Immigration: hausser ou diminuer?

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Immigration : il faut réduire les seuils

Est-il possible d'avoir un débat raisonné sur l'immigration au Québec? Au Canada? En tout cas, impossible pendant une campagne électorale.


Le Québec accueille environ 50 000 immigrants par an depuis plus d'une dizaine d'années. Mais puisque le Québec connaît actuellement une crise de l'emploi, les milieux d'affaires ont réclamé de porter à 60 000 le nombre de nouveaux immigrants par année.


Le premier ministre libéral sortant Couillard était sensible à cette demande. Mais la CAQ annonçait qu'elle viserait un seuil de 40 000 immigrants par an et le PQ a évoqué un seuil de 35 à 40000. Alors le chef libéral a dit que l'immigration serait LA question de l'élection 2018. Il en a profité pour claironner que «freiner» l'immigration serait «absurde et antiéconomique».


Est-ce vraiment «absurde et antiéconomique» de songer à diminuer les seuils d'immigration au Québec?


Crise de l'emploi et immigration: que nous disent les faits?


Les faits nous disent que hausser actuellement le seuil d'immigration au Québec serait une mauvaise réponse à un problème réel. Pourquoi?


La crise de l'emploi est un problème criant, particulièrement en région. Or, en 2017, environ 85% des immigrants se sont installés dans la grande région de Montréal. Trente ans plus tôt, c'était 87%. Même si depuis 1990, les énoncés politiques du gouvernement du Québec affirment que l'accent doit être mis sur la régionalisation de l'immigration, rien n'a changé depuis trois décennies. Constat d'échec.


Comment expliquer pourquoi le gouvernement Couillard a éliminé les bureaux régionaux d'immigration? C'est cela qui paraît absurde.

Dans l'état des politiques et pratiques d'immigration actuelles, ainsi que des résultats obtenus, hausser le seuil d'immigration ne réglerait pas la pénurie de main-d'œuvre que connaissent nombre de régions du Québec. Comment expliquer alors pourquoi le gouvernement Couillard a éliminé les bureaux régionaux d'immigration? C'est cela qui paraît absurde.


Immigration et économie


Revenons à nos milieux d'affaires, qui réclament régulièrement une hausse de l'immigration. Depuis plus d'une décennie, le Conference Board of Canada a publié des rapports affirmant qu'une hausse de l'immigration serait un bienfait pour l'économie. Il invite les gouvernements à hausser l'immigration au Canada à 350 000 ou 400 000 personnes (2008, 2009, 2011, 2013).


Est-ce que réduire le seuil serait «antiéconomique» comme le clamait Philippe Couillard? Est-ce que la hausse des seuils d'immigration conduit à une amélioration du niveau de vie pour chaque Québécois, pour chaque Canadien?


Cette dernière question a été posée à Munir Sheikh, ex-chef statisticien du Canada. Il y a répondu dans les pages du Globe & Mail: «The simple answer is no» («La réponse simple est non»).


Auparavant des études québécoises avaient tracé les contours de cette question complexe. En 2011, Dubreuil et Marois avaient montré que sur les plans économique et démographique la hausse des seuils d'immigration ne serait pour le Québec qu'un «remède imaginaire».


Puis, les professeurs Boudarbat et Grenier (CIRANO et Université d'Ottawa) ont confirmé ces conclusions. Ajoutant que l'immigration avait un effet «possiblement positif, mais assez faible», pourvu que les immigrants s'intègrent bien au Québec et pour un temps long. Malheureusement, encore là, le Québec a de la difficulté à les retenir. Le quart d'entre eux quittent dans les années suivant leur accueil. Ce qui est coûteux pour le Québec, puisque le coût des services rendus aux immigrants durant leur séjour ici est supérieur aux montants des impôts et taxes qu'ils verseront aux gouvernements (Grady et Grubel, 2015).


La question de l'immigration est complexe, tout dépend des immigrants qui sont sélectionnés, des moyens mis en place pour les intégrer au marché du travail, à la société, à la culture.

Néanmoins, l'ex-PM Couillard et le Conference Board sont dans l'erreur: hausser l'immigration n'est pas automatiquement une bénédiction pour l'économie et il n'est pas «antiéconomique» de ralentir l'immigration.


4e révolution industrielle et crise majeure de l'emploi?


Parallèlement, il ne faut pas oublier que nombre d'organisations publient des recherches prévenant que l'automatisation, la robotisation et l'intelligence artificielle vont bouleverser le marché de l'emploi.


Un rapport du cabinet-conseil McKinsey prévoit que d'ici 2030, la 4e révolution industrielle amènerait l'automatisation de 400 et 800 millions d'emplois dans le monde. Au moins 375 millions de travailleurs devraient se recycler (2017).


Au Canada, cela toucherait environ 25% des emplois. La robotisation pourrait opérer des coupes importantes dans les emplois manufacturiers. L'intelligence artificielle (big data, internet des objets) amènerait une automatisation du travail intellectuel, qui opérerait une «dynamique de chômage technique insoluble» dans les emplois de cols blancs.


Le Forum économique mondial (World Economic Forum, 2016) estime que cette 4e révolution industrielle en cours provoquerait la perte de cinq millions d'emplois. Les nouvelles technologies numériques ayant des coûts en capitaux plus bas, créent moins d'emplois primaires, et génèrent moins d'emplois secondaires (Frey & Osborne, 2013).


Qu'en est-il pour le Québec? Reprenant un rapport de l'Institut C. D. Howe, Éric Noël estime qu'environ le tiers des emplois au Québec, soit environ 1,4 million d'emplois seront profondément perturbés par les bouleversements apportés par les technologies dites «intelligentes» (janvier 2018). Certains emplois disparaîtront, il y aura nécessité de reformulation des tâches, besoins de formation, recyclage.


Accueillir moins, accueillir mieux


Toute politique d'immigration sérieuse se doit de prendre en compte une réflexion sur cette 4e révolution industrielle et son impact sur le marché de l'emploi, afin de ne pas créer trop de désillusions à la fois dans la population qui accueille les immigrants et chez ceux qui seront accueillis.


Le Québec et le Canada sont des États parmi les pays développés qui accueillent proportionnellement le plus grand nombre d'immigrants. Même en accueillant un peu moins d'immigrants, à 40 000 par an, le Québec demeurera à un seuil d'accueil relativement élevé.


Rappelons que nous accueillons aussi et peut-être surtout pour des raisons morales, humanitaires, sociales, culturelles, politiques. Sans oublier que sur le plan économique, nombre des pays d'origine de nos immigrants bénéficient aussi de retours monétaires élevés que ceux-ci font parvenir à leurs familles.


De fait, accueillir moins, accueillir mieux, non seulement fait du sens, mais c'est le bon sens. Quitte à remonter le seuil d'immigration par la suite, au besoin.

D'ici là, il faut en profiter pour revoir les politiques afin de mieux sélectionner, de régionaliser et mieux intégrer. Il ne faut pas oublier qu'il y a actuellement au Québec, environ 300 000 chômeurs et 300 000 prestataires de l'aide sociale, dont environ le quart sont des immigrants. Mieux intégrer, c'est aussi aider ces nouveaux immigrants à participer à la vie active.