«J'échange, donc je change»

Tribune libre

Le débat actuel sur le projet de Charte des valeurs québécoises proposé par le Parti québécois de Pauline Marois soulève un ensemble d’enjeux auxquels les sociétés multiculturelles contemporaines sont confrontées à l’heure actuelle. Dans un contexte où la diversité culturelle est une dimension centrale du vivre-ensemble partout dans le monde (peut-être davantage dans les pays d’immigration), il est non seulement important, mais crucial de soulever et de discuter des divers défis qu’implique un tel pluralisme. Je mettrai donc brièvement en lumière les éléments qui me semblent fondamentaux afin de préciser les contours de la problématique complexe et souvent glissante du dialogue culturel qui caractérise notre temps.
Lorsque l’on aborde la question du pluralisme, le premier élément qui devrait orienter notre réflexion est que le monde dans lequel nous vivons (non seulement au niveau national, mais également mondial) nous est commun. Ceci impliquant que chacun, peu importe son origine, a droit à la reconnaissance de ce qui fait de lui quelqu’un d’unique et de culturellement irremplaçable. Cette réalité indéniable de la pluralité – qui ne fait toutefois pas disparaître la question des majorités nationales – mène au second élément qui constitue la nécessité du dialogue culturel. Je parle évidemment ici de dialogues réels caractérisés par l’échange et l’ouverture mutuelle qui provoquent des changements, des remises en question, mais aussi, il va sans dire, des résistances pour la préservation de soi de la part de tous les acteurs en présence et ce, dans l’optique d’une hybridation culturelle nouvelle axée sur le commun. Cette dimension dialogique du vivre-ensemble ne signifie donc nullement la disparition des différences identitaires, mais la valorisation d’une dynamique sociale à l’intérieur de laquelle chacun reconnaît qu’il a à apprendre de l’autre et réciproquement. À cet effet, comme le soulignent les sociologues français Alain Caillé et Philippe Chanial en citant le poète martiniquais Édouard Glissant, “«[j]’échange, donc je change». Sans pour autant me perdre ou me dénaturer.” (Postface dans : FISTETTI, Francesco, Théories du multiculturalisme. Un parcours entre philosophie et sciences sociales, Éditions La Découverte/Textes à l’appui, Série «Bibliothèque du m.a.u.s.s., Paris, 2009, p.206)
Par ailleurs, en appuyant ma réflexion sur celle du sociologue québécois Jacques Beauchemin telle qu’exposée dans le livre La société des identités. Éthique et politique dans le monde contemporain (Athéna Éditions, 2005), je pense que dans un contexte de fragmentation des luttes pour la reconnaissance et plus généralement de la représentation de soi en tant que communauté politique ancrée dans la nation, il est nécessaire d’édifier un projet politique qui transcende les appartenances particulières et auquel tout le monde voudra participer. Comme je l’ai mentionné précédemment, cela ne veut absolument pas dire de nier ou d’occulter les particularités culturelles et religieuses. En fait, il s’agit davantage de favoriser leur rencontre dans l’horizon d’un projet laïc de «vivre-ensemble» où reconnaissance de la différence et égalité vibreraient à l’unisson de valeurs communes. Il va sans dire qu’une telle démarche devrait débuter par un approfondissement de la connaissance de l’autre et par le fait même d’une critique des préjugés et généralisations réductrices qui nuisent à l’ouverture et à la mise en commun.

En définitive, si le respect de la liberté d’expression religieuse et culturelle est fondamental aujourd’hui, la vie sociale ne peut se réduire aux revendications particularistes des sujets et des associations au cœur de la société civile. En effet, non seulement une telle situation crée une concurrence malsaine entre les sujets, mais plus fondamentalement, elle a comme conséquence de faire perdre de vue ce que nous avons en commun non seulement en tant qu’êtres de culture, mais qu’êtres humains. Le vivre-ensemble nécessite en effet le décentrement de son (ou ses) identité(s) particulière(s) qui mérite(nt) certes d’être reconnue(s), mais dans l’optique d’un dialogue à l’intérieur duquel se produit une influence réciproque qui s’incarne par la suite dans des institutions partagées par l’ensemble de la population. Dans le cas spécifique du Québec, cela ne signifie évidemment pas pour autant de renoncer à l’importance de défendre la culture francophone majoritaire et les valeurs de solidarité, de justice et de tolérance qui la caractérisent puisqu’elles constituent justement la condition de possibilité du dialogue qui permet l’écriture de l’histoire comme trace mémorielle de l’«être au monde» au Québec, mais également comme dialogue constructeur.


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1 commentaire

  • Jean Lespérance Répondre

    27 septembre 2013

    Le dialogue intérieur proposé va se faire comment? Pour dialoguer, il faut être deux or les musulmans essaient d'imposer leurs valeurs religieuses partout. Notre société leur fait une place en disant voici la place qu'on vous offre avec la laïcité, une place commune.
    La laïcité n'est pas une prison psychologique, c'est un espace de terrain neutre où les échanges sont possibles et où l'esprit de domination est écarté pour valoriser les échanges. L'idée de laïcité n'est pas de s'effacer pour faire une place à l'autre qui désire dominer, c'est démontrer qu'on accepte l'autre sous la condition que l'autre personne nous considère son égal face à tout ce qui n'est pas religion, religion signifiant moyen, méthode de s'unir à un Dieu commun. Lorsqu'on dit à un autre, tu ne m'empêcheras pas de dire à tout instant de ma vie comment je m'unis à Dieu par des signes ou vêtements et que l'autre nous dit, est-ce qu'on peut parler du savoir-vivre, d'une philosophie de vivre-ensemble, d'un confucianisme ou l'esprit de domination des religions est relégué au second plan dans un espace publique? Si le religieux ne veut rien entendre, le dialogue ne peut exister. L'espace publique non religieux signifie: je t'accepte mais n'essaie pas d'imposer ta religion dans l'Autorité ou le pouvoir de l'État. Tout catholique chez les musulmans aimerait bien être capable d'être aussi bien accepté.
    Déjà il y en a qui se permettent de bloquer les rues pour raisons religieuses, est-ce qu'on va permettre de bloquer les couloirs d'un édifice de la fonction publique pour raisons religieuses aussi?
    Ce qui suppose de la bonne volonté de part et d'autre doit se démontrer par des aspects de neutralité. Quand l'idée d'un prosélyte est de dominer le monde, on lui laisse la liberté de le faire mais pas en état d'autorité.
    Il peut même le faire dans l'espace publique, aller hercher son permis de conduire avec un turban, foulard, une grande croix, mais si c'est lui qui le donne, alors pas de signes qui pourraient faire croire qu'il lui a fait une faveur.
    Je monologue, pour l'instant.