Retour sur le discours de Mulhouse: de l’incapacité d’Emmanuel Macron de parler de « la France »
S’il y a un domaine où le président Macron ne pratique pas le « en même temps », c’est dans sa manière de parler de la France, en évitant systématiquement de la désigner.
En effet, en recherchant toutes les occurrences du mot « France » dans le discours du 18 février 2020 que le président de la République a prononcé à Mulhouse sur le séparatisme islamiste, on s’aperçoit qu’Emmanuel Macron ne l’utilise que comme complément circonstanciel de lieu (« en France ») ou comme complément de nom, pour parler par exemple des musulmans de France. En revanche, il n’utilise jamais le nom « France » pour parler de notre pays et lui préfère systématiquement le vocable très politico-administratif de « République » (79 occurrences dans tout le discours). Une seule exception à cette règle linguistique auto-imposée figure dans son intervention, vers la fin, mais justement pour dire du mal de la France.
Identité, le mot n’est pas sale: la France ce n’est pas seulement la République
Après avoir annoncé les mesures prises pour lutter contre le « séparatisme islamiste », le président Macron revient, dans des termes à vrai dire assez peu clairs, sur la manière dont le problème islamiste – dont il reconnaît l’ancienneté – a été traité jusque-là, en « stigmatisant », mais, ajoute-t-il, cette stigmatisation « rassurait une partie de la France parce qu’il en humiliait une autre ». Ainsi donc, quand Emmanuel Macron désigne « la France », ce n’est que pour évoquer ses prétendus relents racistes. Mais quand il s’agit pour le président de parler de notre pays pour ce qui doit en être préservé et protégé, il ne reste plus que « la république », les institutions en somme, débarrassées de tout l’aspect charnel, affectif, émotionnel, débarrassées aussi des 1300 ans d’histoire qui ont précédé l’instauration de la première république en 1792, et qui constituent pourtant tout ensemble le cœur battant de la nation et son ciment fédérateur.
Il n’y a pas une culture française…
Ces omissions sémantiques pourraient être considérées comme anecdotiques si elles n’étaient pas l’écho d’un invariant chez le président de la République. Comme le rappelle très justement le journaliste Yves Mamou dans le portrait qu’il dresse de notre président dans Le grand abandon – les élites françaises et l’islamisme (L’Artilleur, 2018), Emmanuel Macron a plusieurs fois démontré son scepticisme quant à l’existence d’une identité culturelle française à préserver. Début février 2017, en pleine campagne électorale, le voilà qui affirme sans ambages « Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse ». Quelques jours plus tard, à Londres, Macron récidive : « l’art français, je ne l’ai jamais vu ». Mais surtout, Macron se montre convaincu de la responsabilité de la société française dans le terrorisme dont elle est victime : « Quelqu’un sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre » (ce qui est d’ailleurs faux) ; « Nous avons construit la capacité à fermer la porte ».
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La conviction du président que la France est un pays qui mériterait presque son malheur djihadiste est déjà là. D’autant qu’à ces expressions de sollicitude envers la diversité se mêlent plusieurs anecdotes illustrant le profond mépris d’Emmanuel Macron pour les « les gens qui ne sont rien », les « illettrés », les « fainéants », ces « salariés » dont il juge la vie bien plus douce que « les entrepreneurs ». Pas avare de contradictions, il a beau prétendre, à l’aube du premier tour, pour amadouer les lecteurs conservateurs du magazine Causeur, que « la France n’a jamais été et ne sera jamais une nation multiculturelle », il aura pourtant hurlé à Marseille, quelques jours avant, « je vois les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, (…), je vois quoi, je vois des Français ! », déclaration auquel fera écho son adresse au « peuple de France » – au pluriel peut-être ? – plutôt qu’au peuple français dans son discours de l’entre-deux tours.
Ces Français « de souche » méritent-ils ce si pesant mépris présidentiel ? Ils sont pourtant loin d’être intolérants, comme le démontrent année après année les rapports annuels sur la question de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’homme). Aucune « ratonnade », aucune explosion des crimes et délits à l’encontre des musulmans n’ont accompagné la vague d’attentats islamistes effroyables que la France a connu et son long cortège de victimes. Tout cela alors que notre beau pays, qui a été le premier d’Europe à accueillir des immigrés en nombre dès le milieu du 19è siècle, compte aujourd’hui l’un des pourcentages de musulmans le plus élevé des pays occidentaux.
Le malaise des Français d’abord
Non, Emmanuel Macron, les Français n’ont aucune satisfaction à voir les musulmans dans leur globalité, « humiliés » comme il l’a prétendu à Mulhouse. Il y a en revanche un vrai malaise des Français, dans des proportions qui dépassent largement le clivage gauche-droite, devant les expressions de l’islam fondamentaliste, comme l’analyse très justement Philippe d’Iribarne dans son livre Islamophobie, Intoxication idéologique (Albin Michel, 2019) ainsi que dans les colonnes du Figaro en novembre 2019.
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S’ils sont tolérants, les Français n’en restent pas moins profondément attachés à leur identité culturelle. Leurs préventions contre l’islam fondamentaliste apparaissent bien légitimes dans la mesure où elles sont issues, non pas de leur hostilité vis-à-vis des musulmans en général, mais de l’inquiétude qu’ils ont quant à la préservation de leur mode de vie, au respect de l’histoire et d’eux-mêmes en tant que peuple issu de cette histoire. C’est tout l’objet de l’analyse de Laurent Bouvet dans son essai L’insécurité culturelle (Fayard, 2015). On aurait espéré qu’Emmanuel Macron, reconnaissant enfin le problème du « séparatisme islamiste », comprenne que la séparation suppose l’existence de ce dont on veut se séparer, et que cela, précisément, c’est la France, au sens à la fois historique et quotidien, au sens des us, des coutumes et des mœurs, au sens du peuple qui l’incarne, de tout ce qui le caractérise et le distingue des autres peuples du monde, au sens de son identité profonde en somme – le mot n’est pas sale ; ce n’est pas seulement « la république ».
La France ne peut pas se résoudre à se passer d’elle-même
Dans La cause du peuple (Perrin, 2016), Patrick Buisson explique comment Nicolas Sarkozy a suscité l’enthousiasme des Français par une campagne électorale fondée notamment sur leur aspiration commune à « l’antépathie » – l’attachement au passé – et à « l’incarnation hiératique » d’une certaine idée de la France qu’ils attendent de leur président. Assez logiquement, l’échec du même en 2012 est avant tout la sanction d’une mandature au cours de laquelle le président n’a rien su conserver de la hauteur, de la verticalité et de la densité dont il avait, en tant que candidat, fait la promesse implicite aux Français. L’historien Vincent Duclert s’appuie sur les mots du Général De Gaulle en ouverture de ses Mémoires de guerre (« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France ») pour expliquer que « la première des exigences qui fondent la France telle qu’elle existe aujourd’hui réside bien dans cet engagement des personnes à penser et à imaginer la nation. Cette donnée cardinale est une disposition intellectuelle, c’est la raison critique grâce à laquelle les Français ont toujours pu conjurer la disparition des valeurs qui les maintiennent ensemble ».
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Emmanuel Macron devrait se rappeler des enseignements de la campagne Sarkozy et se méfier de ses penchants modernistes, pour ne pas dire post-modernistes, et des ambitions multiculturalistes qui en découlent. Ce pays aux racines judéo-chrétiennes et gréco-latines, à l’histoire et à la culture si riches et si remarquables, ne se résoudra pas à se passer aussi facilement de lui-même. C’est en reconnaissant que l’on est comptable d’un passé, d’une histoire, d’une identité que l’on peut prétendre à élaborer un projet pour l’avenir. Macron devrait ainsi méditer cette réflexion du grand écrivain anglais G.K. Chesterton : « De toutes les raisons de mon scepticisme devant cette habitude moderne de tenir les yeux fixés sur l’avenir, il n’est pas de plus forte que celle-ci : tous les hommes qui, dans l’histoire, ont une action réelle sur l’avenir avaient des yeux fixés sur le passé. »