Combien de pétrole a-t-on découvert à Anticosti, au juste? Si vous avez suivi l'actualité, vous me parlerez sans doute de 40 milliards de barils, dont 30 milliards sur les lots attribués à Pétrolia. Vous me parlerez peut-être aussi des 400 milliards$ que cela doit rapporter. Mais en réalité, aucun pétrole exploitable n'a encore été découvert à Anticosti. Pas une goutte.
S'il y a du pétrole - et c'est loin d'être certain - personne ne sait où il se trouve, Pétrolia pas plus que les autres.
Tout cela est écrit noir sur blanc, dans un dossier remis aux actionnaires de Pétrolia, le fameux rapport Sproule, publié en 2011. Mais encore fallait-il se donner la peine de le lire. Prenant leurs désirs pour des réalités, journalistes, économistes et politiciens ont confondu potentiel théorique et ressources confirmées. Ils vendent la peau d'un ours qui, non seulement n'a pas été tué, mais qui en plus n'existe vraisemblablement pas.
Les énormes chiffres qui circulent découlent d'une mauvaise lecture d'une étude géologique réalisée par Sproule, une firme de Calgary. Cette étude «est basée sur l'interprétation et l'extrapolation de données très limitées et non significatives du point de vue statistique», insistent les auteurs. Tout ce qu'on y lit, c'est que le sous-sol d'Anticosti renferme des roches riches en matière organique qui ont jadis été enfouies à la profondeur voulue pour qu'il s'y forme du pétrole.
En multipliant la teneur en matière organique par le volume de roche-mère, l'étude en arrive à une «meilleure estimation» de 30,9 milliards de barils de pétrole «initialement en place». Mais est-il toujours là? Les forages n'ont encore permis de localiser aucun pétrole.
Le mythe des milliards d'Anticosti semble avoir pris forme autour d'une note de l'Institut économique de Montréal publiée en avril 2012. L'auteur prend le chiffre de 40 milliards de barils (total combiné pour Pétrolia et Junex) et postule qu'au moins 10% de ce pétrole non découvert sera exploitable. Il multiplie ensuite par le prix du baril, 100$, et voilà: 400 milliards de dollars - basés sur du rêve.
Or, ce chiffre «prudent» de 10% est grossièrement exagéré. En réalité, selon l'ingénieur pétrolier Jean Laherrère, la quantité de pétrole exploitable représente en moyenne 0,5% seulement du pétrole produit par la roche-mère. On rétorquera que 0,5% de 400 milliards$, ça fait toujours un joli pactole de 20 milliards$. Oui... à condition que le pétrole soit toujours là, quelque part. Or, il y a de bonnes raisons de croire que si jamais il y a eu du pétrole à Anticosti, il est depuis longtemps disparu.
Bernard Durand, un géologue et géochimiste spécialiste des mécanismes de formation de pétrole et de gaz, qui a publié plus de 100 articles scientifiques et six livres, voit deux obstacles majeurs à la présence de grandes quantités de pétrole à Anticosti. D'abord, la roche-mère, qui date de 450 millions d'années, est trop âgée. Le pétrole initialement en place a eu tout le temps de migrer vers la surface, vers des couches rocheuses qui ont été érodées... avant même l'apparition des dinosaures! Et s'il s'est formé un peu de pétrole depuis, il a pu lentement s'échapper en s'écoulant le long des strates rocheuses qui se rendent en pente douce jusqu'à la surface d'Anticosti.
«L'Arabie du Nord» est un mythe. En faisant miroiter ses milliards imaginaires, Pétrolia a su convaincre Québec d'investir dans une exploration aux résultats très incertains. La seule ressource exploitable, c'est la crédulité du gouvernement. Tandis qu'il rêve de ses évanescents pétrodollars, l'État arrose Pétrolia de «fiscaux-dollars» bien tangibles, eux.
Du pétrole à Anticosti, vraiment?
Philippe Gauthier
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