Développement économique - Plus figés qu'immobiles

Par Daniel Charron

« Notre avenir, un dialogue public »


La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) relançait récemment un débat intéressant. Elle dénonce ce qu'elle considère comme de l'immobilisme économique, c'est-à-dire une opposition trop vive à la réalisation de grands projets menant à leur abandon.
Il est vrai que des projets majeurs ont été mis de côté ces dernières années. La centrale du Suroît et le projet du déménagement du Casino sont des exemples.
Les raisons ayant mené à ces échecs des promoteurs de chacun de ces projets sont multiples. L'opposition à ces projets a été bien articulée, et les interrogations principalement environnementales et sociales des opposants ont été habilement véhiculées dans les médias. Résultat: les promoteurs ont reculé.
En raison d'un effet de balancier, l'environnemental et le social prendront-ils trop d'importance sur l'économique dans les débats au point d'empêcher tout développement et ainsi nous faire entrer dans l'immobilisme? Une situation à éviter, bien entendu, car le Québec doit demeurer ouvert aux bons projets (publics ou privés), générateurs d'investissements, d'emplois et d'effets d'entraînement.
Part de responsabilité
Depuis la sortie de la Fédération, plusieurs commentateurs ont rappelé la part de responsabilité des promoteurs des projets dans les derniers «échecs». Ils ne sont manifestement pas arrivés à répondre efficacement aux questions soulevées par leurs opposants. Car, aussi importantes les retombées économiques (rarement contestées) soient-elles, il faut savoir les présenter aussi clairement, et les dimensions environnementales et sociales ne peuvent plus être négligées dans la «vente» de grands projets à la population. Les règles du jeu changent pour de bonnes raisons, et il faudra s'y adapter.
Mais bien gérer ces changements afin d'éviter que des projets ne voient pas le jour par crainte d'être prématurément mis au pilori implique aussi une responsabilité collective qui fait appel à du leadership. Or, le manque de leadership politique représente la principale raison (43 %) pour laquelle de bons projets sont condamnés à ne pas voir le jour selon l'enquête de la FCCQ auprès de la population. Que des groupes s'opposent, c'est normal et même sain dans une démocratie. Que nos élus ne soient pas en mesure ou refusent d'arbitrer quand cela dérive, cela ne l'est pas.
Figisme
Mais ce n'est pas tant la non-réalisation de deux ou trois projets ou la trop grande visibilité accordée à leurs opposants qui doivent être la principale source de notre inquiétude sur le plan économique. La préoccupation est plus large: elle réside dans notre tendance à rester figés devant l'importance des transformations et des défis que connaît notre économie.
Nous semblons incapables d'articuler une compréhension claire de ces changements et, par conséquent, il devient impossible de proposer une vision cohérente et mobilisatrice de notre avenir économique. Faute de ce leadership, chaque projet semble atomisé, les gens d'affaires peuvent se sentir vite isolés, et l'opposition s'en trouve rapidement facilitée.
Les changements qui affectent notre économie sont majeurs, et les résultats bien réels et préoccupants pour l'avenir: l'investissement privé stagne, et notre capacité à demeurer compétitifs dans une économie mondialisée se dégrade. De 2000 à 2005, la croissance moyenne de l'investissement privé non résidentiel n'a été que de 1,2 %. Sur la même période, le solde de la balance commerciale québécoise (exportations de biens et services moins importations) est passée de + 5,6 milliards de dollars à - 7,4 milliards. La faute à qui? On connaît la chanson: c'est la faute à la concurrence de pays émergents, au dollar qui s'est trop vite apprécié, aux taux d'intérêt qui ont trop vite augmenté, au 11-Septembre, au prix des matières premières, etc.
Mais notre difficulté à nous préparer à faire face aux défis de demain, elle, vient en partie de l'incapacité à appréhender ces transformations et à articuler des politiques publiques cohérentes à cet égard. Pourtant, le gouvernement fait la sourde oreille aux appels des représentants d'entreprises ou de travailleurs l'appelant à faire preuve de leadership.
La FCCQ propose la création d'une agence d'analyse économique formée d'experts en économie qui compléterait notamment le travail du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement et la Direction de la santé publique. L'idée est intéressante et mérite d'être poussée un peu plus loin, car, comme telle, elle ne répondra pas au manque de leadership politique quand il sera question de réalisation de projets majeurs.
Les retombées économiques de tout projet sont normalement bien évaluées par les promoteurs eux-mêmes ou par des firmes ou regroupements spécialisés. Ces évaluations sont d'ailleurs rarement remises en question. Du moins, ce n'est pas sur cette base que s'expliquent les récents «succès» des opposants. Ce n'est pas par exemple en affirmant que ce projet ne générerait pas les x milliards promis en retombées économiques que les opposants à la centrale du Suroît ont eu gain de cause.
Forums écartés
Ce dont le Québec a besoin, c'est d'un forum capable de clairvoyance, de remises en question et d'inspiration de ce qui se fait le mieux ailleurs. En matière économique, les analyses, elles existent. Toutes n'arrivent pas aux mêmes conclusions. Toutes ne cernent pas la bonne orientation. C'est propre à la recherche, n'en déplaise aux uns et aux autres. Mais ce n'est pas à ses conclusions que l'on juge la qualité d'une analyse, mais à la pertinence de ses questions, à la qualité de son argumentation et à la rigueur de sa méthodologie. Ce n'est donc pas d'un nouveau groupe d'analystes que nous avons besoin, mais d'arbitres et d'orienteurs.
Le Conseil des partenaires économiques (dont j'ai été membre), mis sur pied à peu près en même temps que la stratégie gouvernementale L'Avantage québécois, aurait pu être ce forum. Mais la volonté du gouvernement n'a pas été au rendez-vous, ne laissant aux membres de ce groupe aucun pouvoir d'initiative et presque aucune possibilité de sortir du cadre de la stratégie gouvernementale telle qu'elle avait été élaborée par le gouvernement lui-même.
Un groupe de travail formé à l'issue du Forum des générations de l'automne 2004 (Partenaires pour la compétitivité et l'innovation sociale) proposait également une plus grande cohérence de la concertation en matière économique dans le but justement de rendre celle-ci plus à même de travailler efficacement au développement économique du Québec. Malheureusement, cette recommandation, comme le reste du rapport d'ailleurs a été «tabletté».
On a fait l'erreur ces dernières années de penser qu'en laissant les choses à peu près comme elles sont, on obtiendra les mêmes résultats. Les pressions sont trop grandes pour espérer qu'il en soit ainsi. Mais l'économique est souvent mal récupéré dans le discours politique, faisant en sorte que la statistique positive parue l'an passé est plus alléchante que ce qui se passe aujourd'hui et qui aura un effet sur les statistiques des prochaines années. On l'a vu par exemple dans le cas du vêtement. On le voit aussi dans le cas du bois. On le verra encore si rien n'est fait.
On fige devant le changement. On n'arrive pas à voir venir les coups et à s'y préparer. On gère les yeux rivés sur le rétroviseur, et les résultats s'en suivent.
Daniel Charron : Ex-président-directeur général des Manufacturiers et exportateurs du Québec, titulaire d'un doctorat de l'Institut d'études politiques de Paris


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