Gaza, une charmante station balnéaire...

Gaza: l'horreur de l'agression israélienne



C'est beau, c'est chaud et dépaysant, Gaza ! Vous ne savez plus où aller en vacances ? Vous rêvez d'hôtels de luxe, de farniente sur des plages de sable fin, de restaurants offrant une cuisine "arabe et méditerranéenne" ? Vous adorez le spectacle de ces pêcheurs qui vont jeter leurs filets dans l'aube naissante ? Venez découvrir l'insolite bande de Gaza !
A condition de rester le long du littoral, de ne pas entrer dans la ville miséreuse et ses faubourgs foudroyés par les bombardements israéliens, vous aurez tout cela à votre disposition. Ce dépliant touristique un rien psychédélique porte un nom : la "hasbara", un art de la propagande où excelle le gouvernement israélien.
Récemment, au moment de la seconde flottille pour Gaza, la "hasbara" a fait feu de tout bois sur YouTube et autres sites Internet inspirés par le GPO, le bureau de presse du gouvernement israélien. Il s'agissait de montrer, par quelques courts-métrages percutants, que la prétendue "crise humanitaire" relève de la volonté de "délégitimer" Israël.
De la belle ouvrage : des marchés bien achalandés, des boutiques d'électroménager n'ayant rien à envier à celles de Jérusalem ou de Ramallah, des malls modernes avec escaliers mécaniques, des enfants rieurs qui jouent dans les vagues, des hôtels de standing, des restaurants cotés, comme Roots et Light House... Gaza, terre de loisirs et d'abondance !
Il ne faut pas être cinéaste professionnel pour comprendre que la caméra a zoomé sur les aspects les plus reluisants de la vie gazaouie, et que ces gros plans déforment la vie quotidienne des 1,6 million d'habitants de la bande de Gaza. Une caricature de la réalité ? Oui et non ! Car tout cela existe bel et bien. C'est un fait : Gaza, ce territoire gouverné par le mouvement islamiste Hamas qui mérite toujours son appellation de "gigantesque prison à ciel ouvert", connaît un boom touristique.
La preuve, la première carte touristique de Gaza vient d'être publiée. L'un de ses concepteurs, Mohammed Alafranji, en a fait imprimer 11 000 exemplaires. "Outre les Occidentaux, les Palestiniens ont besoin de dépenser leur argent. Alors, nous avons fait une carte touristique... sans touristes", explique-t-il. Ce n'est pas l'avis de Mohamed Al-Madhoun, ministre "de la culture, du tourisme, des antiquités et des sports".
"Gaza, assure-t-il, vit une révolution dans le secteur du tourisme. Le siège (le blocus israélien) a contribué à développer le tourisme local, et l'allégement de celui-ci a permis de concentrer l'activité des tunnels (de contrebande, sous la frontière égyptienne) sur les matériaux de construction." Résultat : des boutiques s'ouvrent, des centres commerciaux sont en chantier, restaurants et hôtels bourgeonnent. Pour quelle clientèle ? Palestinienne et internationale. C'est que, comme dans toutes les zones de guerre, il y a beaucoup d'argent à Gaza.
Outre qu'il peut compter sur son sponsor iranien, le Hamas prélève une forte dîme sur les marchandises qui transitent par les tunnels. Comme il n'est pas facile de placer cette manne issue de la contrebande sur des comptes bancaires à l'étranger, la solution est d'investir dans l'économie locale. Aujourd'hui, il n'est pas un seul projet lié au tourisme et à l'urbanisme dans lequel le Hamas n'a pas un intérêt financier.
Mona Al-Ghalayini est la patronne de Roots. Femme d'affaires avisée et... très diamantée, elle vient d'investir 1,5 million de dollars dans un nouvel hôtel. A Roots, comptez entre 80 et 120 shekels (17 à 25 euros) pour un bon repas. C'est cher ? Certes, mais le sentiment d'appartenir aux happy few qui vivent dans l'aisance à Gaza a un prix. La clientèle est composée "de 5 à 10 % d'étrangers, et de 90 % de locaux", précise Mona.
Les premiers sont diplomates, journalistes, représentants et employés des innombrables organisations humanitaires et internationales. Les seconds forment la bourgeoisie gazaouie, désormais dominée par les nouveaux riches de l'économie des tunnels. "Aujourd'hui, assure Mona, on peut tout trouver à Gaza. Les prix ont baissé et la vie est normale pour la plupart des gens."
Mona Al-Ghalayini vit-elle sur une autre planète ? 54 % de la population gazaouie connaît l'insécurité alimentaire et 75 % dépend de l'aide internationale pour survivre. Sur 1,1 million de réfugiés, 300 000 se situent sous le seuil de "grande pauvreté", avec moins de 1,6 dollar par jour. C'est pour cela que l'on trouve de tout le long des plages de Gaza : pelouse verte ou tas d'immondices, c'est selon.
Pour le vrai luxe, il faut aller à l'hôtel Arcmed (ex-Mövenpick), constellé d'étoiles. Un bel investissement de 50 millions de dollars, avec 224 chambres (vides à 80 %) dont les prix vont de 140 à 240 dollars la nuit. Pour quelle clientèle ? L'Espagnol Rafael Carpinell, directeur général, peine à nous donner une réponse. " L'économie est repartie, la situation est calme, et nous offrons un produit unique pour la clientèle étrangère et palestinienne : un parfum d'Europe. C'est un moyen de se sentir "à l'extérieur" (de Gaza), tout en étant à l'intérieur..."
M. Carpinell rappelle un détail logistique omis dans les films de la "hasbara" israélienne : Gaza n'a que trois portes avec l'extérieur. Si Israël et l'Egypte desserrent définitivement le garrot qui étrangle le territoire, c'est par là qu'entreront un jour les "touristes" de Gaza. Ainsi s'accomplira - inch' Allah ! - la prophétie de ceux qui, au moment des accords d'Oslo en 1993, voyaient dans Gaza le futur "Singapour du Moyen-Orient".
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lzecchini@lemonde.fr
Laurent Zecchini


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