Isabelle Porter - Par un bel après-midi du mois d'août il y a cinq ans, le premier ministre Charest a annoncé en grande pompe la découverte à Québec des vestiges d'un des plus vieux établissements européens en Amérique du Nord, le fort Cartier-Roberval. Qu'est-il advenu de ce chantier archéologique?
Québec — Les fouilles menées sur le site du fort Cartier-Roberval n'ont pas mené à des découvertes spectaculaires mais à une nouvelle vision de notre histoire. Et si la Nouvelle-France avait été fondée en 1542 plutôt qu'en 1608?
Cartier-Roberval, c'est l'histoire de la colonie qui n'a pas duré. Un échec sur lequel les livres d'histoire ont préféré ne pas trop se pencher. Nous sommes en 1542-1543, 20 ans après l'arrivée de Cortés au Mexique et 65 ans avant Champlain.
Pendant les années 1530, les voyages de Jacques Cartier avaient été réalisés sous le signe de l'exploration. Mais quand le roi François Ier envoie sur place le seigneur de Roberval, un militaire qui compte parmi ses proches, il souhaite passer à une autre étape. «Ici, c'est autre chose», résume Nicolas Giroux, l'historien de la Commission de la capitale nationale qui pilote ce dossier. «Le roi vient établir une colonie.»
Roberval et sa cour vont vivre à Cap-Rouge pendant près d'un an. Mais, contrairement à Champlain, Roberval ne lésine pas sur les moyens lorsqu'il quitte la France. On est en pleine Renaissance, avec toute l'ambition qui l'accompagne.
«Ce qui est phénoménal là-dedans, c'est qu'on fait reculer l'histoire de 70 ans, d'une part, puis on lui donne une ampleur qu'elle n'aura pas pendant un siècle, fait valoir le porte-parole de la Commission de la capitale nationale, Denys Anger. Quand Champlain fonde Québec, ils sont 25. Là, ils sont 500!»
Gilles Samson, l'un des archéologues qui ont mené les fouilles, renchérit. «On est loin de la "cabane au Canada". Non seulement en raison de la richesse des artéfacts, mais en raison des nobles qui habitaient là.»
L'équipage est en outre un peu particulier. En plus de sa cour, qui comprend des femmes, Roberval embarque des repris de justice à qui il prévoit confier les durs travaux sur place. L'équipage compte aussi des animaux.
À notre époque, on aurait vu là réunis tous les ingrédients nécessaires à une émission de télé-réalité particulièrement explosive... «On essaierait de faire ça au cinéma et même Spielberg n'aurait pas assez d'argent!», lance en riant l'historien Jean Provencher, qui a suivi le dossier depuis le début en 2006.
Les fouilles menées sur le site ont permis de cerner les limites d'une partie du fort qu'ils habitaient sur le promontoire de Cap-Rouge, à l'ouest de Québec. On a même trouvé des traces de leur nourriture, dont les ossements d'un grand pingouin, une espèce aujourd'hui disparue, qu'ils avaient probablement tué à Terre-Neuve et conservé dans un tonneau.
Les prémisses de la Nouvelle-France
Les moindres détails des fouilles seront présentés dans une grande exposition présentée au Musée de l'Amérique française en 2013. Une équipe conjointe de la Commission de la capitale nationale (CCN), du Musée de la civilisation et du ministère de la Culture est en train de la construire.
«Ce qu'on va mettre de l'avant dans l'exposition, c'est une nouvelle vision de cet épisode, explique Nicolas Giroux. Ce n'est pas tant un échec pour nous que les prémisses de la Nouvelle-France.» À la fin du XVe siècle, le pape avait donné le territoire aux Espagnols, raconte-t-il. Or, vers 1533, le roi de la France a réussi à obtenir une nouvelle interprétation de la décision du pape: pour revendiquer la possession, il allait falloir l'occuper. Selon Giroux, il n'y a pas de doute: «C'est la revendication qui est à l'origine de cette tentative coloniale-là.»
Et «ça marche, ajoute-t-il. Les gens ont tendance à penser que cette colonie-là est un échec, parce que ça dure deux ans et qu'il n'y a pas de suite immédiate pendant les 65 ans subséquents, avant que Champlain ne revienne. Mais, pendant tout ce temps-là, dans la cartographie, c'est écrit "Nova Francia Canada".»
«Pour moi, l'important, c'est que les Québécois s'identifient à ça», plaide Gilles Samson. «Que ça devienne un point de repère.»
Cet épisode de notre histoire est d'autant plus mystérieux que peu d'écrits ont subsisté sur le sujet, «à peine 12 lignes en anglais», résume Jean Provencher.
Le dictionnaire biographique canadien raconte que Roberval a parcouru les mers en pirate et que, lors de sa navigation dans le Saint-Laurent, il a abandonné l'une des passagères du bateau sur une île avec son amant. L'historien Bernard Allaire, qui a mené des recherches intensives sur le personnage pour alimenter les fouilles, met en doute ces affirmations.
La CCN doit d'ailleurs faire paraître en 2013 une biographie de Roberval signée par M. Allaire. «C'est surtout la personne même de Roberval qui était inconnue, dit-il. On a beaucoup parlé de Cartier. Ç'avait un côté idéologique, parce que Cartier était catholique et que c'est lui qui a découvert le Saint-Laurent. Il a toujours été vu comme le symbole des Canadiens-français [...]. Alors que Roberval était un militaire protestant. J'ai découvert beaucoup de choses sur lui, mais ça n'avait jamais été exploité.»
***
À retenir
Demain
_ «Un pan d'histoire caché dans un morceau de vaisselle»
Après-demain
_ Et si Roberval était resté?
L'incroyable histoire du fort Cartier-Roberval (I de III)
Et si la Nouvelle-France avait été fondée en 1542?
Cartier-Roberval, c'est l'histoire de la colonie qui n'a pas duré. Un échec sur lequel les livres d'histoire ont préféré ne pas trop se pencher.
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