Le jeu politique l'emporte sur la raison économique

Dettes et Décote américaine


Lorsque le président Barack Obama et le président de la Chambre des représentants, John Boehner, ont entamé leurs négociations sur le relèvement du plafond de la dette, ils savaient pertinemment que leurs travaux étaient sous haute surveillance, notamment de la part des marchés et, surtout, de la part des grandes agences de notation telles que Standard & Poor's et Moody's. Il serait d'ailleurs naïf de penser que des décideurs de leur trempe n'auraient pas bénéficié d'une telle attention.
Par contre, gageons qu'ils n'avaient certainement pas prévu une crise de confiance de l'ordre de celle que les marchés ont vécue depuis quelques jours, spécialement ce dernier lundi (noir), et encore moins la rapidité avec laquelle un tel scénario s'est réalisé. Ils pensaient fort probablement que les problèmes européens concernant la dette souveraine étaient si omniprésents qu'ils allaient occulter, auprès des marchés, l'impasse politique à laquelle on assistait à Washington, et que leur bras de fer pouvait continuer sans «grand dérangement».
Surtout, ils ne se doutaient pas que le jeu politique auquel ils se livraient allait devenir un moment historique, celui de la première décote de l'histoire américaine, et ce, malgré la conclusion d'un accord au Congrès, la veille de la date limite.
C'est que les marchés — on l'a déjà vu par le passé — tolèrent parfois des écarts, petits ou grands, mais jamais lorsqu'il est question de prise de décision parce que cette dernière est au coeur de l'action du jour, pour ne pas dire de l'action du moment sur les marchés. Cet épisode d'indécision, qualifié d'incertitude politique par M. Obama, est en grande partie à l'origine du tumulte boursier actuel, et il vient nous rappeler le prix à payer lorsque la tentation du jeu politique l'emporte sur la raison économique.
Tous les ingrédients
Déjà, depuis quelques mois, des signaux ont été lancés, et plusieurs indicateurs convergents laissaient penser que la situation économique dans le monde, et tout particulièrement aux États-Unis, était loin d'être reluisante.
À commencer par la situation en Europe, qui ne présageait rien de bon, en particulier dans le cas de la Grèce, qui a vécu un blocage important dans la foulée des manifestations populaires contre le programme de réformes budgétaires proposées par le premier ministre Georges Papandréou.
Vient ensuite le risque que les problèmes grecs s'étendent, d'abord à des pays comme l'Espagne, aux prises elle aussi avec une vague de protestations sociales, et ensuite au Portugal et à l'Irlande, qui ont subi début juillet une décote marquée de la part de Moody's. Enfin, le spectre de la contagion a fini par gagner l'Italie, un acteur nettement plus important, ce qui a rendu les inquiétudes des investisseurs beaucoup plus significatives: l'économie de l'Italie équivaut en effet à celle de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal et de l'Irlande réunis.
Par ailleurs, les indicateurs en matière d'emploi et de consommation aux États-Unis ont continué à présenter un bilan somme toute timide, pour ne pas dire anémique. Ce bilan a été confirmé cet été par la publication, entre autres, de l'indice ISM manufacturier, qui est revenu à un niveau comparable à celui d'il y a deux ans. De plus, la création d'emplois, même si elle progresse, demeure très lente et peu «régénératrice» des pertes subies depuis trois ans.
Enfin, la dette américaine, qui se situait à moins de 60 % du PIB il y a environ 10 ans, culmine aujourd'hui à près de 100 % du PIB, soit 14 300 milliards de dollars.
Dans un tel contexte, et en ajoutant les hésitations budgétaires auxquelles on a assisté depuis quelques mois, le moins qu'on puisse dire, c'est que tous les ingrédients étaient réunis et que la table était mise pour un scénario de doute, de méfiance et d'incertitude, comme celui que nous avons vécu cette semaine.
Une «guerre» idéologique et politique
Cependant, ce qui est frappant dans cette guerre à Washington, c'est qu'à la base elle est idéologique et politique. D'un côté, un Barack Obama qui veut arracher une entente à tout prix, estimant qu'il ne peut pas se permettre le luxe d'entamer sa prochaine compagne présidentielle sous le signe de l'incapacité et de l'incertitude. Et de l'autre, des républicains gonflés à bloc, notamment ceux du Tea Party, et qui voient dans cette bataille une occasion formidable de se positionner pour les prochaines élections présidentielles.
Ce qui est encore plus fascinant, c'est que si on faisait abstraction des «joutes» politiques et qu'on envisageait la situation budgétaire américaine simplement, on serait frappé par ce paradoxe puissant:

- Les États-Unis vont mal à cause de leur dette considérable (en passant, celle de l'Italie atteint à présent environ 120 % de son PIB, et celle du Japon dépasse 160 %), de leurs déficits récurrents, de leur lente reprise et de leur compétitivité déclinante face aux pays émergents.
- Mais c'est aussi l'un des pays les moins imposés au monde (ce que M. Obama a essayé de vendre aux républicains sans grande réussite), et leur assiette fiscale est à peine entamée lorsqu'on la compare à de pays comme le Canada, la France ou encore la Grande-Bretagne.

Donc, les propositions d'Obama — augmenter les impôts tout en procédant en même temps à une réduction des dépenses — auraient effectivement pu constituer une solution équilibrée. Mais l'intransigeance des républicains, en particulier les plus radicaux, a conduit à un accord qui n'a vraisemblablement pas passé le test auprès des marchés.
Une crise différente de 2008 mais maintenant...
Et maintenant, quoi retenir? D'abord que la crise actuelle, même si elle nous rappelle celle de 2008, est complètement différente: ses causes et les acteurs concernés ne sont pas de la même nature. Mais ses conséquences seront-elles différentes? Seuls les prochains mois nous permettront de le savoir, une fois que les comptes auront été faits.
En attendant, les sceptiques «critiques» viendront dire que c'est une crise parmi d'autres, le signe d'un mal-fonctionnement du système, et demanderont un renforcement de la régulation financière. Les opportunistes «investisseurs», de leur côté, soutiendront que correction boursière et purge du système sont une nécessité régulière, tout en tirant parti de cette période de volatilité pour réaliser de bonnes affaires.
Enfin, les résignés, «vous et moi», passeront les prochains mois à espérer que leur portefeuille de retraite sera «épargné», jusqu'à la prochaine fois!
***
Khalid Adnane - Économiste, École de politique appliquée, Département d'histoire, Université de Sherbrooke


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->