Il y a 60 ans, la poudrière de Murdochville

En 1957, une grève illégale en Gaspésie a marqué le mouvement syndical au Québec

97c99283e02356220b7470dc3cb94dfc

De tout temps, il a toujours fallu se battre pour se faire respecter !






Certains y voient le véritable début de la Révolution tranquille. Il s’agit en tout cas d’un point marquant dans l’évolution sociale au Québec : il y a 60 ans en ce jour éclatait une grève à la mine de cuivre de Murdochville, au coeur de la Gaspésie, l’un des conflits de travail les plus durs qu’ait connus le Canada.


 

En 1957, le monde développé traverse ce qu’on appellera plus tard les Trente Glorieuses, ces trois décennies d’essor économique s’échelonnant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la crise pétrolière de 1973. Mais malgré la prospérité, on a tendance, en Amérique du Nord, à voir des communistes partout : aux États-Unis, le maccarthysme se fait encore sentir, et au Québec, le règne de Maurice Duplessis, au gouvernement ouvertement antisyndical, est à son apogée et la loi du cadenas est toujours en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit déclarée inconstitutionnelle par la Cour du suprême du Canada le 8 mars.


 

L’important gisement de Murdochville, découvert dans les années 1920, commence à être exploité en 1952, l’année précédant la création de la municipalité, ainsi nommée parce que le président de Noranda Mines, dont la filiale Gaspé Copper possède la mine, s’appelle James Y. Murdoch. En 1957, l’agglomération compte quelque 2500 habitants, et un peu moins d’un millier de personnes sont employées par la Gaspé Copper.


 

Après différentes péripéties en matière de relations de travail et de syndicalisation au fil des ans, les travailleurs votent à 90 % pour une adhésion aux Métallurgistes unis d’Amérique, un puissant syndicat né aux États-Unis dans les années 1940. Mais en ce début de 1957, la Noranda Mines, avec la complicité tacite du gouvernement Duplessis, fait tout pour mettre des bâtons dans les roues au mouvement.




Photo: Archives Syndicat des Métallos
Le gouvernement de Duplessis avait dépêché sur place d’importants renforts de la police provinciale.

 

Illégalité


 

La grogne monte chez les ouvriers, qui deviennent carrément outrés lorsque leur représentant, Théo Gagné, de même que plusieurs de ses collègues actifs sur le plan syndical, est congédié le 8 mars. Le 10, ils votent pour un arrêt et le 11, ils débraient. Mais comme la Commission des relations ouvrières du Québec n’a pas encore formellement autorisé l’accréditation du Syndicat des Métallos, leur grève est illégale.


 

S’ensuivra un très long affrontement, ponctué de violence et d’acrimonie, alors que l’entreprise a recours à 800 briseurs de grève et embauche des « agents de sécurité » — des fiers-à-bras passés maîtres dans l’art de l’intimidation — et que Duplessis dépêche sur place d’importants renforts de la police provinciale. Au bout du compte, le conflit, qui dure sept mois (début octobre, les grévistes sont sommés par la compagnie de rentrer au travail sous peine de perdre définitivement leur emploi et, de guerre lasse, ils jettent l’éponge), fera deux morts parmi les travailleurs, et seuls 20 % des grévistes seront réengagés.


 

Syndicaliste de carrière, futur directeur des Métallos au Québec puis au Canada, Lawrence McBrearty conserve un vif souvenir des événements de Murdochville. Il était alors âgé de 13 ans, et son père et trois de ses frères travaillaient à la mine.


 

« À cet âge-là, quand il arrive des dizaines de policiers armés jusqu’aux dents avec des mitraillettes qui ressemblaient à celles du temps d’Al Capone qu’on voyait dans des films, on se demande ce qui se passe, confie M. McBrearty en entrevue. Il y avait des sirènes qui partaient sans raison à 9 h le soir. Tout était fait pour énerver les gens et les décourager. »


 

« Des gallons de peinture étaient lancés à travers les fenêtres de maisons où se trouvaient des femmes et des enfants. Des femmes se faisaient insulter. En avril, les gros bras sont sortis et ils ont viré des chars de grévistes à l’envers. Ils ont saccagé le bureau du syndicat. On avait peur, certain, on se demandait où on était. »


 

Des gains malgré tout


 

Par ailleurs, si le constat d’ensemble pointe vers une défaite sur tous les tableaux du mouvement syndical à Murdochville, M. McBrearty considère que le conflit a eu des retombées éminemment positives.


 

« Il y a eu des gains humanitaires et sociaux, poursuit-il. Oui, la grève de Murdochville s’est faite pour la reconnaissance syndicale. Mais ç’a aussi été une bataille pour le respect, la dignité, la sécurité aussi, et le droit de choisir par qui on veut être représenté. Il y a eu des scabs qui ont dit par la suite qu’ils avaient fait une erreur et que si la situation se reproduisait, jamais ils ne traverseraient un piquet de grève, et qui ne l’ont jamais fait. Ç’a créé une prise de conscience énorme. »


 

« Ç’a aussi donné le goût aux plus vieux de dire aux plus jeunes, comme moi, d’aller de l’avant : “ On ne sera pas derrière toi, on sera à côté de toi. ” De se battre pour ce qu’on vous a donné, et de continuer pour avoir de meilleurs avantages, de meilleurs salaires, de meilleures conditions de vie, pas seulement pour le travailleur et sa famille, mais pour la communauté et la société en général. »


 

M. McBrearty, qui a quitté Murdochville en 1974, à 31 ans, après avoir lui-même travaillé à la mine, souligne que certains progrès n’ont pas trop tardé : en 1960, dès après la mort de Duplessis en septembre 1959, son successeur, le premier ministre Paul Sauvé, n’a été en poste que neuf mois avant de mourir à son tour, mais il a eu le temps de faire amender le Code du travail du Québec pour faire en sorte qu’un travailleur ne puisse plus être congédié pour activités syndicales.


 

Mais dans certains cas, la persévérance se révèle de rigueur. Le Syndicat des Métallos a ainsi dû poursuivre sa lutte inlassablement afin d’être finalement accrédité à Murdochville en 1965. Dans un documentaire réalisé par Denis Boucher en 1997 à l’occasion du 40e anniversaire de la grève, le défunt syndicaliste Émile Boudreau évoquait « la lutte du siècle pour le simple droit d’association ».


 

En 1979, on a vu l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail : droit de refus, retrait préventif, éléments contaminants et maladies reliées, etc. « Tout ça vient des Métallos », affirme Alain Croteau, leur directeur actuel au Québec.


 
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir



Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->