Entretien avec la militante laïque Louise Mailloux: le combat laïc ne s'achèvera jamais

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La Charte de la laïcité: un premier pas, un pas décisif

Professeure de philosophie, chroniqueuse, auteure de La laïcité, ça s’impose, et d’Une charte pour la nation, militante de la première heure, Louise Mailloux est particulièrement connue pour son combat pour l’émancipation de la femme et pour la laïcité. Dans un entretien qu’elle nous livre, elle ne va pas par quatre chemins pour dénoncer les fossoyeurs de la laïcité et démasquer les extrémistes religieux et leurs ramifications. Connue également pour son franc parler et la clarté de son discours, elle partage généreusement, comme à l’accoutumée, sa position, son analyse sur les enjeux du projet de loi sur la laïcité au Québec, sur la citoyenneté et l’immigration.
Entretien réalisé par Saliha Abdenbi pour KU
Saliha Abdenbi: Pourquoi le débat sur la charte des valeurs maintenant?
Louise Mailloux : Pourquoi maintenant? Parce que depuis plusieurs années, il y a des religions qui cherchent à s’imposer dans les institutions publiques; que ce soit dans les garderies, que ce soit dans les écoles, que ce soit dans le milieu de la santé comme dans les services sociaux. Alors, il y a eu différentes demandes d’accommodement qui ont été en général accordées. Ce qui fait que, petit à petit, il y a eu une érosion de la laïcité parce que le religieux s’introduit dans les institutions publiques et il est en train de changer finalement la culture laïque de nos institutions. D’où la nécessité de légiférer, d’affirmer d’abord une déclaration officielle de la laïcité, ce qu’on n’a pas. En fait, il n’y a aucune protection juridique jusqu’à maintenant au Québec sur la question de la laïcité. On protège la liberté religieuse dans la Charte québécoise et dans la Charte canadienne également, mais du point de vue de laïcité, il n’y a aucune protection juridique. Alors, c’est un premier pas à faire. Ce qu’on veut faire aussi dans le projet de loi justement c’est de baliser les demandes d’accommodement; entre autres, un accommodement ne sera accordé que s’il ne remet pas en question l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore la neutralité de l’État. Ça (le projet de loi), c’est quelque chose de nouveau.
S.A. Comment faites-vous le lien entre la neutralité de l’État et l’intégration des immigrants par la citoyenneté?
L.M. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’État donne des services à l’ensemble de la population, donc il ne s’adresse pas aux individus en fonction de leurs croyances ou de leurs opinions sur le plan philosophique, donc on n’est pas au niveau des particularismes religieux. Il s’adresse à des citoyens, c’est-à-dire que dans les institutions publiques, l’État considère que les individus sont des citoyens et non pas des catholiques, des juifs, des musulmans, des sikhs, etc., et ça, c’est rassembleur, c’est inclusif parce que ça permet d’intégrer tout le monde. On est au-delà des particularismes, au-delà de ce qui nous divise et on est dans une sphère qui est une sphère civique, citoyenne qui est de l’ordre universel. On s’adresse donc aux Québécois, et c’est la nation qui prime et non pas la religion.
S.A. Nombreux sont les immigrants qui sont issus des pays qui ne connaissent pas ou peu la laïcité dans leur pays d’origine. Quelle pédagogie proposez-vous, ou pensez-vous à un encadrement particulier?
L.M. Je pense qu’y aller par la pédagogie et par l’éducation n’est pas suffisant. Parce qu’il y a vraiment des gens, des radicaux, qui refusent la laïcité et qui souhaitent imposer justement leur religion dans les institutions. C’est pour ça qu’ils militent. Alors, on ne pourra jamais raisonner ces gens-là. Ça va prendre de la fermeté au niveau du gouvernement pour leur envoyer un message clair : qu’on est bien décidé au Québec à tracer une frontière entre la religion et la politique.
S.A. Par ailleurs, des parties des communautés immigrantes (partenaires) soutiennent ce projet de loi. Comment voyez-vous leur rôle dans ce processus de laïcisation?
L.M. En effet, ce n’est pas tous les immigrants qui sont contre la laïcité. (En fait), il y a beaucoup d’immigrants qui sont en faveur de la laïcité, entre autres, des gens qui ont quitté justement leur pays, particulièrement du côté des pays musulmans, pour fuir les islamistes. Et ce qu’ils constatent, c’est qu’ils retrouvent ces gens-là ici qui veulent imposer la charia. Alors, ces immigrants sont solidaires du projet de la laïcité pour justement barrer la route aux intégristes. Par exemple, AQNAL (Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité) qui milite pour la laïcité et qui est en faveur du projet de loi du PQ. Ce sont des gens qui proviennent du Maghreb, mais qui se définissent d’abord par leur pays d’origine, par leur nationalité, et qui ne souhaitent pas être définis par leur religion. Alors, il ne faut pas mettre tous les immigrants dans le même panier.
S.A. Des politiques, des idéologues, certaines parties de la société s’en prennent au projet de loi. Pourquoi cette opposition? Quelles en sont les enjeux?
L.M. Certaines de ces personnes-là sont religieuses et voient dans l’Islam, à ce moment-là, une chance incroyable pour ramener justement la religion dans les institutions publiques. Donc, c’est la première raison pour laquelle elles l’(opposition) appuient. Je pense par exemple à Charles Taylor, qui est connu publiquement pour être catholique. Vous avez aussi les gens de la gauche qui ont échangé le prolétariat pour les immigrants et qui sont anti-Américains, anti-Israël et pro-Palestiniens et qui voient ces gens-là, les musulmans, comme étant des victimes au point où ils oublient de faire la distinction entre de simples musulmans et des intégristes, des islamistes. En fait, ils refusent de considérer l’islamisme et jouent à ce moment-là un jeu très dangereux parce que finalement, ils abandonnent le combat laïc et vont jusqu’à s’opposer et traiter les militants laïcs de racistes et de xénophobes. Alors, c’est vraiment décevant du côté de la gauche et c’est même révoltant et scandaleux. Alors que quand il s’agit des chrétiens, cette même gauche se mobilise contre les évangéliques à Ottawa, par exemple, sur la question de l’avortement, sur la question du mariage gai. Ils le font et je les salue, sauf que quand on a affaire à des religions minoritaires, qui nous ramènent aux immigrants, eh bien, là, ils deviennent curieusement non seulement silencieux, mais ils oublient leurs classiques Marx, Feuerbach qui sont très critiques vis-à-vis de la religion. Alors, ils se mettent à défendre la religion et perdent complètement les pédales, comme on dit.
S.A. Quel a été le rôle des médias dans la couverture de ce débat sur la laïcité?
L.M. Les médias ne sont pas neutres. Évidemment, il y a des médias qui font la promotion du multiculturalisme au Québec. Je pense notamment à Radio-Canada et à La Presse. Ces gens-là ont donné beaucoup la parole aux gens anti-charte. Ils ont joué un rôle important parce que c’est eux finalement qui façonnent l’opinion publique. Mais là-dessus, il ne faut pas perdre de vue que quelque part bien qu’ils aient donné la parole à une certaine élite qui défend le point de vue multiculturaliste, il n’en demeure pas moins que dans la population en général, la majorité des Québécois, surtout du côté francophone, est demeurée fidèle au projet de charte. C’est-à-dire que cela ne les a pas influencés outre mesure et on peut même appeler ça l’échec du multiculturalisme au Québec. Je pense par exemple à la marche des Janette qui a eu lieu le 26 octobre dernier, où nous étions plus de 20 000 personnes dans la rue. Il y a également la pétition de la Coalition Laïcité Québec qui est rendue à presque 57 000 signatures. Alors, la population est vraiment derrière ce projet de loi et ne suit pas les élites multiculturalistes. Autrement dit, les gens sentent des choses, ils savent qu’il se passe quelque chose et ils ne sont pas aussi stupides qu’on pourrait bien le penser.
S.A. Vous avez publié « La laïcité, ça s’impose » en 2011 et vous venez de faire le lancement de « Une charte pour la nation ». Parlez-nous de votre deuxième livre?
L.M. Il est certain qu’il y a une continuité au sens où je défends les mêmes idées et j’ai toujours les mêmes convictions. Dans le premier livre La laïcité, ça s’impose, c’est à double sens, c’est-à-dire qu’il est temps que quelque chose se passe. Ça s’impose c’est aussi au sens où le gouvernement devrait légiférer sur cette question. Dans le second recueil, en fait les deux (livres) sont des recueils d’articles que j’ai écrits, dans Une charte pour la nation, j’essaye de montrer que les Québécois sont une nation et aussi le fait de vouloir décider de leur avenir en matière de laïcité. Je pense que c’est le droit d’un peuple, le droit d’une nation à pouvoir décider de son avenir.
À l’heure actuelle, il y a des choses qui se règlent en Cour suprême sur la base de la Charte canadienne des droits et libertés qui est de l’ordre constitutionnel. Ici, au Québec, c’est une constitution que nous n’avons jamais signée et donc c’est une façon de dire que la nation doit s’affirmer. Derrière ce projet de loi pour la laïcité, je vois un projet d’affirmation identitaire et je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles il y a tant de l’opposition, à l’heure actuelle, à la charte de la part de politiciens fédéralistes qu’ils soient à Ottawa ou au Québec et aussi de la part d’intellectuels multiculturalistes. Dans le fond, ce qu’ils craignent le plus ce n’est pas une affirmation de la laïcité, ce n’est pas l’interdiction du port des signes religieux ostentatoires, ce qu’ils craignent le plus c’est qu’une nation se réveille, qu’une nation qui se lève et qui sait qu’elle se met à vouloir à nouveau un pays. Autrement dit, le combat laïc au Québec se mène dans un contexte qui est aussi celui bien particulier d’un Québec dans un pays qui n’est pas le sien.
Dans le deuxième recueil, il y a aussi un volet international, car il est important de situer le combat laïc au Québec dans un contexte international. Ça nous donne une compréhension plus juste et plus large. Ça nous fait moins paraître racistes et xénophobes. Parce qu’on se rend compte que même dans les pays musulmans, je pense à la Tunisie, à l’Égypte, à la Libye et même à la Turquie, les islamistes ont fait régresser la situation de ces pays-là. Il ne faut pas penser que ces gens-là se limitent à ces pays-là. Autrement dit, ils exportent ces mêmes idées de vouloir islamiser la société ici au Québec, en Europe, aux États-Unis, bref partout en Occident. Il faut se rappeler Tariq Ramadan qui disait, par exemple, dans une de ses conférences aux États-Unis que nous allons coloniser les États-Unis d’Amérique. Alors, c’est exactement ce qui est en train de se passer ici même au Québec.
S.A. Un dernier mot?
Je souhaite de tout cœur que ce projet de loi puisse être adopté et que le gouvernement demeure ferme sur ses positions. Advenant le cas où le projet est adopté, il ne faut pas penser pour autant que le combat laïc est terminé et il ne faut pas non plus penser qu’avec ça (ce projet), on va tout régler. C’est un premier pas, un pas décisif, et le premier pas est toujours le plus difficile à faire. Je pense que nous sommes sur une bonne voie, mais le combat laïc ne s’achèvera jamais.


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