Haïti au bord du gouffre: «pour rester au pouvoir, le Président Moïse devra massacrer les gens»

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Un pays toujours au bord du gouffre


Haïti est à nouveau plongé dans le chaos. Émeutes, écoles et hôpitaux fermés, forces de l’ordre attaquées: une guerre civile pourrait-elle bientôt éclater? Sputnik fait le point avec Frantz Voltaire, directeur du Centre International de Documentation et d’Information Haïtienne, Caribéenne et Afro-canadienne.




Haïti, ce petit pays antillais de 11 millions d’habitants, s’enfonce de plus en plus dans le chaos et la violence.


Depuis février 2019, des citoyens multiplient les manifestations pour dénoncer la corruption et l’économie en chute libre. Les opposants au Président Jovenel Moïse l’accusent notamment d’avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Menée par la Cour supérieure des comptes, une enquête a déjà conclu que le Président avait participé à cette fraude.





Signe d’une situation qui empire, un couple de Français a été tué par balles le 25 novembre dernier dans la capitale de Port-au-Prince, où ils venaient d’atterrir. Selon l’Onu, au moins 42 personnes ont été tuées depuis la mi-septembre lors de manifestations organisées contre le Président soutenu par Washington.


Une situation qui se dégrade à vue d’œil 


Selon Frantz Voltaire, si la situation s’est quelque peu calmée récemment dans la capitale, les manifestations pourraient rapidement y reprendre de plus belle. M. Voltaire est le directeur du Centre International de Documentation et d’Information Haïtienne, Caribéenne et Afro-canadienne, situé à Montréal. En entrevue, il dépeint une situation pour le moins catastrophique, évoquant notamment la fermeture des écoles et des hôpitaux ainsi que les routes bloquées par des gens armés.


«Il y a un début d’accalmie depuis que le Président Moïse a rencontré l’ambassadrice américaine à l’Onu, Mme Kelly Craft. Le fait que les États-Unis aient réitéré leur appui au Président en place a quelque peu calmé la situation. Il n’en demeure pas moins que le niveau d’insécurité atteint des sommets. À Port-au-Prince, la situation s’est un peu améliorée, mais les manifestations se poursuivent dans les autres villes du pays», souligne Frantz Voltaire à notre micro.

Ce grand spécialiste d’Haïti estime que son pays d’origine a très peu de chances de sortir rapidement de cette crise. Incapables de s’entendre, les deux camps tendraient de plus en plus à se «radicaliser». La population serait en grande majorité favorable à la destitution du Président Moïse, alors que ce dernier compterait sur l’appareil étatique et surtout sur le soutien des États-Unis pour mater la révolte. En février dernier, malgré la grande impopularité du Président, l’ambassadrice américaine en Haïti est même allée lui renouveler son appui dans la capitale.


«Il y a une sorte de trêve qui n’est pas très claire: on ne sait pas du tout combien de temps elle va durer. [...] L’opposition n’arrive pas à renverser le Président, tandis que paradoxalement le pouvoir ne gouverne rien... Le Président ne dirige que par la force. Nous sommes dans une impasse et nous ne voyons poindre à l’horizon aucune solution. La radicalisation des positions est telle que les deux camps demeurent incapables de trouver une solution moyenne», précise l’historien et documentariste.

En plus de la pénurie d’essence et des pannes d’électricité récurrentes, M. Voltaire pointe le rôle des gangs criminels sur l’ancienne île d’Hispaniola, certains agissant comme les «milices personnelles» de politiciens. Des politiques sont d’ailleurs eux-mêmes armés. Le 23 septembre dernier, le sénateur Jean-Marie Ralph Fethière tirait à bout portant sur des manifestants ayant pris d’assaut le Parlement. Le sénateur a aussi blessé un journaliste de l’agence Associated Press.


«Il y a de graves problèmes d’insécurité. Dans certaines zones, les gangs criminels imposent leur loi. Dans certains cas, des gangs agissent pour le compte de gens du pouvoir liés au Président ou pour d’autres politiciens et parlementaires ayant leur propre rapport à l’État. Nous sommes dans une situation chaotique. [...] Ces gangs se lient à des gens du pouvoir, car ils n’ont pas encore les ressources nécessaires pour devenir autonomes, comme certains groupes au Mexique», analyse M. Voltaire.

Dans ce contexte, une guerre civile pourrait-elle bientôt éclater? Frantz Voltaire n’en est pas si sûr, car la situation présente «ne ferait pas ressortir deux camps bien définis»:


«Pour rester au pouvoir, le Président Moïse devra massacrer les gens. Dans le contexte actuel, je doute fort que cela puisse se produire. La perspective d’une guerre civile n’est pas un scénario que j’anticipe, puisque la situation est trop chaotique. Une guerre civile oppose clairement deux camps qui sont des groupes organisés. En Haïti, la guerre civile est une hypothèse qu’on ne peut jamais écarter, mais la dynamique actuelle, très complexe, ne s’y prête pas tout à fait», a-t-il conclu.