Financement des partis: le PLQ et le PQ dans l'embarras

Une troublante affaire de financement illégal des partis politiques par une importante firme d’ingénierie, au début des années 90, risque de coûter cher au PLQ et au PQ.

Financement des partis - l’affaire Tecsult

Martin Pelchat - Pendant plusieurs années, la compagnie Tecsult, à l’époque la deuxième société d’ingénierie au Québec, a contourné la loi électorale en garnissant illégalement, à hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars, les coffres du PQ et du PLQ. N’ayant appris le stratagème qu’en 2002, soit après le délai de prescription, le Directeur général des élections n’a pu poursuivre la compagnie. Le fisc, qui l’avait éventé en 1997, a pour sa part été débouté en juillet dernier par la Cour d’appel dans sa tentative de récupérer des sommes de la firme et de certains de ses cadres.
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Le directeur général des élections, Marcel Blanchet, se dit très préoccupé par l’affaire Tecsult, sans compter qu’il s’est buté au secret fiscal lorsqu’il a tenté d’en savoir plus. (Photothèque Le Soleil, Jocelyn Bernier)
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Le point final n’a cependant pas encore été mis dans cette affaire, car le ministère du Revenu tente un ultime recours. Il vient de demander à la Cour suprême l’autorisation d’en appeler de cette décision, tablant sur la dissidence d’un des juges de la Cour d’appel.
À la fin des procédures judiciaires, le DGE va pour sa part faire appliquer l’article de la loi prévoyant que les contributions qui se révèlent illégales doivent lui être remises par les partis, afin qu’il les retourne aux donateurs. Il n’existe aucune prescription limitant dans le temps sa capacité à intervenir à cet égard. « Je ne me prononce pas sur un cas particulier, mais de façon générale, aussitôt que les procédures judiciaires vont être finies, toutes les contributions qu’on pourra établir comme étant illégales, on va les réclamer », explique le porte-parole du DGE, Denis Dion.
L’affaire remonte au début des années 1990. « Bon an mal an », rapporte la Cour d’appel, l’ex-président de la firme Tecsult, Guy Fournier, incitait de 30 à 40 de ses cadres à donner de 2000 $ à 3000 $ — le maximum fixé par la loi — au Parti québécois et au Parti libéral. La compagnie remboursait ensuite ses employés. C’était une façon de contourner la loi québécoise, qui interdit aux « personnes morales » comme les entreprises de contribuer au financement des partis. De 60 000 $ à 120 000 $ par an aboutissaient ainsi illégalement dans les caisses des deux grands partis.
M. Fournier a admis devant un tribunal qu’il sollicitait ainsi ses employés pour entretenir de bonnes relations avec le gouvernement et être en bonne position pour les contrats à venir. « Après une rencontre avec les autorités des différents gouvernements, du solliciteur en question, moi, je déterminais là, à mon bureau, le nombre de personnes, des cadres principalement autour de moi, à qui je pourrais demander de faire des contributions politiques pour maintenir notre bonne réputation vis-à-vis les donneurs d’ouvrage et aussi, principalement, pour être considérés dans les contrats futurs », avait reconnu M. Fournier, tel que cité dans le jugement du 12 juillet dernier de la Cour d’appel.
Les cadres de Tecsult étaient libres de contribuer, a-t-il assuré, mais la récolte était bonne. « La plupart du temps, les personnes à qui je demandais de le faire étaient très ouvertes à cette façon de procéder pour que le bureau puisse continuer à faire des affaires », de poursuivre l’ex-président.
Jamais ces manœuvres n’ont été portées à l’attention du DGE. Mais en 1997, Revenu Québec a découvert, dans le cadre d’une vérification fiscale, des chèques de remboursement de Tecsult à des employés. Le fisc a jugé que ces remboursements constituaient un avantage imposable et a cotisé ces employés. L’un d’eux, qui n’était membre d’aucun parti, avait contribué pour 3000 $ au PQ et 2000 $ au PLQ en 1994 avant d’être remboursé par Tecsult. Revenu Québec a aussi réclamé à Tecsult pour les années 1995 et 1996 des contributions supplémentaires d’employeur.
Tecsult et les employés cotisés ont contesté ces réclamations. Dans un jugement rendu en juin 2001, la Cour du Québec a donné raison au fisc. Mais dans un jugement divisé, la Cour d’appel a renversé cette décision en juillet dernier. Le tribunal conclut notamment, en examinant le cas d’un des employés visés, qu’il n’avait retiré aucun bénéfice de ces transactions, qu’il n’aurait pas effectuées n’eut été des incitations de son employeur. Tecsult a aussi eu gain de cause.
Consensus pour serrer la vis aux entreprises fautives
Les trois grands partis ont fait consensus pour imposer des amendes plus sévères aux entreprises qui violent la loi électorale en contribuant aux partis politiques.
Dans un rapport rendu public hier, un groupe de réflexion formé de représentants du PLQ, de l’ADQ et du PQ ainsi que du DGE recommande en outre que les entreprises s’engagent publiquement, dans leur rapport annuel ou dans un « guide de conduite », à respecter les règles. Ils plaident aussi pour une intensification des efforts pour juguler la « méconnaissance générale » des règles qui perdure. Une nouvelle infraction punirait d’autre part une compagnie qui influence un employé pour qu’il effectue des dépenses interdites « en période électorale ».
Le rapport écarte cependant toute ouverture à un financement limité des partis par les entreprises, malgré un appel en ce sens, dans son rapport de 2006, du juge Jean Moisan, qui a fait enquête sur certaines révélations de la commission Gomery. Le groupe ne retient pas non plus la recommandation du juge d’exiger que les donateurs indiquent les noms et coordonnées de leur employeur.
M. Moisan constatait que le subterfuge permettant aux personnes morales de contribuer au financement des partis grâce à des contributions sous le nom des employés « est connu depuis longtemps et largement utilisé ». « Il est préférable de permettre des souscriptions corporatives que de fermer pudiquement les yeux sur une réalité évidente et se complaire dans une fausse vertu », notait-il.
Le groupe de réflexion reconnaît que la confiance de la population envers le régime « semble depuis quelques années ébranlée ». Mais après avoir réévalué cette loi héritée il y a 30 ans de René Lévesque, les auteurs concluent qu’il ne serait pas opportun de remettre en question l’interdiction faite aux entreprises, qui vise à ce que les partis conservent leur indépendance vis-à-vis d’elles.
« Permettre aux entreprises de faire des contributions politiques ne pourrait qu’accentuer le désengagement des citoyens envers le financement des partis et le militantisme », ajoutent-ils. Quant à l’idée d’identifier les employeurs, elle est rejetée notamment parce que des électeurs pourraient hésiter à donner à un parti « surtout lorsque leurs idées politiques sont divergentes de celles de leur patron ».
Les auteurs estiment qu’il faut miser sur des amendes plus sévères — elles varient de 500 $ à 10 000 $ présentement. Mais pas question de faire des contributions illégales des entreprises une des « manœuvres électorales frauduleuses (MEF) » punies d’une perte pour cinq ans de droits électoraux. Cette suggestion du DGE a été rejetée par les partis, qui jugent « préférable, dans un premier temps, d’augmenter les peines plutôt que de prévoir de nouvelles MEF ».
Certaines des mesures proposées dans le rapport pourraient faire l’objet de modifications législatives rapidement. D’autres feront l’objet d’un examen en comités.
Le DGE s'en prend au mutisme du fisc
Le directeur général des élections demande au ministère du Revenu de sortir de son mutisme pour l’aider à lutter plus efficacement contre le financement illégal des partis politiques par des entreprises.
Même si le stratagème mis en place au début des années 90 par Tecsult a fini par être découvert par le fisc en 1997, il n’en a jamais saisi le DGE. Pas même après qu’un premier jugement fut tombé dans cette affaire en juin 2001. C’est un « observateur de la scène judiciaire » qui a vu la décision et l’a portée à l’attention du DGE au début de 2002.
« J’ai contacté le ministère du Revenu pour savoir s’il y avait moyen pour nous d’avoir de l’information là-dessus et on s’est rendu compte dans un premier temps que c’était prescrit, pour nous il était trop tard », explique le DGE Marcel Blanchet. Il y a en effet prescription cinq ans après la commission d’une infraction et un an après sa connaissance. Le DGE s’est de plus buté au secret fiscal lorsqu’il a tenté de savoir si le ministère disposait d’autres informations utiles.
Ironie du sort, un an avant que la vérification du fisc déjoue le système chez Tecsult, le DGE avait poursuivi la même firme après avoir découvert qu’elle avait illégalement contribué, en 1995, à la caisse électorale du parti du maire de Montréal de l’époque, Pierre Bourque. Tecsult avait plaidé coupable et rien d’autre n’avait filtré.
M. Blanchet est revenu à la charge auprès du fisc après la décision de la Cour d’appel de juillet dernier. « J’ai eu des contacts avec la sous-ministre du Revenu en lui disant que là, ce serait important qu’on se parle, pour essayer de voir s’il y a bien des cas comme ça que le ministère du Revenu a dans ses dossiers et qu’on n’a pas nous », dit-il. Dans une lettre du 23 août, il lui a précisé qu’il était « très préoccupé » par l’affaire Tecsult et proposait une rencontre après que soit rendu public le rapport d’un groupe de réflexion tripartite sur le financement des partis. Le rapport a été dévoilé hier.
Au Revenu, on explique que c’est la loi constitutive du ministère qui lui interdit de répondre positivement au DGE. « En vertu de l’article 69 de la Loi sur le ministère, on ne peut pas donner de renseignements au DGE », explique la porte-parole de Revenu Québec, Linda Di Vita. « Les ministères nous donnent de l’information, mais on n’en donne pas. C’est sûr qu’il y a des échanges avec l’Agence du revenu du Canada, parce que là on parle de fiscalité, mais à cause de la confidentialité des renseignements, on ne peut pas fournir d’informations à d’autres ministères ou organismes. »
Une mesure proposée dans le rapport du groupe de réflexion pourrait toutefois jouer en faveur du DGE. Il s’agit du remplacement des crédits d’impôts aux contributions politiques par des « crédits de reconnaissance à la démocratie », administrés par
le DGE.
Cela lui ouvrirait une voie de communication directe avec les acteurs et par conséquent la possibilité de demander aux donateurs s’ils ont obtenu un remboursement de leur employeur. « Si jamais le processus qu’on propose dans le rapport devenait loi, le ministère du Revenu serait hors circuit, note Marcel Blanchet. On suivrait nous-mêmes très rigoureusement toutes ces contributions. »
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