«I have a dream»

Mon 28 août 1963

Tribune libre

Chaque année lorsque je vois arriver le 28 août, JE ME SOUVIENS. Pendant l’été 1963 nous avons décidé, un bon ami et moi, de traverser une partie des Etats-Unis «sur le pouce» en prenant notre temps.
Vers la fin de cette merveilleuse odyssée un peu «capotée», nous sommes revenus à Boston où nous avions déjà rencontré le Padre Serino, un prêtre d’origine italienne travaillant dans un centre pour adolescents d’origine portoricaine. Il nous a alors proposé d’aller à Washington pour participer à la grande marche des Noirs. Il était l’un des organisateurs et il nous a trouvé une place dans un des 20 ou 30 autobus qui quittaient Boston en direction de Washington.
Pendant le voyage en autobus de nombreuses personnes nous ont aidés à fabriquer une banderole sur laquelle nous avons écrit FRENCH CANADIANS FOR RACIAL INTEGRATION. Il ne faut pas oublier que c’était en 1963 et qu’alors on parlait des Canadiens français plutôt que des Québécois. Quant au mouvement noir, il réclamait alors l’intégration raciale.
Nous avons donc eu la chance de «voir» et d’entendre les nombreux artistes présents, comme Joan Baez, pour ne donner que cet exemple. Puis ce fut le I HAVE A DREAM, discours bouleversant et émouvant.
Et la situation québécoise (et «canadian») nous a rattrapés de deux manières.
D’abord certains Noirs nous ont parlé du FLQ, lequel avait, sauf erreur, «placé» ses premières bombes dans les premiers mois de l’année 1963. Nous avons profusément parlé de l’infériorisation des Noirs et des Canadiens français. C’était fascinant.
Ensuite nous avons vu surgir cinq ou six types, des anglophones «canadians». Ils nous ont dit que notre banderole était inacceptable étant donné qu’il y avait, au Canada, des Canadians et non pas des French ou des English Canadians. Ils ont voulu saisir notre banderole pour la détruire. Mais nous avions déjà causé et sympathisé avec de nombreuses personnes, lesquelles nous ont défendus et ont forcé ces salopards à déguerpir et à aller sévir ailleurs. Il y avait, entre autres, une espèce de géant qui était policier à New York. Nous avions longuement causé avec lui. Sa seule présence a beaucoup impressionné ces «étroniformes» colonialistes, bornés et éminemment ignorants.
Ce qui nous étonnés, mon copain et moi, c’est que nous n’arrêtions pas de donner des interviews à des journalistes des agences de presse (comme UPI, par exemple) et à des reporters de diverses chaînes de télévision et de radio.
Lorsque nous sommes revenus au Québec nous avons passé par la Beauce (et le Maine). C’était une journée pluvieuse et nous sommes entrés, tout mouillés, dans un bar. Et à ce moment-là un des clients nous a beaucoup regardés et nous a demandé si nous étions les deux Québécois qui étaient allés à la grande marche des Noirs. Nous étions éminemment étonnés et nous nous demandions comment il pouvait savoir cela. Puis, ce Beauceron «malicieux» nous a raconté que nous étions recherchés par toutes les polices du Canada parce que notre présence à Washington avait créé un sérieux incident diplomatique.
Alors nous avons appris que la plupart des médias québécois avaient parlé de nous, ce qui nous a laissés ébaubis et perplexes. À l’époque ma mère, mon frère et moi-même (mon père était décédé), nous vivions à Gatineau et le journal LE DROIT de Hull-Ottawa m’avait consacré toute sa première page, avec une photo. Le grand titre était : «Un jeune séparatiste de Gatineau a participé à la grande marche des Noirs». Quant au journal LE SOLEIL le titre était : «Un mineur participe à la grande marche des Noirs sans la permission de sa mère». À l’époque nous devenions majeurs lorsque nous avions 21 ans. Somme toute ce fut un merveilleux voyage. Quand je suis parti j’avais 19 ans et quand je suis revenu j’avais 20 ans.
Il est certain que cette grande marche a été l’un des nombreux éléments qui ont ouvert la porte à une émancipation malheureusement limitée des Noirs étatsuniens. Il y a eu aussi les Black Panthers et de nombreux leaders plus radicaux que Martin Luther King.
Il y a quelques mois ma conjointe et moi, nous avons passé quelques semaines chez la fille de ma conjointe, laquelle vit à Charleston en Caroline du Sud. Un jour nous avons décidé d’aller en auto à Savannah, en Géorgie. Lorsque nous avons voulu revenir à Charleston nous nous sommes trompés de route. Nous avons donc décidé de nous informer dans un commerce un peu délabré, une sorte de «dépanneur». Ma conjointe m’a supplié d’acheter quelques bouteilles d’eau parce que la température était de 120 degrés Fahrenheit.
Je suis entré seul dans le commerce. Il n’y avait que des Noirs qui me zieutaient avec beaucoup de colère. Je suis allé chercher dans le réfrigérateur quelques bouteilles d’eau. Je suis ensuite allé déposer mes achats sur le comptoir et j’ai demandé au type qui était là quelle était la route pour aller à Charleston. Il m’a alors dit que j’étais un maudit effronté et que je devais payer mes achats avant de poser des questions ou de demander des informations. J’ai donc payé et j’ai dit au type que je venais de Montréal, que j’étais un Québécois de langue française et que j’étais un peu perdu. Il a alors contourné le comptoir et il m’a donné une chaleureuse poignée de main. Il a demandé aux autres clients d’en faire autant. Alors il m’a dit qu’il avait souvent entendu parler du Canada et du Québec et qu’il était ravi de ma présence. Il m’a expliqué que la ville de Savannah était gangrenée par les haines raciales et par le racisme. Et il tolérait mal les Blancs ségrégationnistes.
Ensuite il a sorti une grosse feuille de papier sur laquelle il indiquait clairement comment retrouver la route en direction de Charleston. Et il m’a demandé de revenir le saluer si jamais je repassais par là.
J’ai alors compris, plus que jamais, que tout était loin d’être réglé entre Noirs et Blancs.
Mille excuses pour ce texte trop long (et peut-être ennuyeux) mais le 28 août 1963 est un jour que je n’oublierai jamais.
Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias et écrivain public


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 août 2012

    ...effectivement inoubliable, et puis c'est une bonne histoire à raconter...merci

  • Serge Jean Répondre

    27 août 2012

    Ce fut très intéressant, captivant et étonnant en ce qui me concerne. Merci.
    Jean

  • Archives de Vigile Répondre

    27 août 2012

    M. Jean-Serge Baribeau
    pour qui s'intéresse à la politique et à l'histoire, les écrits autobiographiques qui décrivent un engagement politique ne peuvent pas être ennuyeux.
    J'espère que vous aurez des imitateurs.
    Moi par exemple je suis allé voter par anticipation pour Bernard Drainville dans Marie-Victorin. Hier, ce fut ma conjointe. En ligne, à ma droite, une pharmacienne me dit qu'elle ne votera pas pour François Legault. On a compté tous ceux qui pourraient être bousculés sans raison valable par le matamore Legault et ses rustres comme Barrette et Duchesneau et on est arrivé à plus d'un million de personnes: agences de santé; commissions scolaires; employés de la SAQ; fonctionnaires; enseignants évalués; élèves aux frais de scolarité augmentés ce qui prolongerait le conflit étudiant, pharmaciens aux salaires réduits etc etc. C'est une sorte de sondage à ma façon qui ne met pas la CAQ aussi haut que certains sondages la mettent.
    Excusez ce court récit plus humble que le vôtre; j'espère qu'il ne vous a pas ennuyé.
    robert barberis-gervais, 27 août 2012