Du bon usage des nonos

Bc5be40a19a972912d24d586a9ba3f75

Le mépris de Trudeau pourrait se retourner contre lui

Le dictionnaire nous apprend que le nono est un insecte de Polynésie dont la morsure peut être douloureuse. En France, la nono était la zone administrée par le régime de Vichy sous l’occupation allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ceux qui sont aux environs de la quarantaine se rappelleront que Nono était aussi le nom du petit robot farceur de leur enfance que le fils d’Ulysse, Télémaque, reçut en cadeau dans la série d’animation franco-japonaise produite dans les années 1980 Ulysse 31.



Mais parions qu’en fouillant dans sa culture, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a plutôt choisi le sens proprement québécois du mot. Ne riez pas ! On le retrouve sous des plumes aussi prestigieuses que Michel Tremblay, Claude Jasmin et Plume Latraverse. Mais là où les linguistes se perdent en conjectures, c’est sur l’origine du mot. L’hypothèse la plus vraisemblable voudrait que l’expression vienne de « neuneu », qui serait elle-même un dérivé de l’expression vulgaire « tête de nœud ». À moins que cela vienne de la fête à Neu-Neu, une fête foraine créée sous Napoléon III qui se déroulait à Neuilly-sur-Seine. Comme quoi les mots mènent à tout. Le premier ministre canadien n’avait pas conscience d’évoquer ainsi le monde des forains, qui est aussi celui des clowns.



En traitant les hurluberlus de La Meute de « nonos », notre premier ministre savait-il qu’il innovait à ce point ? Aucune trace en effet de ce mot dans les plus grands discours politiques, de Jaurès à Trudeau père. Pourtant, si le mot est une nouveauté dans le vocabulaire politique, ce qui l’a motivé ne l’était guère. Loin de là ! Cette façon en effet de prendre pour bouc émissaire un groupe qui rassemble trois pelés et deux tondus est une vieille tactique politicienne. L’exemple vient de haut. Et même de très haut.



 

On n’imagine pas un seul instant que le mot « nono » ait pu faire partie du vocabulaire raffiné de François Mitterrand. Force est pourtant de constater que Justin Trudeau a eu un prestigieux prédécesseur. Une fois élu, en 1982, le premier président socialiste de la Ve République n’a pas attendu avant de penser à sa réélection. Un défi presque impossible à relever après le virage libéral qu’il venait de faire. Heureusement, Jean-Marie Le Pen était là, à la tête d’une formation microscopique pratiquement inconnue alors. En 1980, le Front national ne comptait que 270 adhérents. Probablement moins que La Meute. Aux élections législatives, il n’avait rassemblé que 0,18 % des voix. Il était évidemment incapable de recueillir les parrainages nécessaires pour se présenter à la présidentielle.



C’était sans compter avec le fin tacticien que fut toujours Mitterrand. Sous prétexte d’ouverture, il donna l’ordre aux chaînes publiques d’accueillir Le Pen sur leurs plateaux de télévision. La France découvrit soudain un orateur doué et truculent. La grande télévision populiste était née. Et avec elle, la politique spectacle. Mitterrand poussa le machiavélisme jusqu’à introduire une dose de proportionnelle dans la législative. Ce qui permit au FN de faire élire 35 députés. C’est ce jour-là que le FN est vraiment venu au monde.



« On a tout intérêt à pousser le FN, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes », a d’ailleurs reconnu le premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy. Une fois le FN connu de tous, il était temps de mettre en scène la réélection. Celle-ci se jouera évidemment sur le thème de la lutte antiraciste. C’est dans les bureaux de l’Élysée que l’on inventera de toutes pièces le mouvement SOS-Racisme, comme l’a démontré de manière magistrale le journaliste Philippe Cohen.



Avec les années, Mitterrand n’hésitera jamais à jouer la carte du populisme de gauche en lançant, par exemple, contre Le Pen une grande gueule de la trempe de l’homme d’affaires Bernard Tapie. Sauf pour de rares exceptions, les socialistes ne se rendaient malheureusement pas compte qu’en jouant à ce jeu dangereux, ils accordaient à ce parti, alors surtout composé de petits artisans, le monopole sur toute une série de problèmes politiques suscités par la mondialisation, comme l’immigration, l’identité et la sécurité. Des sujets sur lesquels, avec le temps, les socialistes n’auront plus rien à dire, sinon qu’il ne fallait pas en parler pour ne pas « faire le jeu » du FN. Des sujets qui, jusqu’à aujourd’hui, demeurent souvent tabous à gauche alors qu’ils préoccupent au premier titre les milieux populaires.



Il n’est pas surprenant que Jean-Marie Le Pen ait toujours décrit François Mitterrand comme un « adversaire politique intelligent, cultivé et de talent ». Il savait qu’il lui devait une partie de sa réussite politique. Nul doute que Justin Trudeau n’a ni la finesse ni la pensée stratégique de celui que l’on surnommait « le Florentin », en référence à Machiavel. Chez les Trudeau, on a toujours préféré Castro à Mitterrand. Certes, le Québec n’est pas la France. Mais, qui sait si un jour les gens de La Meute, ou leurs successeurs, ne remercieront pas Justin Trudeau comme Jean-Marie Le Pen avait témoigné sa reconnaissance à François Mitterrand ?


> Lire la suite sur Le Devoir.



-->