Depuis la publication de son livre Disparaître? en 2019, Jacques Houle s’est imposé comme une figure de référence sur la question de l’immigration au Québec. Je me suis entretenu avec lui pour savoir comment il la voyait se redéployer, au moment où la CAQ annonce refuser la baisse des seuils, alors que partout se décompose le mythe de la mondialisation heureuse.
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Mathieu Bock-Côté: Le gouvernement a annoncé récemment son refus de baisser les seuils d’immigration, alors qu’on aurait pu croire que la situation nouvelle engendrée par la COVID l’amènerait à les réviser. Comment expliquer cet entêtement?
Jacques Houle: Dans un contexte économique et sanitaire gravissime, l’entêtement du gouvernement caquiste à vouloir hausser les seuils d’immigration constitue une véritable capitulation face aux lobbys de l’immigration. Disons-le clairement. Ce n’est pas l’intérêt général qui guide le gouvernement québécois dans sa prise de décision, mais les pressions indues exercées par des patrons souhaitant continuer à exploiter une main-d’œuvre vulnérable; pressions exercées aussi par des partis politiques pratiquant un clientélisme extrême auprès des non-francophones et relayées par certains médias comme Radio-Canada, qui ont renoncé depuis longtemps à maintenir un semblant de neutralité sur la question migratoire.
Cet entêtement est aussi une soumission au dogme d’une immigration élevée et soutenue que l’on justifie en exagérant ses avantages marginaux et surtout en cachant ses nombreux impacts négatifs.
Finalement, cet entêtement est une trahison des attentes de la majorité de la population québécoise, qui souhaite non pas plus, mais moins d’immigrants, afin que l’on puisse mieux les intégrer. N’est-ce pas la promesse faite par François Legault lors de la campagne électorale de 2018? De toute évidence, le gouvernement de la CAQ a choisi de renouer avec le modèle libéral du «toujours plus d’immigrants», au lieu d’ajuster les seuils d’immigration à la capacité réelle d’absorption des nouveaux arrivants à la société québécoise.
Cette volte-face du gouvernement de la CAQ nous révèle la vraie raison pour laquelle on évinça récemment le brillant et énergique Simon Jolin-Barrette de son poste de ministre de l’Immigration. De toute évidence, ce congédiement politique confirme la marginalisation de l’aile nationaliste de la CAQ à l’avantage de l’aile fédéraliste venue du PLQ.
Quant au mythe écorné de la pénurie de main-d’œuvre que l’on brandit, encore une fois, il paraît encore plus dérisoire lorsqu’on est le moindrement attentif aux publications récentes de prestigieux organismes internationaux comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou l’OCDE, qui prévoient une aggravation probable de la crise économique actuelle. D’ores et déjà, l’économie canadienne est quasiment à genoux, comme l’est aussi l’économie québécoise. Au cours du deuxième trimestre, par exemple, le PIB du Canada a chuté de 38% et le marché du travail a été amputé de près de deux millions d’emplois. Et s’il devait se produire un nouveau confinement général à l’automne, on n’ose imaginer l’ampleur du désastre à venir!
MBC: Quels sont les effets réels d’une immigration élevée et soutenue sur la société québécoise?
JH: D’abord, rappelons que la littérature scientifique sur le sujet démontre que l’immigration, même élevée et soutenue, n’a pas d’impact positif sur la structure par âge de la population québécoise, qui, par conséquent, va continuer à vieillir. Il faut le dire haut et fort: seule une hausse de la natalité pourrait rajeunir le Québec. En outre, l’immigration a un impact marginal sur les finances publiques.
Pour la majorité historique de langue française, dont la proportion au sein de la population québécoise était demeurée stable à 82% tout au long du XXe siècle, la hausse de 65% des seuils annuels d’immigration, au début du XXIe siècle, a eu un impact démographique dévastateur. Selon Statistique Canada, la majorité historique va passer de 79% en 2011 à 69% en 2036. Comme je l'ai déjà écrit: «À ce rythme de décroissance d’environ 10 points de pourcentage par 25 ans, la majorité historique francophone va disparaître sous la barre des 50% avant la fin du siècle, soit demain à l’échelle de l’histoire.»
Chose certaine, sur l’île de Montréal, les citoyens de langue maternelle française sont déjà largement minoritaires, puisque leur poids démographique est d’à peine 45%; chez les moins de 20 ans, la proportion tombe à environ 30%. Autrement dit, 70% de la population de l’île est allophone ou anglophone, d’où sa mutation en enclave bilingue. On comprend alors pourquoi la mairesse Plante est si entichée de bilinguisme: élection oblige...
Pour prendre réellement conscience de l’énormité du fardeau migratoire porté par la petite société québécoise, il faut se rappeler que 50 000 immigrants admis chaque année correspond à 500 000 immigrants qui arrivent au Québec tous les 10 ans. Ce demi-million de nouveaux immigrants, c’est plus que la population totale de Laval, la troisième ville en importance, avec ses 437 413 habitants (2017). Malgré cette déferlante migratoire, le gouvernement libéral précédent n’a jamais réussi à atteindre ses objectifs fondamentaux en matière de gestion de l’immigration et de la diversité. En plus de réduire la majorité historique, cette dérive migratoire a eu de multiples conséquences négatives, notamment en creusant un fossé démographique entre Montréal et le reste du Québec, en fragilisant le français comme langue commune et en neutralisant la hausse naturelle des salaires.
À la lumière de ce constat d’échec, on se demande pourquoi le gouvernement du Québec s’apprête à emprunter aux libéraux une politique d’immigration aussi échevelée, qui plaçait d’ailleurs les intérêts électoraux des libéraux bien au-dessus des intérêts de la nation québécoise. Ce mimétisme des caquistes est d’autant plus contre-productif qu’ils ne peuvent en aucun cas espérer augmenter leurs appuis parmi les néo-Québécois, qui, à l’instar des Anglo-Québécois, vont continuer, comme avant, à voter en bloc pour le PLQ, et surtout contre tout parti politique québécois le moindrement nationaliste, fût-il de gauche, de centre ou de droite. Comme vous l’avez vous-même écrit: «Les députés caquistes de Montréal et de Laval devraient être les premiers conscients de cette situation: ils sont en sursis électoral.»
MBC: Quel est le niveau optimal d’admissions que le Québec devrait observer pour réussir l’intégration des nouveaux arrivants à la majorité historique francophone?
JH: En accueillant 50 000 immigrants par année, le Québec chausse des bottes de sept lieues, puisqu’il accueille, proportionnellement à la taille de sa population, deux fois plus d’immigrants que les États-Unis et deux fois et demie plus que la France. Comme le demande avec lucidité l’historien Frédéric Bastien, la société québécoise a-t-elle vraiment deux fois plus de capacité d’intégration que ces deux grandes nations? La réponse est évidemment non. Le bon sens et la prudence nous commandent donc de réduire de moitié nos seuils annuels d’immigration en accueillant un maximum de 25 000 à 30 000 nouveaux immigrants par année. Ce nombre doit inclure les personnes appartenant à la catégorie de la réunification des familles et à celle des requérants du statut de réfugié. Évidemment, il faudra que le gouvernement du Québec fasse une bataille politique pour rapatrier les pouvoirs de sélection et d’établissement sur ces catégories, présentement détenus par le gouvernement fédéral.
Pour rallier une majorité de Québécoises et Québécois derrière les deux objectifs essentiels que sont la réduction des seuils annuels et le rapatriement de pouvoirs détenus par le fédéral, il faut d’abord oser braver la rectitude politique nous commandant d’approuver des niveaux d’immigration élevés et soutenus, quels que soient ses dérives et ses échecs. Il faut aussi rappeler à tous que critiquer un système d’immigration dysfonctionnel, ce n’est pas critiquer les immigrants comme individus, lesquels méritent, évidemment, tout notre respect.
MBC: Quel regard portez-vous sur le positionnement des candidats à la chefferie du Parti québécois?
JH: Si l’on a comme priorité d’intégrer durablement tous les immigrants à la majorité de langue maternelle française de façon à assurer la pérennité de la nation québécoise, seuls l’historien Frédéric Bastien et l’avocat Paul St-Pierre Plamondon font preuve de la lucidité et du courage politique nécessaires pour relever ce défi existentiel du Québec. Et si, parmi ces deux excellents candidats, il me fallait en toute cohérence trancher en faveur de l’un ou l’autre, c’est à Frédéric Bastien que je donnerais mon appui, puisque, comme moi, il plaide en faveur d’une baisse majeure des niveaux d’immigration pour assurer la survie de la majorité historique. Mais si les membres choisissaient Paul St-Pierre Plamondon comme chef du Parti québécois, j’en serais aussi très heureux, puisqu’il opte lui aussi pour une réduction importante des seuils annuels d’immigration, même si c’est à un niveau moindre que je le souhaiterais.