Dette américaine : "la Chine, en tant que créancier, doit rester vigilante"

Dettes et Décote américaine

La critique la plus virulente de la gestion de la dette publique américaine vient du premier créancier étranger des Etats-Unis: la Chine. Décryptage de l'attitude de l'Empire du Milieu par Huang Wei Ping, économiste à l'Université du Peuple de Pékin.
Samedi dernier, l'agence de presse officielle chinoise Xinhua a condamné "l'addiction aux dettes" et les "querelles politiques [de Washington] qui manquent de vision à long terme" tout en évoquant le besoin d'une nouvelle monnaie de réserve mondiale stable. "La Chine [première détentrice des bons américains] a désormais parfaitement le droit d'exiger des Etats-Unis le réglement de leurs problèmes de dette structurelle et d'assurer la sécurité des actifs en dollars de la Chine" a réagit Xinhua face à la dégradation de la note de la dette américaine par Standard & Poor's (S&P) le 5 août au soir.
L'agence de notation américaine avait estimé que l'accord signé le 2 août par le président américain Barack Obama avec les Républicains était insuffisant pour rassurer les investisseurs et pour donner des solutions à long terme. Un avis partagé par Huang Wei Ping, économiste à l'Université du Peuple de Pékin.
NB : l'entretien a été réalisé avant la dégradation de la dette américaine par S&P.
Comment accueillez-vous l'accord sur la dette américaine ?
Républicains et Démocrates se sont servis de la dette comme d'une scène pour leur spectacle politique en amont des prochaines élections présidentielles. Dans ce débat partisan, les intérêts politiques ont primé sur l'intérêt de la nation. J'ai eu l'impression d'assister à une dispute entre médecins pour savoir comment soigner un patient en négligeant le malade en train de mourir qui a besoin d'un traitement immédiat.
Cet accord sur la dette peut-il restaurer la confiance dans le dollar ?
A court terme, cette solution peut permettre de faire baisser les risques de défaut de paiement. Mais sur le long terme, rien n'est résolu, personne ne s'est attaqué à la source du problème, les Etats-Unis demeurent une économie endettée et les risques ne vont que croître dans le futur. La Chine, en tant que créancier, doit rester vigilante.
Faut-il se tourner vers l'achat de bons du trésor européen par exemple ?
La dette américaine n'a pas dépassé son produit intérieur brut (PIB) alors que c'est le cas dans certains pays européens. En Grèce, la dette est supérieure à 140% du PIB, en Italie à 100%. La notation des dettes publiques se dégrade à travers le monde. La Chine n'est confrontée qu'à de mauvais choix.
Cela dit, le pays ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, c'est pourquoi le gouvernement a commencé à investir dans les dettes japonaise, coréenne, et même grecque. Le choix grec ne semble pas évident mais les économies chinoise et européenne sont étroitement liées, il est donc logique d'acheter la dette européenne. Sinon l'Europe pourrait couler et entraîner la Chine dans son sillage. C'est le même raisonnement qu'avec les bons du trésor américain.
Justement la Chine peut-elle se désengager de la dette américaine?
Oui et le gouvernement essaie en ce moment de diversifier ses placements à l'étranger. Seulement, acquérir de la dette souveraine est politiquement sensible, certains Etats et opinions publiques sont réticents à l'idée de vendre des parts à la Chine.
Toutefois, le déséquilibre des échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis est tel que la Chine possède une immense quantité de dollars, la Chine n'a donc pas d'autre choix que de financer la dette américaine. Investir dans les bons du trésor américain semble à bien des égards l'option la moins mauvaise.
La Chine, premier créancier des Etats-Unis utilisera-t-elle le creusement de la dette comme un levier diplomatique?
Je ne pense pas. Mais je suis certain que le gouvernement fera en sorte que la dette que nous détenons ne se retrouve pas dans une situation périlleuse ou qu'elle ne s'évanouisse pas purement et simplement. Et sur le sujet nous ne faisons pas confiance au gouvernement américain qui a déjà été volontairement malhonnête : rappelez vous l'assouplissement qualitatif de 2010 - cette dévaluation du dollar avait pénalisé les détenteurs de devises américaines, au premier rang desquels la Chine- ou encore le "choc de Nixon" en 1972, quand les Etats-Unis avaient décidé seuls de cesser la convertibilité de leur monnaie en or et transformer tout le système monétaire international.
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Propos recueillis par Emilie Torgemen, correspondante à Shanghaï


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