de cinq ans, il leur faudra rentrer chez eux. (3) 


«Le Japon est parvenu à une point tournant, analyse Kato Hisakazu, professeur de science politique à l’Université de Tokyo. Le gouvernement accepte de recevoir des travailleurs étrangers, mais dans la plupart des cas, il n’est pas prêt à leur accorder la nationalité japonaise.» Pour lui, cette «timidité» peut rendre le pays moins intéressant. «Au lieu d’aller au Japon, bien des étrangers vont à Taiwan ou en Corée du Sud, ajoute-t-il. Pour un pays vieillissant comme le nôtre, ce n’est pas une bonne nouvelle. Les robots ne suffiront pas.»


En matière d’immigration, le Japon a longtemps fait bande à part. À peine 2% de la population est d’origine étrangère. Depuis 1993, un système de stages faisait entrer des travailleurs au compte-goutte. Sans trop d’effets sur la pénurie de main d’œuvre. Mais c’est le bilan du pays en matière d’accueil de réfugiés qui frappe le plus l’imagination. En 2017, sur les 20 000 demandes reçues, le pays a accepté 20 réfugiés. Une sur 1 000... Jean-Simon Gagné



Le Soleil s’est rendu au Japon dans le cadre d’un programme de bourse offert par le Foreign Press Center Japan (FPCJ).


Notes:


(1) Deux Japonais sur trois veulent travailler après 65 ans, Le Monde, 17 septembre 2019.


(2) Pour pallier au déclin démographique, le japon adoucit ses mœurs migratoires, Radio France internationale, 16 juin 2018.


(3) Le Japon s’entrouve à l’immigration, Manière de Voir, Le Monde diplomatique, 1er octobre 2019.