Fragilité

Vigile

Fragilité

J’ai nombre, lieu, langue et feu

mais ce soir j’ai mal à mon âme.

Mes séculaires racines gémissent

dans ce sol mouvant de mon îlot d’Amérique.

J’ai mal à mes origines,

partagé entre haine et peur,

je tremble dans mon appartenance.

Mes quatre siècles d’histoire

chavirent sous les coups de butoir

des fossoyeurs de nationalités.
Pourtant, j’ai nombre, lieu, langue et feu

Mais ce soir, j’ai froid

de ce terrible vent d’ouest

qui m’amène en bourrasques

la négation de mon essence.

J’en ressens tout le mépris.

Je sens qu’on m’agresse,

qu’on me grignote,

qu’on me déchiquette,

qu’on me digère.
Voyons! j’ai nombre, lieu, langue et feu

mais je me sens comme chevreuil

s’abandonnant épuisé à la curée,

pour une meute de loups

hurlant et vociférant,

dans une langue carrée.

J’ai peur de céder à ces rongeurs d’identité,

à ces prédateurs de notre différence,

à ces termites de tissu social.
Oh je sais, j’ai nombre, lieu, langue et feu

mais hélas, je vacille dans les souvenances

de mes débris d’histoire.

Je gémis sur mes errances

de peuple conquis et répudié.

Ça sent la confiance trahie,

les affronts subis,

les assauts répétés

venus de l’extérieur,

venus de l’intérieur...
Même si j’ai nombre, lieu, langue et feu,

ce soir j’ai mal dans la chair de mon héritage

mal jusque dans ma descendance.

Issu d’un pays en état de siège,

d’un peuple sans permanence,

je frémis dans mon identité

devinant dans mon for intérieur

qu’une maison sans toit

me sert de fort extérieur.
Aucun doute, j’ai nombre, lieu, langue et feu

mais pour conserver ma langue

je dois me résigner à mendier.

Jusque dans mon lieu, on me dicte.

Mon expression m’échappe

en plein coeur de mon pays.

Je sens l’humiliation m’étreindre

et mon feu s’éteindre.

Il ne me reste qu’un mince espoir,

j’ai encore le nombre.

Peut-être bien qu’un bon soir...

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Gilles Ouimet66 articles

  • 37 873

Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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2 commentaires

  • @ Richard Le Hir Répondre

    29 octobre 2009

    Ce poème devrait être distribué partout, appris dans les écoles, discuté en famille, placardé sur les murs, affiché dans les espaces publics, déclamé en prologue de toute manifestation culturelle, enregistré par nos plus belles voix, diffusé par tous les moyens, récité comme une prière, jaillir à l'unisson de toutes les poitrines, pour qu'enfin se manifeste le ressort collectif qui nous fait si cruellement défaut.
    Il faut savoir profiter d'un message qui sonne juste et qui est accordé à l'air du temps.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 octobre 2009

    Depuis 250 ans, nous vivons en otage des Britanniques. J'y ai aussi fait un genre de poésie, le 13 septembre, jour anniversaire de la conquête sanguinaire de la Nouvelle-France. Je l'ai intitulée: Guérir du syndrome de Stockholm. On y rappelle que la moitié d'entre nous est satisfaite de vivre dans une colonie anglaise: syndrome de Stockholm. L'autre moitié, les Résistants, font leur possible pour inculquer à leur descendance le sens patriotique. Mais la vague féroce d'assimilation qui nous atteint actuellement semble imparable. Nous avons peut-être perdu le nombre critique de Résistants, de vrais, prêts à descendre dans la rue, massivement pour affronter les plus féroces francophobes et leur crier au nez leur écoeurement de cet envahisseur. Laissons un peu le clavier et rassemblons-nous quand nous sommes appelés. Mieux vaut manger des coups que l'humiliation assis. Mercredi 28 à midi RRQ nous attend pour faire le nombre à la porte du destructeur en chef du français au Québec. Le 83 Saint-Paul ouest, Montréal, devant le bureau de Me Brent Tyler. Si on ne le connaît pas, il faut le Googler!
    C'est un premier pas avant de s'extirper enfin de cette colonie britannique oppressante.