Faut-il vraiment une loi spéciale? Si oui, où est le droit de grève?

Philippe Lapointe

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Lorsque les droits des uns chevauchent ceux des autres, les arbitrages peuvent devenir nécessaires

Il semble tenu pour acquis depuis quelque temps qu’il est du rôle de l’État de s’ingérer dans les relations entre les travailleurs, les travailleuses et les entreprises. Par exemple, le gouvernement Harper qui, à grands coups de lois spéciales, a vite fait de terminer les négociations avec Postes Canada, le Canadien Pacifique ou Air Canada. Ces négociations se sont terminées de manière brutale et ont laissé un goût amer aux travailleurs et aux travailleuses. Aujourd’hui, c’est aux partis de l’opposition du Québec, au maire Labeaume et aux commentateurs d’estrade d’exiger que le gouvernement Marois s’ingère dans les négociations entre l’Alliance syndicale et l'Association de la construction du Québec (ACQ).

Il est ironique qu’au moment où plusieurs font appel à l’État pour cesser des relations entre syndicat et entreprise, ces mêmes commentateurs exigent un retrait de l’État dans les services sociaux, la santé, l’éducation et une réduction des impôts et des taxes. Le rôle de l’État est-il uniquement nécessaire quand vient le temps de bâillonner les travailleurs et les travailleuses?

Pourtant, la liberté d’association et de se faire représenter pour négocier une convention collective est un des fondements des relations économiques de notre société — une liberté chèrement acquise à grands coups de grèves marquantes: Asbestos, La Presse, Alcan, etc. dans les années 40-60. Ces grèves étaient le résultat de relations tendues et d’un besoin de changer la façon dont s’orchestrait la gérance de l’employeur. Exactement la situation qui prévaut en ce moment dans le milieu de la construction.

Au-delà du salaire, le surmenage

Actuellement, la situation dans l’industrie de la construction est tendue. Les profits sont astronomiques, la demande en main d’œuvre est toujours croissante et les chantiers ne cessent de se multiplier. C’est une industrie qui est économiquement (pas éthiquement, vous en conviendrez) florissante et saine.

Malheureusement, les travailleurs et les travailleuses se retrouvent avec de la pression pour produire plus vite, plus longtemps. Ceci fait en sorte que l’industrie de la construction est championne au Québec en matière d’accidents et de morts au travail. Parmi les demandes patronales, il y a le recalcul des heures supplémentaires et la semaine de six jours, deux demandes ayant un grave impact sur la fatigue au travail et sur le surmenage, ce qui augmente le risque d’accident. Ceci s’ajoute aussi au fait que l’épuisement professionnel mène à des retraites hâtives dues à la fatigue corporelle. À travailler toute une journée (de 5h30 à 19h), cela laisse peu de temps pour panser ses blessures.

Sans parler de la précarisation de ces emplois, pris à la pièce et dont les contrats doivent toujours être renouvelés. Ce sont des travailleurs et des travailleuses sans aucune sécurité d’emploi qui ne savent jamais quel salaire ils auront gagné à la fin de l’année. Se battre pour une indexation au coût de la vie? Ce n’est pas tant que ça pour des gens qui n’auront sûrement jamais une promesse d’emploi à temps plein douze mois par année.

Les demandes salariales ne sont pas l’unique raison de l’entêtement des patrons. Cette industrie est florissante et sans difficulté. Ce ne sera pas une indexation au coût de la vie qui freinera les profits en construction, loin de là.

Du droit de grève et de représentation syndicale
Lors de la grève étudiante que nous avons vue au printemps 2012, il a été fort étonnant de remarquer la judiciarisation de conflits qui devaient se régler démocratiquement. Les étudiants et les étudiantes ont eu recours à des injonctions et à des procédures légales plutôt que de tenter de participer à leur assemblée générale et de s’organiser. Ce fut malheureux de voir que le pouvoir judiciaire embarqua dans le processus plutôt que de reconnaître qu’il n’était pas de son devoir de participer à la politique. Aujourd’hui, le même Laurent Proulx qui avait obtenu une injonction en appelle à une loi spéciale. Autres maux, même remède.

Dans les négociations de convention collective, le droit de grève est entièrement encadré. Il doit y avoir des négociations préalables et une démonstration que les négociations sont au point mort. Ce fut le cas. L’employeur ayant fait une offre finale, les travailleurs et travailleuses l’ayant rejetée, la grève devenait alors le seul moyen légitime de poursuivre les procédures, et ce, avec un incitatif à accélérer les négociations.

Cette grève est donc entièrement légale, dans les règles, votée à la quasi-unanimité des membres. L’Alliance syndicale démontre même qu’elle peut faire cette grève sans créer un climat de terreur et «mettre la population en otage». Elle offre d’ailleurs bénévolement de l’aide aux sinistrés de l’Ancienne-Lorette: tant qu’à ne pas travailler sur les chantiers, aussi bien aider la population.

Mais non, il semblerait que même le plus réglementaire processus de négociation ne peut se faire sans intrusion de l’État. Il faut donc une loi spéciale? Si tel est le cas, c’est que Québec ne reconnaît plus le droit de grève. En fait, si l’ACQ peut se permettre d’attendre en ce moment et que le conflit ne se règle pas, c’est probablement parce qu’elle ne fait qu’attendre une loi qui lui donnera raison. Ainsi, ce sont le maire Labeaume, la CAQ et le PLQ qui font durer la grève en donnant tous les outils à l’ACQ pour ne pas négocier. Qui tient réellement la population en otage?
Philippe Lapointe, membre de l’Association Internationale des Machinistes et Travailleurs et Travailleuses de l’Aérospatial-FTQ.


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