Il y a cinq ans, la Commission Gomery

Tribune libre

Il y a cinq ans, la [Commission Gomery->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/gomery.html]

Il faut les écraser!
_ Sheila Copps

[…] juste et nécessaire […]
_ Jean Chrétien

L’année 2010 constitue le quinzième anniversaire du référendum volé de 1995, le trentième anniversaire du référendum de 1980, mais aussi le cinquième anniversaire de la Commission Gomery. Le temps peut sembler passer très vite si on s’arrête au fait que ce grand divertissement est survenu à la moitié de la décennie.

Vous souvenez vous de ce grand spectacle burlesque, qui n’est pas sans rappeler les témoignages de Michael Corleone devant un Comité sénatorial dans «Le Parrain II»? Des balles de golfe de Jean Chrétien, d’un Paul Martin qui ignorait où était allé une partie importante de son budget lorsqu’il était ministre des finances, et qui se vantait d’avoir aboli le programme des commandites tout en prétendant ignorer son existence ? Avez-vous oublié les larmes de crocodile de [Jean Brault->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-groupaction.html], les trous de mémoire de [Jean Lafleur->mot1379], d’[Alfonso Gagliano->mot1143] et de [Jean Pelletier->rub882]? Les noms de Chuck Guité, Alain Renaud et Michel Guitard vont sont-ils encore familiers? Vous rappelez vous de ces quelques mois où on ne pouvait écouter les nouvelles sans entendre les mots « [Groupaction->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-groupaction.html] », « [Lafleur Communications->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-lafleur.html] », « [Groupe Everest->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-everest.html] » et même «Via Rail» ?

Lorsqu’on repense à cet événement surréaliste cinq plus tard, on ne réalise toujours pas l’ampleur de la chose et on garde le sentiment qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve : blanchiment d’argent, liens avec la mafia, emplois fictifs, millions de dollars engloutis dans les caisses de compagnies privées, financement occulte du parti au pouvoir, contrats des plus louches, etc. De quoi faire rougir les meilleurs personnages d’Al Pacino! Pour de nombreux observateurs, il ne pouvait s’agir du Canada, ce paradis des droits et libertés, ce modèle de démocratie et de transparence. L’année 2005 aura montré le tiers-mondisme du régime d’Ottawa, dont le style de gouvernance fermée et la culture du secret peuvent nous faire penser aux bureaucraties de l’Est de l’Europe avant 1990. Pierre Elliott Trudeau était surnommé «le Prince» en référence à l’ouvrage incontournable de Nicolas Machiavel. Il mériterait également ce titre pour avoir placé la gouvernance canadienne sur la voie monarchique. Ottawa est devenue la Cour du très honorable Premier-ministre, qui s’entoure d’un maximum de deux ou trois ministres importants et de plusieurs lobbyistes. Cette tendance à la centralisation, aux dépens du cabinet, de la députation et du citoyen, s’est accentuée sous Brian Mulroney et Jean Chrétien.

Plus encore, le [scandale des commandites->mot1179] en est un de propagande et d’encadrement de masse. Ottawa a tenté d’acheter le sentiment d’appartenance des québécois par la construction d’une identité imposée. Pendant dix ans, le dénouement pouvait être aisément deviné. Que l’on pense à la «[marche de l’amour->5113]», cette occupation de Montréal par des canadiens qui craignaient de plus en plus de perdre leurs «frères du Québec», aux petits drapeaux de Sheila Copps, aux ridicules «[Minutes du Patrimoine->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-scully.html]», au [congédiement de Normand Lester->spip.php?page=archives&u=archives/ds-affaires/index-lester.html], aux centaines de messages publicitaires et de drapeaux unifoliés: tout portait à croire qu’Ottawa voulait que nous restions de bons petits canadiens et voulait à tout prix occuper notre espace visuel et auditif. Mais l’offensive anti-souverainiste a pris des proportions caricaturales que l’on ne pouvait soupçonner, dont les balles de golfe, les cravates et les boules de Noël à la feuille d’érable sont les symboles les plus éloquents. En octobre 1995, Ottawa a dû tricher pour sauver « son » Canada, et les bureaucrates libéraux n’avaient aucunement l’intention de revivre ces interminables sueurs froides. La fin justifia les moyens.

La Commission, avec les moyens limités que laissés par le gouvernement Martin, accoucha d’une souris. Le « rapport Gomery » a totalement blanchi la classe politique et administrative pour ne viser que les membres de la filière financière les plus médiatisés. Pelletier, Chrétien et Gagliano eurent droit à quelques reproches sans conséquence. Un seul haut fonctionnaire, Chuck Guité, fut visé. Très peu furent poursuivis, très peu furent condamnés. Certains contestèrent. À ce jour, la vérité est sans doute loin d’être totalement connue.
Depuis que Stephen Harper a été élu, en promettant une loi sur le financement des partis politiques comparable à celle de René Lévesque, on ne peut pas dire que le climat ait véritablement changé. On ne peut noter que la timide « loi sur l’imputabilité ». La transparence n’est pas de mise avec ce gouvernement qui semble afficher un mépris de plus en plus grand vis-à-vis de la démocratie. Et l’assaut identitaire est loin d’être terminé : d’année en année, la part du budget de la fête du Canada consacrée au Québec varie entre les deux tiers et les trois quarts. Il n’y qu’à se rappeler, également, la confiscation des fêtes du 400ème anniversaire et l’épisode du « Samuel de Champlain, ancêtre de la Gouverneure Générale », paroles sorties de la bouche du premier-ministre traduisant le révisionnisme historique canadian.

Non, le programme des commandites ne fut pas une exception. Ce ne fut pas non plus la conséquence de défaillances administratives. Ce fut une politique s’inscrivant parfaitement dans le système canadian, ayant érigé la corruption en tant que mécanisme de fonctionnement. Il fut un instrument parmi d’autres, s’ajoutant aux jugements de la Cour suprême contre la Charte de la langue française, à l’enferment de la démocratie québécoise par la loi C-20, à la politique du déséquilibre fiscal ; le tout dans le but de faire définitivement rentrer le Québec dans le giron canadian, de nous provincialiser encore davantage.

Non, le scandale des commandites n’est pas un scandale libéral, mais un [scandale fédéraliste->mot279]. Je me souviendrai.

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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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4 commentaires

  • Serge Charbonneau Répondre

    25 février 2010

    Je me souviens.
    Trop de fois on oublie.
    Merci de nous le rappeler.
    Vous résumez bien, M. Savard-Tremblay, cette triste page d'Histoire.
    Il faut se souvenir de la mise sous les projecteurs de cette fraude, mais il faut aussi être conscient que des scandales de ce genre peuvent avoir lieu quotidiennement sous nos yeux.
    Il faut toujours rester vigilant et exiger sans cesse cette transparence dans l'administration publique. Il ne faut pas trop écouter les mots et les discours (comme font les journalistes) mais observer le résultat des politiques, le fonctionnement du Pays et voir si on nous mène vers du mieux ou vers du pire.
    Il faut bien analyser les études "d'experts" qui dirigent souvent le Pays vers la ruine de l'État et vers le "missionnariat" du privé.
    Nous devons prendre notre politique en main et nous devons exiger qu'on nous rende des comptes. Il faut que notre volonté en tant que peuple soit entendue. Notre rôle ne doit pas se résumer à mettre des mains (les deux mains) sur un volant.
    Serge Charbonneau
    Québec

  • Archives de Vigile Répondre

    24 février 2010

    excellent résumé et triste constat! Continuons le combat!

  • Archives de Vigile Répondre

    24 février 2010

    Et ce n'est pas fini. Est-ce que me trompe si je crois qu'un journaliste torontois a été traîné devant les tribunaux par les Editions Polygone pour le presser de révéler ses sources dans le scandale? Me trompé-je aussi en croyant que Polygone, éditeur de Sentier Chasse et Pêche, est devenu Malcolm, qui publie maintenant la même revue? Et que l'éditeur est toujours le même Luc Lemay? Et que Malcolm a reçu d'autres subventions de Patrimoine Canada pour du «contenu», probablement des traductions de textes rédigés anglais? Et que Sentier Chasse et Pêche est toujours organisateur de salons de plein air, lesquels n'exhibe plus le super logo Canada? J'aimerais savoir si je me tropme.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 février 2010

    J'apprécie grandement votre texte. Plusieurs ont écrit sur le sujet ici, sur Vigile, mais ça ne sera jamais assez répété.
    Par contre, je n'entends rien de semblable révélé sur la place publique ?
    Vous êtes jeune et c'est rassurant.