Il était une fois Lise Payette

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« Peut-être sommes-nous au début de quelque chose... »

Je viens de voir le documentaire consacré à Lise Payette. Il s’agit d’un récit hagiographique consacré à une femme par ailleurs admirable, à bien des égards, même si elle ne doit pas être à l’abri de la critique. Quel splendide culot, quand même, qu’avait cette femme d’une liberté fascinante. Ce documentaire s’inscrit manifestement dans une vaste entreprise de remémoration collective : nous ne sommes plus contemporains de la Révolution tranquille. Alors nous célébrons ses héros, nous chantons ses bâtisseurs. Comme si nous ne voulions pas laisser partir cet héritage. Comme si nous ne voulions pas oublier.
Je comprends pourquoi. Car je crois à la grandeur de la Révolution tranquille. Elle marque une étape importante : celle de notre émancipation nationale. Avec elle, notre peuple a voulu exister dans le monde en son propre nom. Du Maîtres chez nous au Vive le Québec libre, elle a libéré de vieilles aspirations, les plus profondes, les plus sincères. Elle représente aujourd’hui un patrimoine à conserver, une mémoire de l’émancipation qui irrigue encore aujourd’hui la vie québécoise. N’est-ce pas dans cet esprit que la bataille de la laïcité est aujourd’hui menée au Québec? La référence nationale et la référence féminine se croisent souvent dans la conscience collective.
Un tel documentaire ne contribue-t-il pas à la sacralisation de la mémoire de la Révolution tranquille, qui devient le socle à partir duquel fonder tout projet collectif au Québec ? Ce n’est pas une mauvaise chose : un peuple a besoin de sacré et de symboles forts, et je ne suis pas de ceux qui croient qu’on doit vider chaque mythe de sa substance. Il est bien qu’un peuple tire une fierté spontanée de son histoire. Les petits déconstructeurs de la mémoire croient faire preuve de lucidité en doutant de tout et en n’admirant rien : ils nous jettent en fait dans un vide glacial où ne survit que le cynisme.
Mais si je crois à la grandeur de la Révolution tranquille, je crois aussi à la noblesse de la survivance et j’admire l’effort héroïque de tous ceux qui, en des temps difficiles, ont permis à notre peuple de survivre en se préparant au redressement. Le mythe de la Grande noirceur est toxique. Il nous empêche d’accéder calmement à notre propre histoire. Et d’ailleurs, n’est-il pas absurde de conserver cette désignation pour parler d’un pan de notre histoire? Nul besoin d’adhérer aux valeurs de cette époque pour ne pas la diaboliser. Pour le dire simplement, le Québec n’a pas besoin aujourd’hui de radicaliser la rupture entre sa mémoire «révolutionnaire» et son passé «prérévolutionnaire» : il a besoin d’une mémoire de la réconciliation nationale.
Il n’en demeure pas moins que ce beau documentaire à la facture un peu convenue récapitule le grand récit de l’émancipation québécoise, à un moment où notre société est tentée par le mythe du présent perpétuel, charrié par la mondialisation, qui déculture tristement les peuples. Ce documentaire, en fait, nous livre notre histoire comme une mémoire vivante dont nous sommes aujourd’hui responsables. Elle ne se laisse pas enfermer dans un seul projet politique, elle est polysémique. Une certitude toutefois : cette mémoire doit accoucher d’un avenir québécois. Que ferons-nous de cet héritage?
Un moment de tristesse, inévitablement, pendant le visionnement de ce documentaire: comment avons-nous pu échouer notre indépendance ? Ça m’obsède. Cette indépendance, je la souhaite absolument. Les images d’archives de cette période, la présence marquante de cet immense et magnifique poète qu’est Gilles Vigneault, tout cela nous laisse un sentiment étrange : si le Québec a échoué avec de tels hommes, avec de telles femmes, comment pourrait-il aujourd’hui réussir, alors que notre société se laisse dissoudre dans le présent perpétuel mondialisé?
Mais je me laisse aller à ma tentation pessimiste. Et je me rappelle que ce qu’on appelle plus ou moins exactement la question identitaire sera probablement à l’origine de cette renaissance. Elle s’exprime imparfaitement. Évidemment. Mais elle réactive la charge existentielle de la question nationale. Pour la première fois depuis longtemps, je redécouvre une certaine espérance indépendantiste. Elle n’est plus seulement conservée par quelques gardiens obstinés, conservateurs d’un idéal désenchanté : elle me semble reprendre vie, étrangement, sourdement. Peut-être sommes-nous au début de quelque chose?


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