Elections israéliennes : « La stature internationale de Nétanyahou est son principal atout »

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« Il connaît Washington comme personne, depuis quarante ans qu’il fréquente la ville. »

Les Israéliens se rendent aux urnes pour la deuxième fois en cinq mois, mardi 17 septembre, pour décider du sort de Benyamin Nétanyahou. Lors des élections législatives d’avril 2019, le Likoud et la formation centriste Bleu Blanc avaient chacun obtenu 35 sièges sur les 120 de la Knesset. Le président israélien Reuven Rivlin avait mandaté M. Nétanyahou pour former un gouvernement de coalition. Mais incapable d’y parvenir, il avait dissous le Parlement et provoqué un nouveau scrutin. Les deux partis sont aujourd’hui crédités de 32 sièges chacun. Les résultats de leurs alliés potentiels – la droite et les partis religieux pour Benyamin Nétanyahou et la gauche et les partis arabes pour Benny Gantz – devraient être déterminants. Louis Imbert, correspondant du Monde à Jérusalem, a répondu aux questions des internautes du Monde.fr.


Louis Imbert : Une grande partie des électeurs se le demandent encore. Les partis ont concentré leur campagne en deux semaines à peine, afin de ne pas ajouter à cette fatigue. Mais la participation ce matin, à 10 heures, était étonnamment forte.


En avril, le premier ministre Nétanyahou a échoué à former un gouvernement – bloqué par son vieil allié Avidgor Lieberman, qui entendait le forcer à faire adopter une loi facilitant la conscription des ultraorthodoxes dans l’armée – le creuset national. Les parlementaires du Likoud ont démissionné comme un seul homme. Ce nouveau scrutin a tourné au référendum : pour ou contre M. Nétanyahou, qui exerce le pouvoir de façon continue depuis 2009. Aucun enjeu, aucun débat hors celui-là.


L. I. : La gauche est aux champs. Disparue. Invisible dans la campagne. Le Parti travailliste, qui a dirigé le pays durant ses premières décennies, pourrait ne pas passer 3,25 %, qui garantissent d’entrer au Parlement. L’opposition à M. Nétanyahou est incarnée par son ancien allié, M. Lieberman, qui tente de capitaliser sur la très vieille querelle entre religieux et séculiers, en dénonçant l’alliance « maudite » de M. Nétanyahou avec les partis ultraorthodoxes.


Son principal concurrent, le mouvement Bleu Blanc dirigé par l’ancien chef d’état-major Benny Gantz, qui fait jeu égal avec le Likoud dans les sondages, espère rafler la mise. Il s’efforce de ne prendre aucune position saillante, de renvoyer la balle. Il incarne l’alternance et un « assainissement » de la vie politique après « Bibi ».


L. I. : M. Nétanyahou sera entendu quoi qu’il arrive par le procureur général du pays en octobre, en plein durant les négociations entre partis pour la formation d’un gouvernement. Mais il a beaucoup interrogé ses alliés avant la campagne, selon des fuites dans la presse, sur le soutien que pourra lui apporter le Parlement face aux affaires. Il pourrait être inculpé avant la fin de l’année pour des accusations de « corruption », de « fraude » et d’« abus de confiance ». Résultat : désordre et fébrilité générale. Ses partisans affirment qu’il pourrait choisir de demeurer au pouvoir tout en luttant en justice, durant des années, jusqu’en appel et à une condamnation définitive.


L. I. : M. Nétanyahou s’est engagé en fin de campagne à annexer la vallée du Jourdain, en Cisjordanie, au lendemain du vote. Puis toutes les colonies israéliennes de Cisjordanie. Il précisait ainsi une promesse faite au dernier jour de la campagne d’avril. Pour l’heure, cet engagement est une affaire interne israélienne. M. Nétanyahou court toujours plus à droite : son pouvoir dépend de ses alliés ultranationalistes. Mais sa promesse, précipitée, non planifiée, a en effet suscité de vives critiques de hauts responsables de l’armée, selon la presse israélienne.


Le contrôle israélien de la vallée du Jourdain est un fait acquis pour une large part du pays. Le problème de fond vient du mot « unilatéral » : sans concertation avec les Palestiniens, ni avec la communauté internationale. Les risques sont immenses, y compris pour Israël : l’annexion impose d’appliquer le droit israélien dans les territoires occupés, et soulèverait de lourdes questions sur l’égalité devant le droit dans le pays. Que deviendraient les quelque 65 000 Palestiniens de la vallée du Jourdain ? M. Nétanyahou s’est gardé de s’exprimer sur ce point.


L. I. : Non. Le sujet n’est pas abordé. Il s’impose. L’image la plus frappante de la campagne, c’est l’évacuation précipitée de M. Nétanyahou par des officiers de sécurité d’une tribune d’Ashdod (Sud), où il s’exprimait en meeting. Une roquette venait d’être tirée vers la ville depuis la bande de Gaza. Cette image met en lumière les limites du traitement purement sécuritaire de Gaza par M. Nétanyahou, qui s’était efforcé de laisser Gaza hors champ durant toute la campagne.


Quant aux autres partis, leurs propositions divergent à peine. M. Gantz, principal rival du premier ministre, a tâché de projeter une image d’homme fort en promettant de multiplier les bombardements et les assassinats ciblés à Gaza. Il a été le chef d’état-major du pays, et y a dirigé deux opérations militaires majeures, en 2012 et en 2014.


L. I. : La stature internationale de M. Nétanyahou est son principal atout. Quelque 40 % des Israéliens considèrent qu’il est le plus apte à diriger le pays – et ce chiffre est fabuleusement stable. Peu avant les élections d’avril, il avait obtenu de Washington la reconnaissance unilatérale de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, pris à la Syrie durant la guerre de 1967 et annexé en 1981. Il avait rendu visite à Vladimir Poutine à Moscou, voyage qu’il a répété la semaine dernière, à moindre bruit.


C’est que ses partenaires internationaux n’ont plus grand-chose à lui offrir. M. Trump est occupé ailleurs. Il s’interroge : faut-il bombarder l’Iran après l’attaque contre un site pétrolier saoudien, samedi 14 septembre, ou rencontrer le président iranien Hassan Rohani ? Il caresse l’idée d’un « deal » avec l’Iran, après son retrait de l’accord international sur le nucléaire, en mai 2018.


« Bibi », quant à lui, a commenté comme jamais, avant le vote, les opérations militaires menées par l’armée contre Téhéran et ses alliés en Irak, au Liban et en Syrie. Il a suscité au passage, encore une fois, des critiques au sein de la haute hiérarchie militaire israélienne, qui favorise la discrétion afin de décourager des ripostes de ses ennemis.


M. Nétanyahou demeure le chef de gouvernement qui sait le mieux « jouer » de Trump, et son meilleur allié. Il connaît Washington comme personne, depuis quarante ans qu’il fréquente la ville. Mais l’agenda de la Maison Blanche joue contre lui, dans cette campagne.