Dieu est un artiste

Laïcité — débat québécois


Frédérique Doyon - «Les grandes questions spirituelles aujourd’hui se posent d’abord dans les grandes œuvres artistiques», déclare Gabriel Ringlet, comme la trilogie de Bernard Émond, La neuvaine (ci-dessus), Contre toute espérance et La donation.
À l'heure où resurgit le débat sur les accommodements raisonnables, le prêtre belge Gabriel Ringlet, «libre-croyant» et ami du Québec depuis 30 ans, en appelle à une «laïcité de confrontation», à l'instar du philosophe Paul Ricœur.
Rarement le mot «Dieu» aura-t-il créé autant de remous en une seule journée, remontant jusqu'à l'Assemblée nationale du Québec, vendredi dernier. Gabriel Ringlet s'en réjouirait si ce n'était du prétexte: un professeur de musique avait retiré la dernière phrase de l'Hymne à l'amour, d'Édith Piaf, pour éviter de l'expliquer à ses élèves. Geste «ridicule», «invraisemblable» censure, répond le prêtre de passage au Québec pour animer la retraite des moines trappistes de Saint-Jean-de-Matha. Un autre triste épisode qui montre comment le Québec a aussi mal à sa laïcité qu'à son passé religieux.
«Paul Ricoeur le dit: il ne faut pas une laïcité molle, consensuelle, rappelle le professeur, auteur et docteur en communications sociales. Il faut une laïcité de confrontation où chaque courant philosophique et religieux a le droit de s'exprimer dans l'espace public, à condition qu'il ne se substitue jamais au rôle de l'État, qui, lui, doit faire en sorte que toutes les forces qui le constituent s'expriment au meilleur d'elles-mêmes.» Il se dit lui-même interrogé dans ses valeurs les plus profondes par «ceux qui professent des valeurs différentes».
Gabriel Ringlet est de toutes les tribunes en Belgique. Il se prononce avec franchise ou ouverture sur les sujets les plus tabous: la mort, la pédophilie, l'ordination des femmes et le difficile célibat des prêtres. La laïcité est un élément-clé de sa pensée et de son action. Il la revendique même, à une échelle philosophique, pour lui-même, pour les prêtres et pour tous les croyants. Cet espace de liberté permet de s'engager pleinement dans la foi de son choix.
«Le prêtre est trop enfermé dans sa religion, croit l'auteur de L'évangile d'un libre penseur. Dieu serait-il laïque? (Albin Michel, 2002). Tant qu'on n'est pas critique par rapport à sa propre profession, tant qu'on ne se libère pas, le risque de cléricalisme est très grand.» C'est ce même enfermement qui explique, selon lui, les actes de pédophilie dans l'Église, tant décriés ces dernières années partout dans le monde, et qui ont fait l'objet d'un symposium inédit au Vatican la semaine dernière.
L'art, nouvelle spiritualité
C'est pourquoi Gabriel Ringlet courtise sans cesse cette laïcité. Dans son prieuré de Malève-Sainte-Marie, au coeur de la région du Brabant wallon, il jette constamment des ponts entre l'Évangile et l'actualité, entre croyants et non-croyants, célébrant même des mariages et des baptêmes mixtes. Ses liturgies ne manquent pas de convier des artistes, ces créateurs d'imaginaire qui nourrissent pour lui l'essentiel de la spiritualité contemporaine.
«Les grandes questions spirituelles aujourd'hui se posent d'abord dans les grandes oeuvres artistiques», déclare Gabriel Ringlet, qui passera la semaine à illustrer cette conviction auprès des moines trappistes de Saint-Jean-de-Matha, dont il anime la retraite sur le thème «Dieu est un grand romancier - Éloge de l'effacement». Il s'appuie sur les oeuvres contemporaines de poètes, romanciers, cinéastes issus de différents pays, dont deux du Québec, L'étreinte des vents, de la poète Hélène Dorion, et la trilogie sur les vertus théologales (La Neuvaine, Contre toute espérance et La donation), de Bernard Émond.
«Comment faut-il que ce soit un non-croyant [Bernard Émond] qui réussisse à me raconter aujourd'hui la foi dans la perception qui me paraît la plus juste? Et sans aucune tentative de récupération ou de prédication? Alors que moi, j'ai fait de très longues études, dit-il en souriant. Il y a une force et une manière de raconter ces choses essentielles, surtout autour de la mort, qu'une oeuvre de fiction nous permet d'approcher et que parfois un discours théologique n'arrive pas à dire aussi bien.»
Sa visite à Saint-Jean-de-Matha réunit donc deux domaines de prédilection: l'art, lieu privilégié pour renforcer sa foi, et la vie des moines, dont l'ouverture et l'intérêt pour l'actualité doivent servir de modèle à l'Église. Lui-même journaliste pendant 20 ans (il a dirigé la section de journalisme du Département des communications de l'Université de Louvain), il conjugue toujours démarche intellectuelle et engagement pratique. Il dit se sentir véritablement prêtre quand il accompagne les mourants. C'est lui qui a ouvert notre commission spéciale Mourir dans la dignité, il y a deux ans.
Attention aux dogmatismes
S'il connaît bien le Québec, Gabriel Ringlet reste estomaqué devant l'écart immense qui s'est creusé entre les gens d'Église et la population civile ici. Mais il ne veut surtout pas sous-estimer les marques laissées par cette religion, profondément enfouies dans les mémoires. Il met en garde, toutefois: attention à la logique du repli sur soi, qui semble dicter l'affaire Piaf; elle fomente les dogmatismes de tout acabit.
«Les frontières se sont déplacées, conclut-il. Vous avez, aussi bien du côté laïque que du côté chrétien, des gens qui ont une vraie quête spirituelle, d'une vraie profondeur. Et de l'autre côté de la frontière, des gens de dogmatisme, aussi bien chrétiens que laïques, pour qui tout est tout fait, tout est clair, tout est identitaire... Mais c'est une voie de garage, ça! Alors que nous avons tant de choses à mettre en commun.»


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->