Dion : la candeur ou la bagarre

Autrement dit, Stéphane Dion est dur à "vendre", mais Stephen Harper est facile à "planter".

Élections fédérales du 14 octobre 2008



Winnipeg - Dans un discours au ton combatif, mercredi, Stéphane Dion a affirmé à ses députés réunis en caucus à Winnipeg que le Parti libéral "devait" gagner pour chasser "le gouvernement le plus à droite de l'histoire du Canada".
Il a poursuivi sur cette lancée en disant que réélire Stephen Harper, c'est donner un troisième mandat à George W. Bush au Canada.
Hier, il en a rajouté en point de presse, tentant avec beaucoup d'efforts de démontrer que l'éclosion de listériose mortelle au Canada est le résultat direct de l'idéologie de droite du gouvernement Harper, qui a sacrifié les programmes d'inspection des aliments. M. Dion n'est pas allé aussi loin que de dire que le gouvernement Harper est responsable de la mort des 13 Canadiens (à ce jour), mais en réclamant à grands cris la démission du ministre de l'Agriculture, il essaye clairement de transformer l'affaire Maple Leaf en Walkerton. (Petit rappel: il y a quelques années, le gouvernement conservateur de Mike Harris avait été tenu responsable de la mort de citoyens de la petite ville ontarienne de Walkerton, empoisonnés par de l'eau impropre à la consommation, parce que les services environnementaux de la province avaient été sabrés.)
"Ce que nous avons ici est un autre exemple de l'idéologie de droite de ce gouvernement qui ne croit pas au rôle du gouvernement, qui a peur du gouvernement, qui veut privatiser et couper", a lancé le chef libéral, accusant en plus les conservateurs de se complaire dans la "culture du secret".
Voilà, le ton est lancé pour la campagne. Et vous n'avez rien vu encore. Des stratèges libéraux racontaient cette semaine à Winnipeg que leur chef s'est enfin laissé convaincre d'attaquer le premier ministre Stephen Harper avec force, d'y "aller pour la jugulaire", comme disent les anglophones. D'ici quelques jours, les libéraux lanceront des publicités explicites contre Stephen Harper, soulignant à gros traits son appui à la guerre américaine en Irak.
Réfractaire aux campagnes de publicités négatives (il a même bloqué lui-même une pub radio trop dure à son goût envers Stephen Harper, l'an dernier), Stéphane Dion s'est fait dire par ses députés et ses stratèges qu'il doit passer en mode attaque contre les conservateurs.
C'est aussi ce que pense l'ancien premier ministre, Jean Chrétien, qui parle à l'occasion à M. Dion et dont de nombreux fidèles ont repris du service pour cette campagne électorale. Le vieux lion libéral, qui n'a jamais levé le nez sur une bonne bataille, est d'avis, selon nos sources, que les libéraux pourront difficilement gagner des points en vantant Stéphane Dion, mais que les conservateurs pourraient en perdre si l'image Stephen Harper est durement attaquée. Autrement dit, Stéphane Dion est dur à "vendre", mais Stephen Harper est facile à "planter".
Les libéraux entendent aussi exploiter la principale faiblesse électorale de Stephen Harper: les femmes. Au gré de sondages et de groupes d'opinion, les libéraux ont constaté que les électrices se méfient du chef conservateur. Elles préfèrent, dans une proportion atteignant 8 contre 1, Stéphane Dion à son adversaire conservateur. D'où la référence très directe à la guerre en Irak.
La stratégie n'est pas sans risque, les campagnes négatives, on le sait, se transforment souvent en boomerang quand elles sont mal conçues ou exagérées. Tout est dans le dosage. Rappelez-vous la dernière campagne, en 2006, quand les libéraux de Paul Martin avaient diffusé des publicités télé laissant clairement entendre que Stephen Harper voulait envoyer des soldats armés dans les rues des grandes villes canadiennes.
Mais au point où en sont les libéraux (je n'en ai croisé aucun à Winnipeg cette semaine qui était prêt à gager sur une victoire libérale), ils n'ont plus vraiment le choix. Surtout que l'autre partie de la campagne, celle que veut mener Stéphane Dion, repose sur le pari audacieux que les électeurs sont prêts à débattre du Tournant vert en 35 jours de campagne, un projet au slogan simple, mais aux détails extrêmement complexes.
Dans un long discours du genre "pep talk" préélectoral à son caucus, mercredi (plutôt bon discours, d'ailleurs), c'est quand il est entré dans les détails de son plan qu'il a perdu l'attention de la salle. On a vu bien de ses députés décrocher à ce moment, blaguant entre eux, "pitonnant" sur leur BlackBerry ou luttant contre le sommeil post-lunch.
En annonçant cette semaine des modifications à son plan vert pour les fermiers, les pêcheurs et les camionneurs, M. Dion n'a fait que rajouter une couche de complexité à quelque chose qui n'était déjà pas simple.
"Ce n'est pas vrai qu'il est compliqué, notre plan, s'est insurgée la députée torontoise Martha Hall Finlay, croisée mercredi soir au bar de l'hôtel Fort Garry.
"Mais j'avoue que le message doit être simplifié", a-t-elle concédé quelques minutes plus tard. Ce constat est unanime chez les libéraux.
C'est là tout le défi de Stéphane Dion: simplifier son message, le rendre électoralement comestible, ce qui va à l'encontre de sa personnalité. En même temps, il doit se montrer combatif envers Stephen Harper, et frapper fort, ce qui est aussi contraire à sa nature.
Pour qu'il fonctionne, le plan libéral suppose donc une transformation complète du chef. Que le prof d'université devienne vendeur et que l'intellectuel se mue en bagarreur. Pas étonnant que M. Dion ait l'air un peu engoncé dans ses habits de chef, et de seul aspirant au poste de premier ministre.
Par ailleurs, son anglais, on l'a vu encore cette semaine à Winnipeg, s'est amélioré, mais il reste laborieux par moments, surtout quand Stéphane Dion est fatigué. Or, une campagne, ça fatigue son chef.
Quant au style, les députés et les organisateurs présents cette semaine étaient rassurés par les discours qu'ils ont entendus, mais leurs attentes étaient, il faut le dire, minimales: ils demandaient seulement à M. Dion de ne pas se casser la gueule.
Les libéraux regardent et écoutent leur chef comme un papa regarde sa fille de 5 ans faire de la bicyclette sans les petites roues arrière pour la première fois: avec la crainte de la voir tomber à tout moment et un grand soulagement quand elle arrive à faire 10 mètres sans se râper les genoux sur l'asphalte.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca


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