Lettre de M. Jean Garon - Ministre de l’Éducation sous le gouvernement de Jacques Parizeau.
La ministre de l’Éducation, Mme Line Beauchamp, a eu une illumination en fin de semaine. À la suggestion des associations étudiantes, elle vient de réaliser que ce serait peut-être le temps de demander aux recteurs de rendre publiquement des comptes sur leur gestion. Pour ce faire, la ministre est prête à discuter de la création d’un nouvel organisme mandaté pour examiner la façon dont les universités utilisent les milliards de fonds publics qui leur sont confiés.
Bravo Mme la ministre. Seulement voilà : cet organisme existe déjà et il ne coûte rien. Il s’appelle la Commission parlementaire de l’Éducation. Qui plus est, depuis 1995, suite aux amendements que j’ai apportés, cette commission a le mandat d’obliger les recteurs à dévoiler leurs salaires et autres avantages (prêts personnels sans intérêt, primes de séparation, voiture de fonction avec chauffeur, membership à des clubs de golf, etc.) et à comparaître devant la commission une fois aux deux ans pour répondre aux questions des parlementaires sur leur gestion.
Les recteurs m’en ont voulu à mort de les obliger ainsi à dévoiler publiquement leurs petits secrets. Lorsque Lucien Bouchard a été nommé premier ministre, en janvier 1996, ils se sont empressés de lui demander ma tête, sans doute par l’intermédiaire de son frère Gérard.
Qu’est-ce que le gouvernement a fait de cette loi par la suite, je n’en sais rien. Est-ce qu’elle a été modifiée, est-ce que le ou la ministre de l’Éducation a «oublié» de l’appliquer ou est-ce que la Commission parlementaire a manqué de couilles pour remplir son rôle de supervision et de contrôle? Ces dispositions auraient-elles empêché le scandale des primes de séparation odieuses à Concordia? Peut-être. On ne le saura jamais. Une chose est sûre, la loi n’a pas fait beaucoup de bruit depuis.
Commencer par la tête
Pourquoi rappeler tout cela? Simplement parce que, au-delà de cette reddition de comptes minimale, il y a un principe fondamental que la ministre a oublié : lorsqu’on veut changer un système, il faut commencer par la tête.
Quand Jacques Parizeau m’a nommé ministre de l’Éducation, en septembre 1994, à la surprise générale, il m’a donné le mandat de «brasser» la cage comme je l’avais fait en agriculture. Le parallèle entre ces deux domaines avait choqué certaines âmes sensibles mais Parizeau, ancien professeur d’université, savait de quoi il parlait. Cela prendrait plus qu’une «réformette» pour secouer ce milieu sclérosé où trop de monde prenait leurs aises.
Entre autres, la question du financement se posait avec encore plus d’acuité qu’aujourd’hui. Le budget de 1995-1996 avait été gelé au niveau de 1994-1995 pour tout le gouvernement. À l’Éducation, il fallait que je réalise des économies de 400 M$ en dollars d’aujourd’hui.
Il y avait alors un débat au sujet des frais afférents, ces coûts qui s’ajoutent aux frais de scolarité et auxquels le gel ne s’applique pas. Ces frais montaient en flèche et, au même moment, des recteurs étaient en train de se verser de juteuses augmentations de salaires. De plus, les dirigeants du ministère me proposaient de régler une partie du problème en jouant avec les prêts-bourses sur le dos des étudiants.
Pour moi, il était hors de question de commencer en demandant des efforts aux étudiants. Il fallait commencer par le haut de la pyramide, notamment par les recteurs.
Ainsi, plutôt que de serrer la vis aux étudiants sur leurs prêts, j’ai renégocié les taux payés par le gouvernement aux banques pour le financement des dettes étudiantes. Elles ont résisté jusqu’à ce que je les menace d’aller en appel d’offres et de laisser tout ce financement à celle qui offrirait le meilleur taux, comme je l’avais fait avec les prêts agricoles au ministère de l’Agriculture. Cette seule mesure a permis une économie pour le gouvernement de plus de 30 M$.
J’ai aussi obligé les commissions scolaires à mieux gérer leurs locaux en ne finançant plus les espaces vacants. Les locaux excédentaires ont été mis en vente ou ont fait l’objet d’ententes avec les municipalités pour les utiliser à des fins publiques (bibliothèque, garderie, locaux communautaires, etc.), ce qui a contribué à maintenir bien des dernières écoles de village. Finalement, j’ai pu boucler mon budget en livrant les économies demandées sans toucher aux frais de scolarité ni aux prêts aux étudiants.
Ces deux exemples montrent qu’il y a de l’espace pour des économies dans un budget comme celui du ministère de l’Éducation, à la condition de se creuser la tête, de ne pas hésiter à déranger les establishments et de savoir compter. Pour cela, il faut que le premier ministre nomme une personne capable de faire la job. Actuellement, ce n’est pas le cas.
Maintenir le gel
Sur la question de fonds, je dois dire que je suis de l’école de Guy Rocher, un des pères de notre système d’éducation. M. Rocher rappelait récemment qu’un des grands objectifs de la révolution tranquille était la gratuité de l’éducation.
J’ai été ministre de l’Éducation à peine seize mois. Je n’ai pas eu le temps de m’attaquer au financement des universités comme j’aurais voulu le faire, à part d’envoyer à tous le message d’entreprendre un grand ménage. À ma connaissance, le système repose toujours sur les budgets historiques et le nombre d’inscriptions, ce qui a toujours créé des distorsions.
Pour moi, il est clair que le gel doit demeurer, à défaut de pouvoir réduire encore plus les frais de scolarité. En plus de restreindre l’accessibilité, le recours aux hausses automatiques des frais de scolarité aurait pour effet d’enlever la pression sur les institutions pour qu’elles améliorent leur gestion. C’est toujours plus facile de faire payer le client que de changer ses façons de faire, surtout lorsqu’on est en situation de monopole.
La cause des étudiants est juste et il serait plus que temps que la ministre le reconnaisse et commence à travailler avec eux plutôt que contre eux. Le gel ou la réduction des frais de scolarité est un choix politique que le gouvernement ne peut pas reporter sur personne d’autre.
Lettre de M. Jean Garon
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